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39.- La flexibilité et la notion floue de concurrence déloyale - Les règles

régissant les comportements déloyaux ont généralement une structure similaire dans les

Etats disposant d’une loi spéciale sur la concurrence déloyale et dans les Etats dans

lesquels elles résultent d’une construction prétorienne

155

. Une clause générale de

définition des actes de concurrence déloyale ou des pratiques commerciales est assortie

d’une liste non limitative des comportements illicites ou illégaux. La plupart des Etats

se sont en effet inspirés du modèle de l’article 10 bis de la Convention d’Union de

Paris, qui constitue, de facto, un socle commun

156

. La concurrence déloyale est une

notion indéterminée, qui ne peut être étudiée sans son corollaire, le standard de la

loyauté de la concurrence. La clause de définition générale est en effet similaire dans

tous les Etats : le comportement (l’acte) doit être apprécié en fonction du modèle de

standard de comportement fourni par l’article 10 bis de la Convention d’Union de Paris

(de manière générale, les usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, la

loyauté). Le caractère extrêmement flexible du modèle proposé par l’article 10 bis

donne ainsi aux Etats contractants une marge de manœuvre importante quand à la

détermination du caractère déloyal de tel ou tel comportement.

40.- En l’absence de disposition législative précisant les actes de concurrence

déloyale interdits (per se ou à certaines conditions), l’appréciation du respect du

standard de comportement est laissé à la libre appréciation des juges nationaux. Le

154C. ZOLYNSKI, Méthode de transposition des directives communautaires. Etude à partir de l’exemple du droit d’auteur et des droits voisins, Préf. de P.-Y. Gautier, Nouvelle Bibliothèque de thèses, Dalloz, Paris, 2007, spéc. p. 141, §191.

155 Sur les solutions retenues dans les divers droits nationaux, se reporter aux références citées supra, note 128.

choix d’une délégation implicite au juge de la qualification du comportement en cause

grâce à une notion indéterminée traduit l’approche pragmatique de la matière. La

flexibilité de la clause générale remplit en effet une fonction importante, dans la mesure

où elle garantit l’adaptabilité de la matière à l’évolution du monde des affaires, et

permet de «dominer la diversité des faits

157

». L’utilisation d’une notion à contenu

variable dans la clause générale laisse au juge national une liberté d’appréciation

suffisante pour adapter la notion d’actes de concurrence déloyale aux circonstances de

fait de chaque litige

158

. Le caractère subjectif du standard de comportement

159

garantit

ainsi l’adaptabilité permanente des règles relatives aux actes de concurrence déloyale à

tous les nouveaux types de comportements

160

. Le choix d’une notion indéterminée

comme élément de la règle de droit révèle donc la volonté politique des Etats de

permettre que cette notion puisse avoir un sens, et par conséquent un contenu, différent

selon les systèmes juridiques

161

.

157

E. ULMER, « Le droit de la concurrence déloyale et le marché commun », op. cit., spéc. p.36.

158 Voir par exemple P. BOLLA, « Rapport sur la possibilité de réaliser une certaine unification en matière de concurrence déloyale », op. cit., p.17, qui considèrait que «dans ce domaine, il faut renoncer à la rigidité abstraite de la norme, pouvant seule procurer la sécurité absolue de l’ordre juridique ; comme d’autre part on ne peut pas non plus avoir une norme pour chaque hypothèse (ce qui signifierait, en définitive, la destruction de la norme), il faut se contenter d’une règle comportant une certaine flexibilité, une certaine adaptabilité aux circonstances de fait, adaptabilité dominée forcément par les exigences de l’équité».

159

La Cour de Cassation française retient comme standard de comportement les usages loyaux du commerce. Elle a fait successivement référence aux usages professionnels, puis aux usages honnêtes du commerce : Cass., com., 29 mai 1967, Bull.IV, ,n°211, qui juge que les « usages professionnels ne sont pas opposables à la victime qui ne faisait pas partie de la chambre syndicale » ; Cass., com., 10 décembre 1974, n°72-13950, Bull.IV, n°325, p.268 ; Cass., com., 26 mai 1983, n°81-14433, Bull.IV, n°149. La position de la Chambre commerciale est apparue plus nuancée de prime abord, en faisant référence aux usages loyaux du commerce, mais en appréciant également le comportement déloyal « compte tenu des particularités du marché très spécialisé où s’exerçaient les activités des sociétés » : Cass., com., 25 juin 1996, n°94-13661. La jurisprudence utilise ensuite seulement le concept d’usages loyaux du commerce : pour un exemple, Cass., com., 1er juillet 2003, n°01-13052.

Dans d’autres pays, le standard de comportement est fixé dans la loi : par exemple, l’article 2 de la loi suisse contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986 dispose qu’est « déloyal et illicite tout comportement ou pratique commerciale qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients ». Le critère subjectif a peu à peu été supplanté, pour apprécier la licéité du comportement en cause, par le critère objectif des effets de l’acte sur un marché ; ainsi, par exemple, des juridictions suisses, qui appliquent les dispositions de la LCD dès lors que « l’activité incriminée exerce des effets directs ou indirects, même sur la position concurrentielle d’un tiers par rapport à l’auteur de l’acte.

160 C. CHAMPAUD, « Les sources du droit de la concurrence au regard du droit commercial et des autres branches du droit applicables en France », op. cit., spéc. p.98.

161 J. J.A. SALMON, « Les notions à contenu variable en droit international public », dans C. PERELMAN et R. VANDER ELST (Ed.), Les notions à contenu variable en droit, Bruylant, Bruxelles, 1984, pp.263-268, spéc. p.263.

41.- Le cantonnement du standard de comportement aux frontières d’un

Etat - Les Etats n’étant pas liés par l’article 10 bis de laConvention d’Union de Paris,

chaque pays élabore les règles qui répondent aux besoins sociaux sur son propre

territoire. De manière générale, le standard de la loyauté qui renvoie aux usages

honnêtes en matière industrielle ou commerciale s’entend, dans la plupart des Etats,

comme l’ensemble des usages en vigueur dans le domaine général du commerce et de

l’industrie

162

. Le caractère indéterminé de la notion d’actes de concurrence déloyale

permet pourtant à chacun des Etats, par l’intermédiaire de ses juridictions nationales,

d’en faire varier le contenu en fonction des besoins spécifiques de son marché

national

163

. Le contenu de la notion est ainsi déterminé par le juge lors de la mise en

œuvre de la règle, en fonction de «la tradition et de la conception des intérêts

protégés

164

» de chaque pays. Ce standard revêt donc une dimension nationale, et il

revient à chaque juge national de déterminer les contours de ces usages honnêtes ou

loyaux

165

. Dans le domaine des actes de concurrence déloyale, le standard de

comportement revêt ainsi une double dimension : temporelle, dans la mesure où il

répond à un principe d’actualité ; spatiale, dans la mesure où chaque Etat le conçoit en

fonction de ses spécificités socio-économiques ou culturelles.

42.- La contrepartie de la flexibilité - L’approche pragmatique est le résultat

d’un choix exprimé lors de l’élaboration des règles applicables aux actes de concurrence

déloyale, et qui répond au besoin, pour les Etats, de pouvoir réguler l’ensemble des

comportements déloyaux se déroulant sur leur territoire. La prévisibilité et la sécurité

juridique ne sont cependant pas garanties aux opérateurs qui exercent des activités

162 Le caractère corporatif du standard des usages honnêtes en matière industrielle et commerciale a également été critiqué ; le standard ne serait pas seulement cantonné aux frontières d’un Etat, mais dépendrait également des conceptions de la branche professionnelle en cause. En France, P. ROUBIER, « Théorie générale de l’action en concurrence déloyale », RTDcom 1948, pp.541-591 ; A. PIROVANO, « La concurrence déloyale en droit français », op. cit.; également M. HÖPPERGER and M. SENFTLEBEN, “Protection against Unfair Competition at the International Level – The Paris Convention, the 1996 Model Provisions and the Current Work of the World Intellectual Property Organisation”, op. cit., spéc. p.64.

163 Par exemple, J. J.A. SALMON, « Les notions à contenu variable en droit international public », op. cit., spéc. p.264, qui considère que «le choix de termes de ce genre postule le souci des Etats de ne pas se lier par un comportement spécifique mais bien de laisser à la norme une grande souplesse d’application en fonction des circonstances de l’espèce».

164 E. ULMER, « Le droit de la concurrence déloyale et le marché commun », op. cit., spéc. p. 36. 165 P. DEUMIER, « De l’usage prudent des « usages honnêtes ». Réflexions sur un –éventuel-malentendu », dans Mélanges en l’honneur de Philippe JESTAZ. Libres propos sur les sources du droit, Dalloz, Paris, 2006, pp.119-133.

transfrontières. Si la flexibilité des règles substantielles régissant les actes de