• Aucun résultat trouvé

5 Donner du sens aux symboles mathématiques selon Arca

Épisode 5. Ann change de feuille de papier et écrit : (p-1)(q 2 1)

II. 5 Donner du sens aux symboles mathématiques selon Arca

C’est en se basant sur ses expériences personnelles d’enseignement, en observant notamment élèves et enseignants résoudre des problèmes d’algèbre qu'Arcavi établit une étude relative à la « compréhension » des symboles mathématiques, un prélude à une définition du « sens donné à un symbole ». Cette expérience lui a permis de reconnaître la similarité de comportements d’élèves

Expression

1er sens 2nd sens

Figure 2

Chapitre II

relativement aux différents « sens » rattachés aux symboles et lui donne des éléments pour mieux analyser les observations recueillies dans les classes.

Ce qu’Arcavi propose dans son étude n’est ni une liste de comportements ni une liste d’éléments censés prendre en compte tous les aspects sous-jacents à la façon dont on « donne du sens à un symbole » ; son travail n’a pas la prétention d’être exhaustif. Ce sont plutôt des caractéristiques récurrentes repérées dans la façon de résoudre un problème où l’algèbre intervient. Plus précisément, Arcavi s’intéresse au volet subjectif présent lorsque le sujet donne du sens aux symboles16. A l’origine de son étude, Arcavi dresse une analogie entre le terme « sens » qu’il emploie

lorsqu’il parle de « donner un sens à un symbole » et celui proposé par The Oxford Encyclopedic English Dictionary. Nous transcrivons ci-dessous ce passage, qui reflète bien l’idée sous-jacente au discours de Arcavi.

« Regarding the inner nature of symbol sense as a feel, it may be illustrative to make an analogy to the "physiological" meaning of the word sense, as brought by The Oxford Encyclopedic English Dictionary : « any of the special bodily faculties by which sensation is roused ». We can adapt this to symbol sense as: "any of the special mathematical faculties by which meaning is roused". It would be a desired goal for mathematics education to nurture symbol sense to become an indivisible part of our mathematical tool kit, in a similar way in which our physiological senses are an integral part of our biological being. The analogy suggests that symbol sense should become part of ourselves, ready to be brought into action almost at the level of a reflex. But also, in the same way that when our senses fail us we tend to develop substitutes, our symbol sense should tend to develop ways to overcome our "failures" (for example, the awareness to overcome by any means situations involving "symbolical illusions").» [Arcavi, 1994, p.29]

D’après cette analogie, nous comprenons mieux le volet du « sens » d’un symbole mis en lumière dans son étude : c’est en quelque sorte un regard « intuitif » des symboles que Arcavi a repéré à travers les actions d’élèves (et enseignants) lors de la résolution de problèmes. C’est à travers leurs comportements qu'Arcavi dégage une série de caractéristiques du « sens » d'un symbole qu’il classifie d'« informelles » (nous dirons subjectives). En fait, selon Arcavi, donner du sens c’est, entre autres:

- Reconnaître la puissance des symboles, c’est-à-dire être capable de reconnaître quand et comment les symboles doivent être employés afin d’établir des relations, des généralisations ou preuves. Mais surtout, c’est reconnaître qu’en leur absence, de telles relations ou des preuves ne pourraient venir à jour. Ce n’est pas simplement créer des relations à l’aide de symboles, c’est plutôt faire émerger des relations grâce à eux.

Prenons sur ce point un exemple décrit par Arcavi : Soit un rectangle quelconque. Que se passerait-il en ce qui concerne son aire, si on augmentait de 10% l’une de ses dimensions et si on diminuait de 10% l’autre ? Les élèves ont tendance à répondre, initialement, qu'il ne se passe rien (ceci étant probablement dû, selon Arcavi, à l'illusion de « compensation ») ou encore que le changement subi par l’aire dépend de la dimension qui augmente et de celle qui diminue. De simples applications numériques montrent bien que l’aire diminue dans tous les cas, mais c’est uniquement lorsque les

Quelques écrits épistémologiques autour de l’algèbre

49

élèves font appel aux symboles que le résultat devient clair. Soient l et L les deux dimensions du rectangle, l’aire du nouveau rectangle peut s’écrire comme le produit 0.9l*1.1L ou 1.1l*0.9L, c’est-à- dire 0.99lL dans les deux cas. D’après Arcavi, « in a beautifully concise way, the symbols express the whole scenario of the problem » [ibid., p.7]. Tout d’abord, dit-il, l’expression montre bien que l’aire diminue. Ensuite, elle montre de combien elle diminue (1%). Finalement, le résultat est indépendant de la dimension qui augmente et de celle qui diminue. En conclusion, Arcavi affirme :

«(...) we claim that symbol sense should include, beyond the relevant invocation of symbols and their proper use, the appreciation of the elegance, the conciseness, the communicability and the power of symbols to display and prove relationships in a way that arithmetic cannot. » [ibid., p.8]

- En sens inverse, donner du sens c’est également ressentir le moment où il faut laisser les symboles de côté, dans le but de faire progresser le problème en favorisant d’autres approches qui pourraient rendre la solution plus facile ou élégante.

C’est le cas par exemple de la résolution d’une inéquation telle |x-2|>|x-6|, pour laquelle Arcavi suggère une relecture des symboles : interpréter |x-2| comme étant la distance entre un nombre quelconque et 2 et ainsi traduire le problème comme étant la recherche de nombres dont la distance jusqu’à 2 est plus grande que leur distance jusqu’à 6. On pourrait encore, suivant la suggestion de Friedlander et Hadas (1998), regarder |x-2| et |x-6| comme deux fonctions de x, et résoudre le problème dans le cadre graphique.

- Arcavi souligne un troisième volet relatif au sens donné à un symbole, qui réunit la première et seconde caractéristiques énoncées ci-dessus. Donner du sens à des symboles c’est travailler dialectiquement avec eux : d’une part, c’est les manipuler tout en se détachant de leur sens (meaning) afin de rendre la manipulation plus efficace et rapide et, d’autre part, c’est lire les symboles à travers leur sens, permettant ainsi d’établir des liens et de prendre en compte le caractère raisonnable du résultat.

- Donner du sens c’est aussi être conscient que la modification de la traduction symbolique d’un problème peut influencer le progrès du résultat et c’est savoir comment manipuler les expressions de façon à mener à bien le problème.17

Soit le problème : « prenez un nombre impair, élevez-le au carré et ôtez 1. Que pouvez-vous dire du nombre qui en résulte ? ». Un tel nombre peut être représenté sous (2n-1)2-1. Après manipulation,

cette écriture peut être donnée sous la forme 4n2-4n, dans le but d’une conclusion générale. A première

vue, l’élève peut s’arrêter là et répondre que le nombre trouvé est un multiple de 4. Toutefois, si l’on ré-arrange les symboles en écrivant 4n2 - 4n= 4n(n-1) et si on « lit à travers les symboles », on

s’aperçoit que le résultat est toujours multiple de 8. Si l’on transforme encore une fois l’écriture, en

16 Arcavi parle de informal sense-making (la langue anglaise lui permet de traduire à l’aide d’un substantif le fait de « donner un sens » ). Dans le discours d’Arcavi, «donner un sens » prend ainsi quelque part une dimension dynamique que nous pourrions traduire par un « faire sens » informel.

17 C’est le cas du protocole de Ann, analysé dans le paragraphe précédent.

Chapitre II

posant 4n(n-1)=8n(n-1)/2, on se rend compte que le résultat est non seulement un multiple de 8, mais que ce multiple est très particulier : il est tel que l’autre facteur est un nombre triangulaire.

- Donner du sens aux symboles c’est également pouvoir traduire le problème à l’aide de symboles et pouvoir juger de la pertinence de ce choix. C’est aussi être capable de changer la « traduction » si nécessaire.

Reprenons l’exemple précédent. Si le nombre impair avait été représenté par n au lieu de 2n-1, le résultat obtenu aurait été n2-1. Il est vrai qu’en factorisant l’expression, nous aboutissons à

l’expression (n-1)(n+1), qui traduit le produit de deux nombres pairs consécutifs. Ainsi, nous concluons que l’un d’entre eux est forcément multiple de 4 et donc que le résultat est multiple de 8. Or le choix de représenter le nombre impair par n au lieu de 2n-1 ne nous donne pas d’information supplémentaire, notamment en ce qui concerne la nature de ce multiple (explicitée dans le cas précédent). Le choix du symbole a donc non seulement des effets cruciaux sur le processus de résolution du problème mais également sur les résultats.

- Selon Arcavi, donner du sens à un symbole c’est être capable, à tout moment, d’interpréter les symboles et de comparer leur « sens » aux réponses attendues ou à nos intuitions.

- Finalement, donner du sens aux symboles c’est être conscient des différents rôles qu’ils peuvent jouer selon les contextes.

Considérons par exemple l’égalité y=ax+b. Même si x, y (les variables) et a,b (les paramètres) représentent des nombres, les objets mathématiques que l’on obtient après substitution peuvent être très variés. Si on se place dans le cadre graphique, en attribuant à x et à y des valeurs numériques, l’égalité nous renvoie un point parmi l’ensemble de tous les points tandis que lorsqu’on attribue à a et à b des valeurs numériques, l’égalité nous renvoie une droite parmi l’ensemble de toutes les droites. Ainsi, y=b peut être interprété de deux façons différentes selon le contexte. Si cette égalité est le résultat obtenu après avoir remplacé x par 0 dans y=ax+b, alors elle représente le point où une droite (dont l’équation est de la forme y=ax+b) coupe l’axe des ordonnées. D’autre part, si y=b est le résultat de la substitution de a par 0 dans y=ax+b, alors cela représente la famille de droites ayant un coefficient directeur nul.

Conclusion

L’objet du présent chapitre a été d’examiner les différents axes de recherche qu’utilisent certains didacticiens pour cerner la question du symbolisme dans l’enseignement des mathématiques. Nous avons vu, à travers les paragraphes précédents que, pour prendre en compte le rapport des élèves au symbolisme, bon nombre d’auteurs se réfèrent aux notions de sens et dénotation introduites par Frege. Cependant, l’interprétation et l’emploi de ces deux notions ont présenté des variations selon les différents auteurs, qui ont parfois adapté la définition de celles-ci à leurs besoins. Si certains, comme

Quelques écrits épistémologiques autour de l’algèbre

51

Duval ou Drouhard, se sont montrés fidèles aux termes frégéens (le second rajoutant toutefois les notions de connotation et d’interprétation), d’autres s’en sont éloignés, comme le montrent les travaux d’Arzarello qui, d’une part, dédouble la notion de sens d’une expression algébrique pour définir ce qu’il a dénommé sens algébrique et sens contextualisé d’une expression et qui, d’autre part, « contextualise » la notion de dénotation.

Observons que ni Duval ni Drouhard ne partagent cette conception de la dénotation, restant fidèles aux définitions fournies par Frege. Nous retrouvons cependant la notion de sens contextualisé dans le discours de Drouhard, qui introduit le terme interprétation. Nous ne pouvons cependant pas dire que l’interprétation selon Drouhard correspond exactement à ce qu’Arzarello entend par sens contextualisé : la notion d’interprétation est, nous avons vu, étroitement liée à l’idée de cadre, introduite par R. Douady, tandis que celle de sens contextualisé n’en n’est pas dépendante. En effet, selon Arzarello : « (...) the same formula is able to incorporate additional senses, apart from the algebraic one. In fact, it can be used in different knowledge domains, mathematical or not, each generating (at least) a new sense, depending on the nature of the domain » [ibid., p.63]. Dans la mesure où Arzarello parle de « domaines de connaissance », qui peuvent ou non être de nature mathématique, le sens contextualisé diffère de la notion d’interprétation. De plus, s’il est possible, d’une part, selon Arzarello, d’attribuer à une expression algébrique deux sens contextualisés différents appartenant à un même cadre mathématique, parler de deux interprétations d’une même expression sous-entend parler de deux cadres différents : donner deux interprétations différentes à une écriture algébrique c’est en quelque sorte la « traduire » dans deux cadres différents.

Finalement, nous avons examiné les travaux de Arcavi qui, bien que ne faisant pas allusion aux termes introduits par Frege, s’intéresse à l’examen du rapport au symbolisme et plus précisément aux différentes interprétations (au sens large du terme) que les élèves attribuent aux symboles mathématiques. Tandis que Duval, Drouhard et Arzarello sous-tendent leurs recherches d’éléments essentiellement théoriques, Arcavi tisse son discours autour d’expériences personnelles dont il se sert pour construire une idée plutôt intuitive du sens donné aux symboles mathématiques. Ainsi, Arcavi semble regrouper, à travers son expérience, une série de comportements qui viendraient illustrer ce que Drouhard dénomme com-préhension d’une expression algébrique, sans toutefois se référer au terme frégéen de dénotation.

A travers la synthèse des travaux des quatre auteurs précités, nous avons vu que certaines études en didactique de l’algèbre portant sur le thème spécifique des signes mathématiques (ou expressions algébriques) se distinguent de celles étudiées dans le chapitre précédent de par le cadre théorique employé. En effet, si les auteurs cités dans la première partie de notre travail se sont essentiellement servis de l’histoire de l’algèbre pour étayer leurs propos, ce domaine cède la place à des théories spécifiques à l’objet d’étude dès lors que les auteurs raffinent leurs analyses sur le symbolisme.

Chapitre II

Or cette mise en regard des travaux qui figurent dans les deux premières parties de notre travail ne doit aucunement être interprétée de façon catégorique. Si nous avons regroupé certains auteurs autour d'une même caractéristique (tel le recours à l'histoire dans les analyses didactiques), ceux-ci ne peuvent y être limités. Plus particulièrement, dans les récents travaux de Radford (2002, 2003), dont l'objet d'étude est en étroit rapport au symbolique, l'analyse historique s'accompagne très souvent d'une analyse sémiotique, tout en prenant en compte la dimension socio-culturelle de la constitution d'un symbole. Le lecteur avisé interprètera ainsi les travaux cités jusqu'à présent comme étant certes représentatifs des deux ensembles (artificiellement) créés, cependant ne s'y limitant point.

Quoi qu'il en soit, la philosophie (et plus précisément les écrits philosophiques se rapportant aux signes, de façon générale) s’est avérée un point d’entrée pour la plupart des auteurs auxquels nous avons fait référence dans ce chapitre. Ainsi, si nous voulons analyser le rapport des élèves au symbolisme algébrique, il nous parait indispensable d’approfondir notre connaissance relativement à notre objet d’étude et, suivant la direction empruntée par Drouhard, Duval et Arzarello, d’approfondir nos recherches dans le domaine de la philosophie. Le chapitre suivant sera donc destiné à dresser un panorama général de quelques travaux épistémologiques portant sur l’algèbre et plus précisément sur le symbolisme algébrique dans l’optique de constituer une grille d’analyse, débordant le cadre largement exploité du « sens et dénotation » des signes, qui nous permettrait de progresser dans notre problématique.

C

HAPITRE

III – Q

UELQUES ECRITS EPISTEMOLOGIQUES