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CHAPITRE 1 PRÉSENTATION DU CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL DE LA

1.1. Perspectives historiques des grandes orientations de la conservation de la biodiversité

1.1.3. Approches actuelles de la conservation : mécanisme de production et de gestion des aires

Parallèlement aux réserves de biosphères de l’UNESCO, les grandes orientations de la conservation de la biodiversité témoignent d’un passage de la « protection intégrale » à la « protection intégrée » notamment à travers l’évolution des normes de conservation de l’UICN, en particulier pour ce qui concerne les normes de création et de gestion des parcs nationaux, qui sont celles retenues pour la forêt du Karthala aux Comores (voir chapitre 3).

Pour l’UICN, le cadre actuel de création des aires protégées se fait de manière stratégique en identifiant, à l’échelle locale, la zone à conserver, en vue de la classer potentiellement en aire protégée. Cette approche adoptée par les spécialistes de la conservation au sein de l’UICN, se fonde sur une étude de la biodiversité dans la zone concernée en vue de préciser les orientations à adopter afin d’arriver à créer le parc. L’étude de cette biodiversité à elle seule ne suffit cependant pas. Elle est accompagnée très souvent par une étude d’impact social et environnemental qui détermine les effets socio-économiques potentiels que peut engendrer la mise en réserve pour les populations locales. La validation de telles études permet de déterminer l’objectif de conservation, la nature de l’aire protégée et le type de gouvernance le mieux adapté au contexte. Les pays du Sud doivent aujourd’hui se référer à ces normes de l’UICN pour créer des aires protégées qui pourront apparaître dans la liste de cet organisme.

Par rapport à ces normes, la première étape est de voir si effectivement le site à conserver répond à la définition d’une aire protégée telle que définie au sein de l’UICN. Selon cette organisation, une aire protégée est «un espace géographique clairement défini, reconnu,

consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés »17 (Dudley 2008, p.21). Lorsque le site à conserver répond à cette définition, la

17 Les lignes directrices sont présentées pour aider à l’application des catégories d’aires protégées de l’UICN, qui

classifient les aires protégées en fonction de leurs objectifs de gestion. Les catégories sont reconnues par les organes internationaux tels que les Nations unies et par de nombreux gouvernements nationaux comme étant la norme globale pour définir et enregistrer les aires protégées. En tant que telles, elles sont de plus en plus souvent intégrées dans les législations nationales.

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seconde étape est de décider à quelle catégorie d’aire protégée de l’UICN ce territoire va pouvoir être associé.

L’UICN a ainsi établi une classification d’aires protégées en fonction de leurs objectifs de gestion. Ladite classification contient six catégories d’aires protégées. Les catégories 1 à 3 correspondent aux zones les plus naturelles possibles. Elles doivent être gérées avec un objectif de conservation stricte. Les catégories 4 à 6 concernent des zones où les activités humaines sont présentes et au sein desquelles les mesures de conservation intègrent la présence de ces activités.

Mais quelle que soit la catégorie, l’UICN insiste sur l’objectif premier des aires protégées qui est d’assurer la conservation des espèces et de leur viabilité génétique, et d’assurer également le renouvellement des processus naturels qui animent les écosystèmes (Mengue- Mendou 2002 ; Dudley 2008). Ceci fait écho à ce qui est écrit dans l’article 8 de la Convention sur la diversité biologique et donc dans la stratégie mondiale de conservation de la biodiversité. Les aires protégées sont des outils de conservation au cœur de cette stratégie. Elles sont généralement représentatives de zones écologiques ayant conservé l’essentiel de leurs caractéristiques physiques et biologiques. L’éducation du public, la recherche scientifique, sont également des objectifs importants lors de la création d’aires protégées. L’aire protégée de la forêt du Karthala est classée sur la catégorie 2 de l’UICN c’est-à-dire un parc national.

C’est par rapport à la stratégie mondiale de la conservation et les critères de l’UICN que l’État comorien a lancé depuis 2015 le projet de développement d’un réseau national des aires protégées terrestres et marines représentatives du patrimoine naturel unique des Comores et cogérées avec les communautés locales (projet RNAP18).

La législation nationale comorienne a précisé le statut des aires protégées dans la Loi- cadre sur l’Environnement (LCE - Loi N° 007/AF 1994, rév.1995, consolidée 1999). Mais cette loi n’a pas défini très clairement ce qu’est une aire protégée même si ces dernières sont régies par les articles 46, 47, 48 et 49 de cette loi. Les descriptions de l’aire protégée concernent les caractéristiques de la zone. La loi précise aussi qu’une partie du territoire national peut être classée en parc national ou réserve culturelle lorsque cela présente un intérêt exceptionnel du

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point de vue esthétique, scientifique, écologique ou culturel, et qu’il convient de préserver ces espaces des activités humaines destructrices.

L’Agence des aires protégées des Comores étudie la mise en place d’une loi spécifique aux aires protégées qui permettrait de palier à certaines lacunes procédurales concernant le mécanisme de création d’aires protégées aux Comores. Au-delà de la volonté politique d’instaurer un cadre procédural clair, cette nouvelle loi devrait proposer une définition claire des aires protégées qui s’appuie sur celle de l’UICN de 2008. Elle devrait décrire les étapes à suivre pour mettre en place des organismes permettant d’assurer la gestion administrative des aires protégées.

Ainsi, en dressant cet historique sur les logiques des grandes orientations de la conservation, nous voulions rappeler quelques temps forts des politiques internationales en présentant les visions des acteurs institutionnels internationaux qui ont joué un rôle important dans la sensibilisation aux questions touchant aux liens entre conservation et développement. Mieux comprendre ces liens nécessite de mobiliser certaines théories des sciences humaines et sociales. Dans ce travail nous proposons de nous intéresser à la psychologie de la conservation – et en particulier à l’analyse des représentations sociales de la nature – pour mieux comprendre comment les enjeux de conservation globaux se déclinent à des échelles nationales et locales. En effet, la manière dont la crise de la biodiversité est perçue à une échelle globale peut ne pas être la même à des échelles locales. D’où l’intérêt pour nous, dans cette thèse, de comprendre les différentes perceptions qui peuvent entrer en conflit, ou au contraire converger, dans le cadre de la mise réserve de la forêt sur un territoire donné, en l’occurrence ici la création du parc du Karthala.

Ceci nous permettra de faire écho aux recommandations de la Convention sur la diversité biologique (CDB) concernant la place que doivent prendre les populations locales dans les enjeux de conservation. Pour rappel, la CDB signée à Rio en 1992 est le résultat d’un long travail réalisé suite à une demande émanant des pays détenteurs d’une importante biodiversité, comme le Brésil. L’article 8 de cette Convention fait mention des connaissances, innovations et pratiques des populations autochtones et locales. Il préconise de respecter, préserver et maintenir les connaissances de ces populations qui incarnent des modes de vie traditionnelles présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité

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biologique. Il souligne clairement l’importance des connaissances des populations locales dans la conservation. Par extension à la CDB, la Convention africaine de la conservation d’Alger, révisée à Maputo (2003), a aussi statué sur les droits des communautés locales. La Convention reconnait le respect des droits traditionnels des communautés locales : droits d’accès, de propriétés intellectuelles des connaissances et d’une prise en compte de celles-ci dans les processus de gestion des ressources naturelles.