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Dynamique sociale urbaine et engagement des héritiers de l’immigration Le domaine de recherche sur lequel jřai travaillé a été principalement celui de la ville et des dynamiques sociales urbaines pour lřessentiel concernant les générations dřhéritiers de lřimmigration maghrébine dans les quartiers populaires de la région lyonnaise. Jřai aussi travaillé sur ce domaine dans le cadre de la R&D et de lřexpertise militante ou citoyenne, en France et en Tunisie avec les réseaux militants de lřimmigration maghrébine et des jeunes tunisiens (Collectif Cartographie Citoyenne en Tunisie).

Après les importants investissements que nous avions faits à Grenoble à la fin des années 90 jřai consacré une partie de mon temps à des activités militantes et dřexpertise militante à propos des conflits dans les Balkans.

Engagé dans le débat public français et européen (France, Allemagne, Suisse, Grèce, principalement) sur le conflit kossovar, en particulier à sa fin, sur la question des bombardements de lřOTAN, jřai été conduit à participer à lřorganisation de la tournée en France dřun acteur kossovar Ymer Yaka, membre du comité des Droits de lřHomme de Pristina et personnalité importante dans lřhistoire du Kossovo dans lřex-Yougoslavie et les 10 années de résistance avant la guerre de 1998. Cette tournée sřinscrivait dans la scénographie dřun backoffice des négociations de Rambouillet visant à mettre fin au conflit. Leur échec a conduit aux Bombardements de lřOTAN sur le Kossovo et la Serbie. Jřai raccompagné Ymer Yaka à Pristina dès le jour du dernier bombardement. (je retrace une partie de mon incursion comme étranger à un moment très sensible de lřaprès guerre, à tous les sens du terme sensible, dans le livre Carnets imaginaires d‘un vrai voyage au Kossovo) 1718

17 Lřune des missions que sřétait donné lřinitiative à laquelle je participait, « Parteners For Kosovo regroupant différents réseaux français et suisses avec le parrainage de personnalités Jean Ziegler et Pedrac Matvesevic était de retrouver quelques figures dřintellectuels très exposés à la répression des troupes Serbes, et dont nous nřavions pas de nouvelles. Et de participer à une mission plus délicate consistant à accompagner des militants du Comité des Droits de lřHomme de Pristina dans une prise de contact avec des interlocuteurs serbe-kosovar potentiels dans le but de contribuer à la pacification des relations serbo-albanaise et en particulier pour conjurer les risques très élevés de représailles ou de vengeance. Dans cette mission, nous nřétions quřun faire valoir, notre force étant dřavoir été les deux premiers internationaux non affiliés aux institutions internationales ou aux ONG officielles à être rentrés au Kosovo après les bombardements. Même les troupes françaises nřétaient pas encore en place en raison des mines qui truffaient les routes quřelles devaient emprunter pour se rendre au nord. Notre

avance tenait au fait que nous étions passés, en convoi relativement protégé, par les routes de montagne que la mafia albanaise avait tracées entre lřAlbanie et le Kosovo dans les dernières semaines de la guerre, probablement

39 Mon intérêt pour les Balkans sřinscrivait dans le prolongement de voyages précédents à titre individuel et dřune participation ancienne mais plus ou moins active à lřassociation Diagonales Est Ouest (DEO) que nous avons hébergée longtemps dans nos bureaux. DEO éditait une revue éponyme depuis le milieu des années 80 coécrite avec des correspondants de milieux dissidents de pays de lřEurope Centrale et Orientale encore en régime communiste. Outre des voyages comme porteur de valise (livres et matériel informatique, matériel et

avec lřaide des forces américaines de lřAFOR, la force de maintien de la paix en Albanie en place depuis la guerre civile de 1997. Lřobjectif de la mafia était de prendre position dès la fin des bombardements sur lřapprovisionnement des marchés, de la viande, de lřessence et du pain ( des camions avaient acheminé des boulangeries en kit prêtes à lřemploi). Il lui a fallu deux jours pour installer des réseaux dřapprovisionnement et de distribution dans les principales villes du Kosovo hors Pristina, en donnant des lots à des villageois ou de citadins qui les revendaient aux commerçants ou aux citadins. En deux jours ils avaient remis en service des utilités vitales alors que les institutions auraient mis plusieurs mois à le faire. En adoptant cette méthode de redistribution fractionnée ils ont dřemblée fourni des ressources aux petites gens en se dotant ainsi dřun puissant réseau dřinformation et dřallégeance tout en prenant position dans lřéconomie du pays pour plusieurs années. Un deuxième volet de notre mission consistait à expertiser si lřon peut dire ainsi la possibilité dřune stratégie de soutien à lřémergence de la société civile dans cette période dřaprès guerre où les tensions intra albanaise kosovare et avec les Rroms et Serbes vivant au Kosovo étaient vives, comme au Nord à Mitroviça où les Serbes kosovars poussaient à lřannexion de la ville à la Serbie.

Nous nřavons même pas tenté dřaborder ce deuxième volet qui est dřemblée apparu en complet décalage avec les préoccupations de nos interlocuteurs pour qui cette période était avant tout une période de retrouvailles, des cérémonies de deuils, des conciliations entre figures politiques qui sřétaient opposées sur les options finales de la guerre, dřétat des lieux (20000 maisons détruites, 11000 morts, des centaines de disparus), des champs de mines partout, la plupart des infrastructures de production ou dřadministrations détruites par les troupes Serbes ou par les bombardements de lřOTAN), sur lřinstallation des troupes de maintien de la paix, des institutions onusiennes …. et sur les personnes enlevées par les milices serbes. Le comité des Droits de lřHomme de Pristina détenait une liste de prisonniers retenus en Serbie, dont certains semblaient avoir été fusillés. La liste avait été exfiltrée de Serbie par une personnalité du mouvement anti-guerre de Serbie qui lřavait obtenue dřun officier de lřarmée serbe. Cřétait un document très précieux et clandestin à la fois parce quřil mettait potentiellement en danger les sources. Mais aussi parce que le comité DH nřavait pas confiance dans les interlocuteurs internationaux qui venaient de sřinstaller, quřil considérait comme surtout occupés à sécuriser leur mission et lřinstallation des zones militaires de maintien de la paix, au risque dřêtre conciliants avec les représentants de la Serbie ou de la puissance russe. Le comité des DH mřa demandé de sortir le document du Kosovo pour le remettre à la FIDH à Paris (Fédération internationale des Droits de lřHomme) pour quřelle le fasse réapparaître par un autre circuit dans les négociations conduites par les institutions internationales.

Nous y somme retournés quelques mois plus tard avec une délégation dřélus régionaux et municipaux après avoir travaillé à distance des projets de coopération entre villes et régions françaises et kosovare, des écoles dřingénieurs, des réseaux paysans, autour de deux thématiques : 1- coopération sur la construction de la démocratie locale dans les municipalité incluant la société civile et les femmes en particulier. 2- contribution des régions et municipalités françaises à des projets dřutilité publique locale et à des échanges en formation. Notre activité politique propre en tant que réseau était de construire et dřanimer un espace de débat en appui à nos correspondants kosovar sur la création des institutions du Kosovo dans le contexte de lřindépendance recherchée par rapport à la Serbie en mettant en discussion la perspective de lřintégration à long terme au cadre européen pour contenir et dépasser les perspectives ethno-nationalistes de règlement politique post conflit. Nous ne nous placions pas en diplomates ni même en défenseurs de cette perspective mais en organisateur de cadres de débat qui permettraient aux participants dřy prendre part en ayant une liberté de parole suffisante. Nous avons ainsi réalisé une première conférence à Lyon en Septembre 2000. Jřai ensuite organisé des échanges dans le prolongement du réseau notamment avec des villes dans lesquelles Jřavais travaillé (Vaulx en Velin et Grenoble) ainsi que des visites à Paris de personnalités kosovares.

40 ressources pour Solidarnosc etc. ), jřai contribué (petitement) à lřimportant dossier que DEO a consacré au business humanitaire dans la période de la transition postcommuniste notamment en Arménie, Roumanie, et Bosnie.

Dans cette lignée dřimplication dans les Balkans, entre 2000 et 2002 jřai coordonné une vaste mission dřexpertise commandée par lřONG CCFD (Comité Catholique contre la Faim et Pour le Développement) sur son intervention depuis les années 90, dřune part en CEI (Communauté des Etats Indépendants, première forme de recomposition post communiste de lřex-Union soviétique autour de la Russie) ; et dřautre part, dans les Balkans (Ex-Yougoslavie, Albanie et Roumanie)19.

Ce nřest pas lřobjet de décrire ici cette mission. Je me concentrerai sur les aspects qui concernent cette thèse puisque jřai repris une partie des éléments dřenquête réalisés à cette époque pour les actualiser par des recherches documentaires afin de compléter les données récoltées à lřépoque et prolonger sur deux sujets: dřune part, lřanalyse de lřaction dřacteurs Rroms de Roumanie sur les droits civiques ; et dřautre part, lřexpérience des réseaux dřacteurs anti-guerre et des Droits de lřHomme en Serbie, en Croatie et en Bosnie.

Figure des Rroms en France et figure des Rroms en Roumanie

Cřest lřarrivée des Rroms en France dans le moment de lřintégration de la Roumanie et de la Bulgarie dans lřUnion Européenne qui mřa conduit à orienter cette thèse autour de terrains en première apparence très différents.

Outre les conditions institutionnelles et politiques de leur accueil en France, et le mauvais traitement quřils ont dû subir, cřest le silence sur les conditions roumaines (ou bulgares) qui les conduisent à partir qui mřa interrogé. Si leur arrivé a suscité débats et indignation sur la « question Rrome », que lřon dénonce les amalgames, les confusions et les stéréotypes, ou que lřon opère en solidarité concrète, cřest principalement deux registres qui ont été mobilisés par les acteurs qui contestaient la politique conduite à leur égard et les discours publics de justifications : le registre humanitaire et le registre politique de lřhospitalité/inhospitalié. Deux questions me sont alors venues. Comment se fait-il que lřon ne recoure à une formulation des problèmes que dřun point de vue franco-centré et non pas aussi dřun point de vue roumain, franco-roumain et plus généralement européen (ie bulgare), surtout en lřabsence dřune parole

19 La mission CEI était conduite par une équipe animée par la Sociologue Anne le Huérou et jřai animé lřéquipe Balkans à laquelle a participé une partie de lřéquipe de Cité Publique.

41 Rrome structurée. Non pas quřil sřagisse de prendre parti pour telle ou telle vision de lřEurope, mais simplement de procéder à une simple analyse de la situation de départ et dřarrivée en tenant compte du cadre politique et juridique européen. Ce qui renvoie à la seconde question : comment se pose la question migratoire du point de vue des acteurs Rroms en Roumanie et plus généralement en Europe?

En fouillant un peu la presse, jřai vu quřun des acteurs rroms important au niveau du débat qui anime les organisations rromes européennes, et que jřavais rencontré en Roumanie, était venu en France en 2013 pour tenter de poser le problème au niveau supra-statale européen et trans-statal franco-roumain, mais aussi au niveau des organisations de la société civile et des organisations des Droits de lřHomme. Non seulement il nřa pas trouvé dřécho dans les organisations de la société civile mais il a été fortement critiqué, je dirais à la française, pour avoir énoncé que non seulement les termes de lřaccueil en France était indignes mais quřen lřabsence dřune mobilisation conjointe de la société civile roumaine et française, rien ne changerait ni au niveau des Etats français et roumain, ni au niveau de lřOSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) qui était son interlocuteur principal au niveau Européen. Il formulait alors quřen lřétat, les migrants Rroms étaient laissés à la merci des réseaux communautaires et/ou mafieux en Roumanie, sur le trajet et en France, et que cela créait une économie de la dépendance qui renforçait lřemprise communautaire, observant que cela avait notamment pour conséquence très concrète de réintroduire des mariages de mineurs en très jeune âge et autres régressions, dans un processus de compensation communautaire de dette etc.

La réponse quřil reçu après cette déclaration fut soit le silence indifférent, soit une critique radicale comme quoi en se prononçant ainsi il ne faisait quřaccréditer lřamalgame, les stéréotypes et la dégradation dont sont lřobjet les Rroms.

Jřai tenté de réfléchir au problème et jřai retenu finalement deux pistes possibles pour approfondir sa formulation. La première piste concerne les catégories de considération du statut des Rroms, comme des pauvres ou comme tout autre sujet exposé à la violence de la précarité sans autre protection que le secours de lřassistance, entre victime et/ou assisté ou bien, à lřopposé, sous tout attribut caractérisant le doute sur sa présence ( usurpateur, quémandeur…). Dans tous les cas cela conduisait à une définition de type ethnique. Cela par le fait que même quand on définit son état de droit en tant que personne dépendante, lřattribut par lequel on lřinvestit pour en faire un sujet dans la relation de dépendance, de manière à donner sens à lřaction ou simplement à la considération, en fait toujours un sujet étranger.

42 Cřest moins lřethnicité du dépendant dont il sřagit que de celle de celui qui cherche à attribuer un statut de sujet dans la dépendance, cřest-à-dire dans ce cas, le français devant le Rrom dépendant. De ce point de vue, à défaut de la politiser, la catégorisation de lřaltérité du sujet dans la dépendance est toujours un rapport dřaltérité ethno-centré. Les travailleurs sociaux avertis connaissent bien ce travers et la relation détestable quřil introduit dans la dépendance, et apprennent à garder leur distance quitte à paraître un peu sec ou autoritaire plutôt que de piéger les gens quřils assistent dans ce rapport. LřEtat, je dirais plutôt ici l‘Etat endémique, connaît bien ce travers, puisquřil en joue de manière systémique en déléguant une partie de lřassistance à des organismes non professionnalisés qui établissent dřemblée ce rapport biaisé sřils ne politisent pas leur assistance. On peut, par exemple, être surpris de lřattachement des personnels médecins et infirmiers de lřorganisation « Médecin du Monde » à tenir ce type de distance avec les gens de la rue qui dépendent dřeux pour lřaccès aux soins (ce qui nřempêche pas la sympathie, je dirai même que cela la rend possible20). Mais pour lřavoir observé à Lyon, il me semble certain quřils rendent plus service aux gens en procédant de la sorte quřen se laissant aller à adopter reconnaître les personnes dans les termes dřune relation de dépendance. Au final on pourrait formuler la vertu de la pratique de la distance en ces termes. Ne pouvant échapper à la relation de dépendance puisquřelle est objective, autant donner une chance à une altérité en soi de sřexprimer ou non aux marges de la relation de service, en préservant celle-ci de toute interférence relationnelle qui ne relève pas de son objet. Cřest précisément sur ce sujet que travaillait lřéquipe les jeunes Rroms roumains de Rroamni Criss qui est justement lřacteur roumain cité plus haut, lorsque je les ai rencontrés dans lřencours dřun programme dřaccès au soins en Roumanie en 2001.

La deuxième piste pour approfondir la formulation du problème posé par lřacteur Rrom Roumain venu en visite concerne les échelles dřappréhension des problèmes. Il y a dřentrée de jeu la question du périmètre dans lequel on se situe. La Roumanie, cřest dans la plupart de nos raisonnements spontanés de Français au quotidien, hors de notre périmètre de référence. Mais on voit dřemblée quřen ressentant cela ce nřest pas une question de distance mais de portée de notre concernement ou de discernement. Je dirais que cřest un peu comme le périmètre de validité dřune monnaie qui est toujours attachée à une configuration complexe des relations dřéchange. Dans les temps actuels ce sont les échelles de puissance souveraine qui déterminent les aires dřéchange de la monnaie, mais on peut aussi suivre la pensée des

20 Par exemple, il est bien difficile de plaisanter dans un rapport de dépendance en général, encore plus avec quelquřun qui se situent comme étranger dans la dépendance car il lui faudra une grande lucidité pour ne pas interpréter le trait dřhumour en tant quřétranger.

43 trois monnaies de Polanyi : le proximal, le médian et le lointain, qui sont les trois périmètres correspondants à des niveaux et forme dřentente sur la valeur attachée à la monnaie. La monnaie proximale est celle dans laquelle le prix étalonné objectif représente la part la plus faible de la valeur, celle-ci étant pour lřessentiel la valeur politique de lřéchange renvoyant au cadre collectif dřentente dřun groupe ou une communauté de producteurs qui sont en même temps des consommateurs de biens dont le prix est évalué sous lřangle de la nécessité communément admise de produire tel ou tel bien. La monnaie proximale symbolise la valeur de cette nécessité communément admise qui renvoie et décrit en même temps le périmètre de la communauté de valeur, cřest-à-dire une configuration située, qui nřest pas la même que celle de la communauté d‘à côté, de sorte quřon a une monnaie différente pour échanger entre communautés d‘à côté et ainsi de suite. Je mřarrête là pour ce qui est de la référence au

modèle quelque peu viral de ma version de Polanyi pour revenir au problème posé par notre visiteur Rrom. On peut déduire de cela quřil y a une configuration de valeur pour lřacteur Rrom Roumain en question qui nřest pas la même que celle que nous avons en France, ou il y en a certainement plusieurs variantes. Mais on ne sait pas résoudre le problème de savoir à quelle distance se situent ces configurations dans une échelle de proximité-distance des échanges, et cřest selon moi précisément ce quřil faut résoudre, au-delà dřune réduction du problème à un problème de communication, ou dřune invocation de lřuniversalité du sujet, pour envisager de concevoir une possible communauté dřaction (de production Ŕ consommation dirait Polanyi dans le cas des biens échangeables). Il se trouve que les populations ou les communautés Rroms locales ont précisément le même problème avec la société Roumaine que celui quřont rencontré les visiteurs Rroms avec les français, aussi sympathiques soient-ils comme il y a de nombreux Roumains sympathiques. On pressent que dans la consistance de la configuration des aires de valeurs dont on parle ici il ya de lřhistoire et de la mémoire inscrite dans les usages, les lieux et les temporalités de lřactualité. Par exemple comme on le verra dans la thèse lorsque Virgile Ciomos, philosophe roumain rencontré à Cluj nous expliquera que selon lui: « entre toute théorie politique – celle des Droits de l‘Homme en particulier – et sa pratique effective () il existe un hiatus qui remet en question non seulement la pratique () mais aussi la légitimité et la représentativité de notre système politique ()

Loin d‘être un simple accident dans un parcours historique continu () vers une modernité de

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