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Divertissement versus 7 e art : quelles consommations possibles ?

B.  La politique de l’offre chez l’UGC‐Ciné‐Cité La Défense, pour quelle diversité de consommation ? 

2. Divertissement versus 7 e art : quelles consommations possibles ?

Lorsque l’on aborde le cinéma « d’art et essai » on pense au cinéma artistique, et de fait aux artistes, aux orfèvres du cinéma. On pense donc au cinéma comme « art ». Difficile alors de comprendre comment certains blockbusters, même si une efficacité certaine, un travail et des talents sont clairement identifiables, qui ne possèdent que rarement une autonomie de pensée, pourraient rejoindre cette histoire du cinéma en tant que 7e art. Le cinéma, est aussi, un divertissement, comme le théâtre, et tous les spectacles, mais peut être plus encore, en ce qu’il est un média de masse. Pourquoi opposer le contenu artistique au divertissement ? D’autant plus que ces notions peuvent être perçues de manière différente selon le regard qui se pose dessus : un spectacle cinématographique peut être par exemple divertissant parce que justement enrichissant sur le terrain artistique et expérimental.

Dans un texte d’Alain Badiou, « du cinéma comme emblème démocratique »195, ce dernier décortique par la philosophie le rapport entre art de masse et élitisme. Pour commencer, il entend par art de masse, le fait que des chefs d’œuvre « que la culture savante –ou dominante, peu m’importe- déclarés incontestables, sont vus et aimés par des millions de gens de tous les groupes sociaux au moment même de leur création. »196 Il insiste ainsi sur plusieurs composantes : le fait que le cinéma soit un art, ainsi donc « l’art de masse » renvoie au succès massif d’une œuvre artistique telle que reconnue par la culture dans sa globalité ; il insiste également sur le caractère contemporain de l’œuvre qui fait la force d’un succès dans l’immédiateté de la production de l’œuvre. Ces phénomènes de succès large au présent se produisent, Alain Badiou évoque à cet effet les films de Charlie Chaplin, qu’il range sous la catégorie qu’il baptise « l’humanité générique, soit l’humanité soustraite à ses différences »197 où Charlot est « un représentant de l’humanité « populaire » »198 ; mais il évoque aussi L’Aurore de Murnau et son incroyable succès aux Etats-Unis. Pourtant « l’art de masse » est pour Alain Badiou une notion paradoxale en ce qu’elle renvoie par la masse à une catégorie politique propre au communisme ou du moins à la « démocratie active »199 d’une part et à la nature aristocratique de l’art d’autre part (par sa refonte formelle, sa sophistication et sa complexité). Selon lui, le cinéma est par essence, de part l’image un art de masse en ce que l’image est justement hypnotique et fascinante, pour son rapport à la réalité, son trouble

195 ALAIN BADIOU, « Du cinéma comme emblème démocratique », dans Critique Cinéphilosophie 692‐693,  Revue générale des publications françaises et étrangères, édition de Minuit, 2005  196 Ibidem, page 5  197 Ibidem  198 Ibidem  199 Ibidem, page 6 

ontologique. Ensuite, en ce qu’il transforme le temps en perception, pour reprendre Deleuze, il déplace le temps en représentation vécue comme « organisation distanciée du temps »200, ce qui donne au moment vécu de la projection un caractère enchanteur. Il considère aussi que le cinéma peut emprunter aux autres formes artistiques mais qu’il opère une sorte de « démocratisation en acte »201 des autres arts, les rendant plus accessibles, directs, moins complexes et élitistes. Aussi, le rapport entre l’art et le non art qui caractérise le cinéma, parce qu’impur, parce que prélevant toujours une portion des éléments non artistiques, fait de lui un art de masse, vulgaire et accessible quand bien même le film contiendrait un raffinement extrême : il est possible de le pénétrer par le non art, et ensuite de s’élever à l’art, de se laisser happer par l’artistique, l’esthétique, la construction. Enfin, le cinéma apparaît pour Badiou comme le « réservoir de figures de la conscience »202 , en ce qu’il « propose une sorte de scène universelle de l’action »203, où la figure humaine, confrontée à des dilemmes et réalités, agit en miroir de la condition humaine du spectateur.

De ce point de vue l’opposition entre art et phénomène de masse, constitue le fondement même du plaisir de cinéma. Cette opposition triviale, est aussi truculente que l’étaient les tragédies grecques que Badiou nomme « le cinéma de l’Antiquité »204. De ces innombrables spectacles, ne sont venus jusqu’à nous que des chefs d’œuvres immanents ayant survécus au temps, mais des milliers de « navets »205 ont exercés leurs charmes pour donner corps aux mille conflits de la vie humaine. Sans pour autant opérer de distinction entre les chefs d’œuvre cinématographique et le cinéma reconnu par telle ou telle instance de légitimation, Alain Badiou démontre comment le cinéma est par essence, un art irrémédiablement tourné vers l’humanité, le quotidien, le populaire, quand bien même des talents d’essence aristocratiques opéreraient. Ce qui rend alors le chef d’œuvre de cinéma possiblement accessible, ce qui n’a jamais été le cas de la peinture, de la littérature, de la poésie etc. dans les mêmes proportions. L’histoire du cinéma nous indique effectivement que certains films ont réussi pour « certaines grandes œuvres, à joindre les deux bouts »206.

200 Ibidem, page 8  201 Ibidem, page 9  202 Ibidem, page 7  203 Ibidem, page 11  204 Ibidem  205 Ibidem   206 MICHEL REILHAC, FREDERIC SOJCHER, Plaidoyer pour l’avenir du cinéma d’auteur, Archimbaud  Klincksieck, 2009, propos de Frédéric Sojcher, page 16 

3. Quelle expérience de l’art et essai à l’UGC‐Ciné‐Cité la Défense pour quelle