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A un niveau international, de nombreuses études épidémiologiques ont été réalisées sur la prévalence de troubles mentaux en population générale ou dans différentes sous-populations (sans domicile, détenus, etc). Ces études utilisent pour la plupart des outils d’entretien psychiatrique standardisés permettant grâce à un algorithme d’aboutir à un diagnostic. Ces outils sont utilisés par des enquêteurs seuls ou par des cliniciens. Bien qu’ils aient été validés, le défaut de ces outils réside dans leur propension à sur ou sous estimer la prévalence « réelle » des troubles, à partir d’un recueil essentiellement symp- tomatique, en l’absence d’un entretien clinique.

En France, nous disposons de deux modèles (tableau B) qui proposent des techniques différentes pour remédier à ce défaut d’examen clinique : l’enquête de 1996 sur la santé mentale en population SDF (Kovess et Mangin-Lazarus, 1999) et l’enquête de 2004 sur la prévalence des troubles psychiatriques chez les personnes incarcérées (Falissard et al., 2006).

Ces deux études utilisent un outil diagnostic standardisé validé (CIDI10et MINI11). L’outil est passé par des

enquêteurs non spécialisés, dans l’enquête de V. Kovess et C. Mangin-Lazarus, mais les questionnaires comportant un diagnostic de trouble psychotique sont relus par un psychiatre. Dans l’enquête de B. Falissard, le MINI est passé par des cliniciens (psychiatre et psychologue) et suivi d’un entretien clinique ouvert.

Dans ces situations particulières de privation de liberté ou d’exclusion sociale, il est à craindre des excès de diagnostics pour certains troubles psychiatriques (psychoses, troubles de l’humeur ou anxiété). Ainsi, en milieu carcéral, on note une surestimation des schizophrénies par le MINI comparé à l’avis des cliniciens (11,9 % versus 6,2 %) et une sous-estimation des autres troubles psychotiques. A l’inverse, le MINI sous-estime les stress post traumatique comparé à l’avis des cliniciens (6,6 % versus 14,2 %). En population SDF, dans l’enquête de validation réalisée auprès de 100 personnes, l’outil standardisé sous- estime les troubles de l’humeur (en particulier la dépression). V. Kovess interprète ce résultat comme une appréciation subjective d’un des enquêteurs, considérant que la situation vécue par les enquêtés était très difficile et que leur dépression n’était pas pathologique.

De façon plus générale, comme on a pu le voir dans la méta-analyse sur la prévalence des troubles psychiatriques chez les sans-abri présentée plus haut (Fazel et al., 2009), l’utilisation des réponses à un interview standardisé, sans prise en compte d’autres informations recueillies donnant une signification clinique (avoir parlé du trouble à un médecin, avoir pris un traitement) ou sans la présence d’un clinicien, amène à une surestimation ou sous-estimation de certains troubles (Lovell, 2000). Ceci a été évalué chez les sans domicile (North et al., 1997) mais aussi en population générale (Narrow et al., 2002).

Ces résultats et expériences nous ont amenés à proposer un design d’étude reposant sur l’utilisation d’un outil standardisé passé par un enquêteur professionnel non clinicien (type Insee), en présence d’un psychologue clinicien. Ce dernier a eu pour rôle d’observer l’interaction enquêteur-enquêté, de noter les éléments cliniques orientant vers un possible trouble psychiatrique et de réaliser, à l’issue de la passation du questionnaire, un entretien clinique ouvert de façon à étayer un éventuel diagnostic.

10. Composite International Diagnostic Interview. 11. Mini International Neuropsychiatric Interview.

Nous avons choisi comme outil d’entretien clinique standardisé, le MINI 6.0 plus et non le MINI 5.0 utilisé dans le test du dispositif d’enquête (cf. infra). La version 6.0 diffère finalement très peu de la version testée et les quelques différences apportent une meilleure précision sur les troubles. Seul le module sur le risque suicidaire a été conservé dans sa formulation d’origine, car sa passation aurait été trop lourde dans la dernière version de l’outil. Cet outil a été validé en population générale (Sheehan et al., 1998), par comparaison à d’autres outils standardisés (SCID ou CIDI) ou à un avis d’expert (psychiatre).

En cas de trouble mental possible, ce dispositif est complété par le débriefing du psychologue avec un psychiatre en dehors de la présence de l’enquêté. Le psychiatre a assuré le codage du cas (« diagnostic » psychiatrique) selon la 10ièmeclassification internationale des maladies (CIM-10 ; OMS, 1992).

Nous devons souligner que l’évaluation des troubles de la personnalité est particulièrement difficile en un seul entretien dans la mesure où il s’agit de repérer un « patron de comportements persistant, rigide, et généralisé » (OMS, 1992, CIM-10). De plus les échelles de mesure sont multiples. Dans les deux enquêtes précitées, les auteurs sont réservés sur les résultats de l’utilisation de ces outils. V. Kovess n’a pu le valider et B. Falissard travaille encore sur les données recueillies en milieu carcéral (troubles de la personnalité antisociale du MINI).

Pour évaluer la sévérité des troubles, nous avons choisi d’utiliser le degré d’urgence des soins utilisé dans le suivi de la cohorte Santé, inégalités et ruptures sociales (SIRS, Inserm 2005).

Les troubles du MINI retenus pour l’étude étaient les suivants : épisode dépressif majeur, risque suicidaire, épisode (hypo-)maniaque, trouble panique, état de stress post-traumatique, troubles psychotiques, anxiété généralisée, trouble de la personnalité antisociale.

Nous n’avons pas utilisé la partie du MINI dédiée aux addictions, mais l’AUDIT pour l’alcool et un module spécifique a été élaboré pour les drogues et médicaments détournés de leur usage (cf. infra). Nous souhaitions recueillir plus d’informations sur le comportement antérieur et l’impact de la situation d’exclusion sur la consommation de produits psychoactifs.

De façon à pouvoir détecter des problèmes de démence ou d’atteintes neurologiques notamment celles liées à une alcoolisation chronique nous avons intégré l’échelle MMSE (Mini Mental Status Examination) pour les personnes âgées de 50 ans et plus. Ce test explore les repères dans le temps et dans l’espace, les capacités d’apprentissage, d’attention et de calcul, la mémoire immédiate, le langage et l’activité motrice.

L’utilisation du MINI en population SDF dans le cadre de notre dispositif d’enquête a été testée sur une cinquantaine de personnes avant l’enquête principale (Cf. paragraphe 4. Test du dispositif d’enquête).