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CHAPITRE 1 PRÉSENTATION DU CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL DE LA

1.2. Psychologie de la conservation et conservation de la biodiversité

1.2.2. Déconnexion et reconnexion avec la nature

La « déconnexion » d’avec la nature a été théorisée par deux hypothèses complémentaires. La première, développé par l’écologue et naturaliste Robert M. Pyle (1978) et reprise par Jim Miller (2005), s’appelle « l’extinction de l’expérience [de nature] ». Robert Pyle explique que la crise de la biodiversité concerne aussi les espèces que nous côtoyons tous les jours. Pour lui, sans un contact régulier avec la nature en tant qu’enfant, nous entrons dans un cercle vicieux : le manque d’expérience de nature lié à la crise de la biodiversité entraine notre désintérêt vis-à-vis de celle-ci, qui participe à sa diminution dans nos espaces de vie et donc à l’accroissement de son érosion (Prévot et Fleury 2017). Robert Pyle pointait les villes comme origine du problème, mais nous pouvons souligner que les milieux ruraux et forestiers subissent la même dégradation des habitats et de la biodiversité, et sans doute une diminution similaire des expériences de nature.

La seconde hypothèse est celle développée de façon indépendante par le psychologue de l’environnement Peter Kahn Jr. selon laquelle il existerait une « amnésie environnementale

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générationnelle ». Il a publié en 2002 un texte portant sur cette hypothèse dont nous reprenons ici la traduction faite par Anne-Caroline Prévot en 2017 (p. 106) :

« Je pense que nous considérons l’environnement naturel dans lequel nous grandissons comme la référence qui nous servira à mesurer les dégradations environnementales plus tard dans nos vies. De génération en génération, les dégradations de l’environnement augmentent, mais chaque génération considère le niveau dégradé dans lequel elle grandit comme un niveau non dégradé, comme un niveau normal. J’appelle ce phénomène psychologique l’amnésie environnementale générationnelle. »

Les résultats de plusieurs études récentes convergent et sont compatibles avec ces hypothèses. Nous pouvons en citer quelques-uns. Selon une équipe de chercheurs américains (Saenz-Arroyo et al. 2005), des pêcheurs californiens de différentes générations évaluent l’état des stocks de poissons différemment, les pêcheurs les plus âgés les considérant en moins bon état que les jeunes pêcheurs. Autres exemples : une étude réalisée en 2012 au Canada a montré que les illustrations des livres d’enfants publiés entre 1938 et 2008 représentaient moins de paysages de nature et de plus en plus de paysages bâtis à mesure que les années de publication avancent (Williams et al. 2012). En 2015, Anne-Caroline Prévot et collaborateurs ont pointé le même phénomène dans des longs-métrages produits par Walt Disney entre 1937 et 2010. Ils ont montré que les représentations des paysages extérieurs évoluaient avec les générations de dessinateurs de livres pour enfants et de dessins animés. Une étude très récente réalisée par des chercheurs anglais indique un phénomène similaire (Kesebir et Kesebir 2017) : la diminution du nombre de termes relatifs à la nature dans les dictionnaires, les films de sciences fiction, la vidéo, depuis 1950. Ces auteurs parlent d’une déconnexion significative à la nature dans le domaine culturel. Un article de presse paru dans les colonnes du journal Le Monde20 portant le titre « On a coupé les enfants de la nature » alerte sur le phénomène de déconnexion des enfants à la nature. Il montre que 4 enfants sur 10, âgés de 3 à 10 ans ne jouent jamais dehors pendant la semaine. La journaliste rapporte auprès de spécialiste de l’éducation que les enfants quand ils sont soustraits de la nature perdent le contact physique avec elle et ne développent pas le sens du toucher, de l’odorat relatif à la nature. Cela a des conséquences sur l’équilibre mental. La non fréquentation des espaces naturels fait qu’ils ne connaissent par ailleurs pas le danger en milieu naturel. Pour illustrer l’ampleur du phénomène, l’article présente des chiffres issus

20 On a coupé les enfants de la nature. Paru dans les colonnes du journal le Monde du 0/05/2018 pointe le

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d’une étude du Manhattan college à New York qui relève que si 71 % des mères jouaient dehors chaque jour quand elles étaient petites, seules 26 % de leurs propres enfants en font autant. Parmi les multiples raisons qui poussent les enfants à rester chez eux sans contact avec la nature, sont mentionnées entre autres les écrans, l’emploi du temps surchargé, la peur de l’insécurité. Pour certains auteurs, le taux d’urbanisation et la fragmentation des habitats naturels en milieu urbain favorisent aussi la déconnexion. Ces raisons conduisent à ce que la nouvelle génération passe plus de temps à l’intérieur de leur domicile. Or, jouer dans la nature est essentiel au développement humain. Dans cet article, la journaliste cite Anne-Caroline Prévot, qui exhorte à ce que « les enfants jouent dans la nature : explorer de façon libre, sans contrainte, sentir,

toucher... C’est indispensable pour que la nature entre dans leur identité personnelle. Ces expériences précoces sont aussi fondamentales que les connaissances. On protège ce qu’on aime. Sans ça, la théorie ne sert à rien ». La déconnexion a aussi des conséquences sur le

développement des connaissances. James R. Miller (2005) portant sur la conservation de la biodiversité et l’extinction de l’expérience de nature, reporte qu’une étude réalisée à Perth en Australie a montré que les enfants de niveau primaire faute d’être en contact avec la nature, ne savaient pas que le lait provenait de vaches et que le coton de leurs habits provenait de plantes (Miller 2005). Ces conséquences de la déconnexion sur les connaissances pourraient également avoir une influence sur les attitudes et les comportements des enfants vis-à-vis de la conservation. Selon la littérature scientifique, les expériences de nature contribuent au développement de l’identité des enfants, mais aussi leurs attitudes et la volonté d’entreprendre, dans le futur, des actions en faveur de la conservation. Dès 1998 Louise Chawla suggérait que des expériences de nature « signifiantes » pendant l’enfance pouvaient entrainer des engagements ultérieurs pour la cause environnementale. Plus récemment, dans une étude réalisée par Masashi Soga et collaborateurs. (2016) sur 397 enfants japonais, les auteurs ont cherché à analyser la relation entre la fréquence de fréquentation de la nature, les expériences de vicariance de nature et les attitudes en faveur de la conservation. Ces chercheurs ont trouvé une relation significative et positive entre l’expérience de nature directe, les expériences de vicariance et la volonté des enfants à développer des comportements en faveur de la conservation de la biodiversité. Le contact direct des enfants avec la nature semble donc important pour qu’ils intègrent des attitudes en faveur de la conservation de la biodiversité.

Ainsi, un nombre croissant de chercheurs préconise d’accroître les expériences de nature pour plusieurs raisons : le bien-être, le développement des capacités mentales, les

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connaissances et l’ancrage d’une identité en lien avec la nature dans le développement personnel. Les expériences de nature sont globalement encouragées pour toutes les générations, car elles joueraient un rôle important dans l’impulsion des comportements pro- environnementaux (Prévot et al. 2018). Deux questions se posent sur ces expériences de nature : de quelles nature(s) parle-t-on ? De quelle (s) expérience(s) s’agit-il ?