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CHAPITRE 3- ANALYSE DU DISCOURS INSTITUTIONNEL SUR LA MISE EN PROTECTION

3.2. Discours des acteurs institutionnels : les perceptions des acteurs institutionnels sur la forêt du

3.2.1. Une divergence de perceptions des conditions d’accès et d’usages des ressources entre les

Lors de nos enquêtes nous avons cherché à connaître les règles d’accès et d’utilisation des ressources. Nous avons donc formulé 6 questions qui permettent à la fois de connaître ces règles, les modalités pour les établir et les personnes qui les fixent. Nous voulions aussi savoir si ces règles étaient les mêmes pour les habitants des villages riverains et pour ceux qui viennent de villages et villes non riveraines de la forêt.

Les règles d’accès et d’utilisation des ressources sont établies selon une modalité basée sur des accords de cogestion, entre les porteurs de projet et les populations locales. Ces accords font partie des règles de gouvernance de l’aire protégée. Au niveau de chaque village concerné par le projet, des accords ont été négociés et validés techniquement lors du projet OCB. Seule la validation politique n’a pas été faite. Ces accords ont été révisés dans le cadre du processus actuel de la mise en protection et sont intégrés dans la future loi des aires protégées des Comores. Un document d’avant-projet de loi est élaboré à cet effet. Lors de nos missions de terrain, cette loi n’avait toujours pas été validée et promulguée par l’Assemblée Nationale.

Selon ce projet de loi, un accord de cogestion désigne les modalités d’intervention des communautés locales dans la gestion de l’aire protégée et l’exercice de leurs activités économiques et culturelles. Cet accord a deux aspects pour les communautés locales, autour de leur implication dans la gestion de l’aire protégée et autour des accès à la zone pour exercer leurs activités économiques et culturelles. Notre questionnement portait essentiellement sur le deuxième aspect, afin d’analyser comment les communautés interviennent dans la production de nouvelles règles adaptées aux conditions de ces accords (puis comment leur comportement évolue en fonction de ces règles).

L’article 31 du projet de loi souligne l’intégration des droits d’usage dans les règles de gestion de l’Aire Protégée. Selon cet article, ces règles sont à établir en faisant le nécessaire pour

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respecter les droits d’usages des populations locales : « Les règles de gestion de l’Aire Protégée sont établies en respectant autant que possible les normes et les pratiques traditionnelles observées par les communautés locales concernées dont les droits d’usage » (PNUD, 2017, avant-projet de loi sur les aires protégées). L’article 32 traite les cas spéciaux dans lesquels ces règles peuvent ne pas être strictement respectées. Il stipule que « dans toute Aire Protégée et pour satisfaire les besoins vitaux des populations riveraines en cas d’urgence, de cataclysme naturel, ou pour le respect de leurs traditions, et en l’absence de toute solution alternative, certaines activités ou prélèvements prohibés peuvent être autorisés, sauf dans les ZNP et pendant une période déterminée, par décret pris en conseil des ministres sur proposition du ministère en charge des aires protégées et de l’Agence » (PNUD, 2017, avant-projet de loi sur les aires protégées).

Notre enquêté 5 confirme que les règles de gestion de l’aire protégée doivent être établies en suivant les normes internationales de la conservation, et qu’elles doivent également se conformer à la législation nationale (Enquêté 5, PNUD, entretien réalisé le 27 Mai 2016, acteur intentionnel, à Moroni). Sur ce dernier point, les accords de cogestion doivent être révisés en présence des mairies qui ont officiellement été mises en place depuis 2016, et qui jouent un rôle d’intermédiaire entre le niveau local et le niveau national.

De plus, ces règles régissant l’accès à la forêt et l’utilisation des ressources sont communes et devront être appliquées à tous de la même façon, contrairement aux usages actuels de certaines localités, qui conditionnent et limitent l’accès aux ressources aux non locaux « étrangers » c’est-à-dire les personnes qui n’habitent le village. Ces règles d’accès à la forêt définies de façon à ne pas prendre en compte la distinction de la provenance des personnes vont à l’encontre des pratiques coutumières locales de certains villages, où les règles d’accès à la forêt ne sont pas les mêmes entre les villageois mais encore plus avec ceux provenant d’autres villages. Dans certaines localités par exemple, le fait d’appartenir au village ou à la communauté permet de disposer d’un champ libre, d’accéder et d’utiliser les ressources du village. Les personnes qui viennent d’autres villes et villages doivent, quant à elles, demander une autorisation aux autorités locales pour avoir ces droits. Pour être considérée comme un membre du village, une personne doit fonder une famille dans le village en ayant un(e) conjoint(e) du village. Nous voyons donc ici apparaître une divergence de vision entre les autorités locales et les acteurs institutionnels dans la réglementation de l’accès et les usages des ressources. Les gens venant de villages ou villes externes n’auront pas de règles différentes de celles appliquées aux villageois de la localité concernée.

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Dans le cadre du processus actuel de la mise en protection, les autorités tiennent à ce que les règles négociées pour les accords de cogestion soient scrupuleusement respectées, même s’il faut attendre que le processus aboutisse pour confirmer leur application et respect effectifs. Certains acteurs institutionnels sont conscients des difficultés pour faire respecter ces règles. En effet, ils font le constat du manque d’application et de respect des textes règlementaires déjà existants, comme par exemple la loi N° 12-001/AU du 09 juin 2012, relative à la gestion des forêts du pays.

« Ces règles ne sont ni scrupuleusement appliquées ni respectées. Du moins on sait que

le processus de mise en protection est en cours et il n’y a pas pour l’instant de la rigueur quant à l’application et le respect de ces règles. Donc, il faudrait plutôt attendre que le processus de la mise en protection aboutisse pour confirmer l’application et le respect effectifs de ces règles. Toutefois, je peux te dire que les textes règlementaires déjà existants comme par l’exemple la loi sur la gestion des forêts dans le pays ne sont pas scrupuleusement respectés ». (Enquêté 1,

DGEF, 10 Mai 2016 à Mdé, traduit par l’auteur).

Aux dires de nos interlocuteurs, les accords de cogestion négociés en 2007-2008 entre les autorités compétentes et les populations locales ne sont ni scrupuleusement appliqués ni respectés (Enquêté 1, DGEF, 10 Mai 2016). Le processus de mise en protection n’avait pas abouti à cette période-là. Les raisons du manque de respect de ces règles sont dues au fait que l’État n’a pas les moyens nécessaires pour les appliquer, soulignent les enquêtés 3, 4 et 5. Ils préconisent la mise en place d’écogardes pour veiller à l’application scrupuleuse des conditions d’accès et d’usages des ressources.

L’application et le respect de ces accords de cogestion dépendront fortement de la volonté politique pour mettre en place les moyens techniques, financiers et humains nécessaires. L’expérience dans le pays montre que les mesures souvent prises dans les projets sont peu respectées à cause du manque de pérennisation des projets. Après la fin des projets, les mesures deviennent obsolètes car les bénéficiaires ne s’approprient pas pleinement les activités des projets. De fait, le plus grand défi auquel nos interlocuteurs du niveau local se déclarent confrontés est de créer un dispositif qui assure la durabilité de ces accords (Enquêtés 5 et 6,

entretiens le 27 Mai 2016, au PNUD –Moroni). La création de l’Agence nationale des aires

protégées des Comores, structure nationale autonome, vise avant tout à assurer la durabilité de la volonté politique. Trouver un terrain d’entente qui garantisse la gestion durable des aires

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protégées (Le Roy 2017) est un des enjeux majeurs de la négociation sur les accords de cogestion (Enquêtés 5, entretien le 27 Mai 2016, acteur institutionnel national) :

[A dire d’expert, retour d’expérience de 10 ans passés à la direction du Parc national de Mohéli] « Nous avons rencontré des étapes où les communautés ne voulaient pas qu’on leur

parlait de protection d’espèces d’oiseaux, des habitats naturels. Au contraire elles voulaient qu’on leur parle d’actions de développement socioéconomique. Leur interdire de couper les arbres, de chasser les oiseaux ne signifie rien pour elles. En leur parlant des conséquences environnementales potentielles à venir dans dix ans liées à la coupe des arbres, elles répondent qu’elles savent cela depuis fort longtemps à partir des connaissances de leurs ancêtres. Elles rajoutent que dans cinq ans elles ne seront peut-être plus vivantes. Ainsi vu de cette expérience, en tant que dirigeant du parc j’ai constaté que nous passions beaucoup de temps à chercher l’adhésion des communautés » (Enquêtés 5, entretien le 27 Mai 2016, acteur institutionnel

national, traduit par l’auteur).

Toutefois, cet acteur a souligné que malgré cela, les communautés avaient adhéré massivement aux projets durant les deux premières années, mais qu’elles s’étaient désengagées quand elles n’y ont plus trouvé d’intérêt. Cet enquêté a tenu à montrer l’importance de mettre en place une Agence nationale des aires protégées pour garantir la pérennité de la politique de conservation de la biodiversité du pays.

3.2.2. Une Agence nationale des aires protégées pour pérenniser le projet du Parc National de la