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1. RONALD DWORKIN

1.1. La théorie du droit de Dworkin

1.1.5. Le droit-intégrité

La théorie du droit de Dworkin s’appuie également sur le concept du droit-intégrité. L’intégrité est d’abord une vertu politique essentielle à l’exercice du pouvoir60. L’intégrité est un idéal autonome et distinct de l’équité et de la justice61. L’intégrité est la norme pour promouvoir l’autorité du droit, de telle sorte que celui-ci aille aux « limites naturelles de son autorité »62. Autrement, le droit perdrait de sa force et de son efficacité.

L’intégrité veut aussi dire que le droit doit être appliqué en respect de principes communs et cohérents pour que toute situation individuelle soit traitée de façon juste et équitable. Le droit-intégrité suppose que le droit soit entier, qu’il représente l’ensemble des règles et des principes sous-jacents, qu’il soit cohérent, qu’il ait un sens dans sa totalité.

« Le droit-intégrité demande aux juges, dans la mesure du possible, d’admettre que le droit soit structuré par un ensemble cohérent de principes sur la justice, sur l’équité et sur les principes de procédure garantissant un

58 R. DWORKIN, préc., note 7, p. 228.

59 Will KYMLICKA, « communautarisme », dans Monique CANTO-SPERBER (dir.), Dictionnaire

d’éthique et de philosophie morale t. 1, p. 330.

60 R. DWORKIN, préc., note 7, p. 207. 61 Id., p. 209.

juste procès et il leur demande de les appliquer dans les nouveaux cas qui leur sont soumis, pour que chaque situation individuelle soit juste et équitable au regard des mêmes normes. Ce style de justice respecte l’ambition de l’intégrité de représenter une communauté de principes. »63

Les principes sous-jacents aux règles de droit devraient permettre d’interpréter ces règles de telle sorte qu’elles n’entrent pas en conflit les unes avec les autres. Le droit doit avoir un sens dans son ensemble. L’intégrité est un critère d’interprétation constructive du droit.

Les conflits sur la meilleure interprétation à donner à une règle de droit sont le fait d’une divergence d’opinions voire de convictions. Le débat permet aux antagonistes de présenter leurs arguments en appui à leurs opinions respectives. La meilleure interprétation sera celle qui tend vers une plus grande intégrité du droit et des principes sur lesquels il est fondé. L’intégrité est aussi une « norme dynamique »64; elle ne vise pas l’uniformité ou la prévisibilité du droit; elle ne veut pas dire qu’on doive s’en remettre au droit tel qu’il existerait de façon statique pour résoudre les nouveaux conflits et les nouvelles controverses. On doit pouvoir faire évoluer le droit et l’intégrité est le critère par lequel il évolue. L’intégrité est aussi une « une norme plus dynamique et plus radicale qu’il n’y parait à première vue »65; il doit y avoir une

cohérence des principes par rapport à un principe fondamental.

Dworkin décrit la construction du droit comme un processus où des positions divergentes s’entrechoquent et sont réconciliées par le choix rationnel de la meilleure issue. Il précise : « (…) le droit-intégrité non seulement permet, mais encourage diverses formes de conflit ou de tension de fond à l’intérieur de la meilleure interprétation d’ensemble du droit. »66 Le juge « doit alors choisir entre les interprétations à retenir en se demandant laquelle présente sous son meilleur jour, du point de vue de la morale politique, la structure des institutions et des décisions de la

63 Id., p. 266. 64 Id., p. 242. 65 Id., p. 242. 66 Id., p. 440.

collectivité, ses normes de vie publique dans leur ensemble. »67 Lorsque le juge soupèse deux interprétations possiblement contradictoires, il choisit celle qui lui parait supérieure et qui « montre au mieux de ses possibilités le rapport juridique du point de vue de la morale politique dans son essence. »68 Même et surtout dans les cas difficiles, lorsqu’on fait face à un changement profond dans la communauté, lorsqu’on se situe en « terrain moralement compliqué et même ambigu »69, on doit faire preuve d’intégrité dans l’interprétation à donner au droit. Ce faisant, les juges doivent « faire preuve d’imagination »70 et donner « la meilleure interprétation constructive de la structure politique et de la doctrine juridique de leur collectivité. »71 Par l’interprétation, Dworkin appelle le juge à déterminer « quelle est l’histoire qui montre la collectivité sous son meilleur jour, tout bien considéré, du point de vue de la morale politique. »72 Il convient que des convictions morales partagées par les membres d’une collectivité puissent être le fondement des croyances pouvant servir à déterminer la supériorité d’un principe sur un autre73.

C’est le propre d’un système de droit fondé sur l’intégrité de ne retenir que les meilleures interprétations qui font voir le droit sous son meilleur jour. Il n’y a pas de rupture dans un « système juridique en bonne santé »74. Il ajoute : « (…) même d’importants changements peuvent se voir comme des conséquences du droit en vigueur qui viennent enrichir ce droit, en changer le fondement, et par là même provoquer les changements à venir. »75 Dworkin lie les concepts d’intégrité à ceux d’équité et de justice :

« Nous acceptons l’intégrité comme idéal politique, car nous voulons traiter notre collectivité politique comme une collectivité de principe; et nous acceptons que les citoyens d’une collectivité de principe n’aient pas pour seul but des principes communs, comme s’ils n’aspiraient qu’à l’uniformité, mais 67 Id., p. 279. 68 Id., p. 272. 69 Id., p. 250. 70 Id. 71 Id., p. 278. 72 Id., p. 272. 73 Id., p. 257. 74 Id., p. 445. 75

les meilleurs principes communs que puisse trouver la politique. L’intégrité est distincte de la justice et de l’équité, mais elle leur est liée de cette façon : l’intégrité n’a de sens que pour ceux qui recherchent aussi l’équité et la justice. »76

Chez Dworkin, le droit n’est pas seulement un outil dont les institutions étatiques se servent pour exercer leur pouvoir. Le droit est constitutif de la détermination de la condition humaine et de la réalité sociale et politique telle qu’on souhaiterait qu’elles soient, dans le meilleur des mondes.