• Aucun résultat trouvé

Distributivité prédicative interne aux pluralités comptables

1.3 Sémantique des pluriels

1.3.2 Les prédications plurielles

1.3.2.3 Distributivité prédicative interne aux pluralités comptables

Les prédicats structurant leurs arguments par parties, dits « part-structure-sensitive prédicates » (Moltmann, 2012) segmentent leur(s) argument(s) pluriel(s) comptables en parties ou en sous-groupes pour des opérations de distributivité interne. Schwarzschild (1996) considère que les divisions internes d’une pluralité (ou d’une collection), en sous-collections sont déterminées

contextuellement. Par exemple (58) peut être interprété collectivement ou distributivement par

rapport à des sous-groupes de boîtes.

(58) Les boîtes sont lourdes.

Les exemples (60-62) supposent des processus interprétatifs cognitivement complexes. L’exemple (59), est un cas de prédicat indexé ambiguë, selon la classification de Dowty (1987) : le verbe

compter n’est validé syntaxiquement qu’avec un argument « Objet » pluriel mais il implique un accès aux individus de la pluralité (ici des deux pluralités) pour opérer leur indexation sur l’échelle des nombres entiers positifs. L’ambiguïté provient du fait que le comptage peut porter sur la somme des deux pluralités ou sur chacune d’entre elles, celle des étudiants et celle des étudiantes. Selon le cas, on aura un ou deux évènements.

(59) Jean compte les étudiants et les étudiantes.

Dans l’exemple (60), c’est la lecture interne c’est-à-dire la lecture où l’anaphore les autres n’est pas résolue par la localisation d’un antécédent externe à la prédication qui est examinée ici. Dotlacil (2010) suit les approches « doubly anaphoric » développées par Heim et al. (1991), entre autres, pour la modélisation des anaphores réciproques semblables à (60) : dans les lectures internes de ce genre d’expression, chacundes autres est supposé nécessiter la construction d’un domaine de sélection équivalent à un défini pluriel (les marins) que les anaphores chacun… les autres vont partitionner en un individu et son ensemble complémentaire, opération qui va se répéter pour chaque individu du domaine de sélection. Ces opérations s’effectuent en interne et ne donnent lieu qu’à un seul évènement.

(60) Chacun des marins était jaloux des autres.

Dans l’exemple (61), l’argument interne comptable, les étudiants, se voit constituer en paires d’individus qui sont comparées : toutes les combinaisons possibles des éléments du domaine de

60

sélection (les étudiants) pris deux à deux sont envisagées de façon à ce que Jean ne confonde aucun

étudiant avec un autre. Si on se réfère à la modélisation méréologique, l’ensemble des paires correspond à toutes les « sommes » de deux individus du domaine de sélection, les étudiants

(sommes désignées comme « proper sum » dans la modélisation). Dans cette combinatoire l’ordre des éléments appariés n’a pas d’importance, le prédicat confondre établissant une relation de symétrie entre les membres de chaque paire (Borillo, 1971 ; Pasero et al., 2011), c’est-à-dire qu’il rend possible la permutation des éléments de chaque paire sans changement sémantique. Selon la classification de Dowty (1987), cette prédication rentre dans la catégorie des prédications qui ont des implications à la fois collectives et distributives. L’évènement associé compte pour un.

(61) Jean ne confond pas les étudiants.

L’exemple (62) est une construction pronominale réciproque : la pluralité « Sujet » y est coréférente au groupe objet direct (se), la coréférence des arguments dans ces constructions marquant un retour de l’objet vers le sujet dans une réalisation morphosyntaxique où l’objet ne recouvre pas une entité référentielle au sens plein du terme (cf. Introduction et 2.2.1). Ce caractère d’ « indistinction entre l’argument initial et l’argument final » (Riegel, 1998), confère à cette prédication les caractéristiques d’une distributivité interne à la pluralité argument (Dotlacil, 2010).

(62) Les étudiants se connaissent.

Selon Dotlacil (2010), le modèle cognitif le mieux adapté au traitement de cette prédication n’est pas le modèle dit « doubly anaphoric » qui a permis de rendre compte de l’exemple (60) : le schéma procédural de l’exemple (61) est mieux à même de le modéliser moyennant quelques adaptations. L’argument pluriel « Sujet », les étudiants, constitue là aussi le domaine de sélection à partir duquel vont se constituer des paires d’éléments : chaque étudiant est apparié avec chacun des autres étudiants, en autant de paires qu’il y a de possibilités de combinaisons deux à deux des éléments du

domaine. L’ordre des éléments appariés n’a pas d’importance. En tant qu’arguments du prédicat se

connaître, les éléments internes à chaque paire entrent en relation de réciprocité : ils occupent l’un vis-à-vis de l’autre des fonctions argumentales complémentaires que, par analogie avec les fonctions syntaxiques classiques, on pourrait qualifier de « proto-rôles » thématiques sujet-agent et objet-patient (Dowty, 1991). En tout état de cause, ces rôles, bien qu’interchangeables, restent distincts en permanence. A ce titre, les prédicats réciproques se distinguent des autres types de prédicats (au moins en français) du fait d’une construction syntaxique dont l’argument est duel : les arguments pluriels ne valent que par les possibilités qu’ils offrent de générer des paires.

61 Remarquons que si ce schéma procédural se confirmait, il y aurait une double distributivité dans les prédications plurielles réciproques : la distributivité interne aux paires et la distributivité du prédicat sur l’argument pluriel comptable, qui relève de la segmentation de cet argument en sous-parties (qui sont des paires), comme dans tout processus de distributivité interne (exemple du prédicat

compter les étudiants où les sous-parties sont des individus). Le traitement de ce prédicat réciproque construit autour d’un verbe statif est associé à un seul évènement, mais ce n’est pas toujours le cas des prédicats réciproques (voir 2.2.1.1). Lorsque la pluralité de la prédication réciproque est réduite à deux membres, la relation de réciprocité s’applique à la paire qu’ils forment de façon transparente. Avec une pluralité de plus de deux membres, le nombre de paires auxquelles s’appliquent la relation de réciprocité dépend du prédicat et du contexte : si la combinatoire est exhaustive comme dans l’exemple (62), la réciprocité est dite « forte » ; mais ce n’est pas toujours le cas. Dans un énoncé comme (63), les paires constituées sont aléatoires ou restent vagues : on parle alors de réciprocité « faible » (Dalrymple et al. 98).

(63) Les hommes se battent.

L’examen de la distributivité interne met en évidence des traitements cognitifs plus complexes encore que ceux examinés dans les paragraphes précédents :

opérations d’appariement des éléments d’une pluralité avec les cardinaux dans les lectures

collectives (exemple (59)) ;

opérations de regroupement d’éléments au sein d’un tout plus ou moins cohésif (exemples

(60), (61) et (62)) ;

opérations de constitution de binômes toujours au sein des pluralités (cf. les paires en relation de symétrie de l’exemple (61) et les paires en relation de réciprocité de l’exemple (62)) ;

opérations de distribution d’éléments d’une pluralité sur une entité unique ou multiple dans

les lectures distributives (exemple (60)), dont les opérations d’association cumulatives (exemple (55) du 1.3.2.2) ;

opérations de résolution anaphorique au sein même des pluralités (cf. les entités

62 de l’exemple (60), mais aussi les exemples d’emploi des adjectifs de similitude et de dissemblance « même » et « différent » mentionnés en 1.1.3).

La diversité de ces traitements et leurs possibles applications aux dynamiques discursives suggèrent qu’un noyau de processus primaires sous-tend les opérations interprétatives à l’œuvre dans la compréhension des liens entre référents.

63

Chapitre 2. Structure linguistique des

formes étudiées

Ce chapitre est consacré à l’examen des caractéristiques syntaxiques des constituants sélectionnés dans nos items de test.

Comme le montrent les sections précédentes, le statut d’une pluralité dépend de l’interaction de sa forme syntaxique (formes coordonnées, définis pluriels, indéfinis pluriels, pluriels quantifiés) et du sémantisme du noyau verbal. L’hypothèse générale des tests conduits dans ce travail est que la compréhension des prédications plurielles est plus ou moins complexe, donc plus ou moins rapide, selon les opérations mises en jeu dans l’interaction entre la forme syntaxique de la pluralité et le sémantisme du prédicat. Partant de l’équivalence des constructions intransitives et discontinues (construction comitatives) des prédicats symétriques, nous avons croisé deux formes d’introduction des référents — une forme plurielle coordonnée et une forme dispersée via un syntagme comitatif — et trois catégories de prédicats — réciproques, distributifs et collectifs — dans un plan d’expérimentation split-plot, explicité dans la partie expérimentale de ce travail.

Selon Asher et Wang (2003), les liens entre individus élaborés dans une phrase d’accueil constituent le point de départ d’une résolution pronominale, lors d’une reprise ultérieure d’un ou de plusieurs référents. Une reprise anaphorique d’un référent pluriel dans un énoncé subséquent peut, en effet, soit conserver la même interprétation que son antécédent, soit donner lieu à réinterprétation du fait des caractéristiques du prédicat en cours, comme le montre l’exemple

d’Asher et Wang (2003) donné en (25) et rappelé ici : Three students wrote a paper. They sent them

to L & P.

Dans un premier temps, nos expérimentations partent de constructions comitatives introduisant des référents dispersés et testent 1) les taux de reprises pronominales au pluriel et au singulier, après des prédicats collectifs, réciproques et distributifs, en production (expérience de complètement de textes), ainsi que 2) les temps de résolution des pronoms pluriels et singuliers après ces mêmes prédicats, en compréhension Dans un deuxième temps, l’argument externe et l’argument régi par le comitatif sont regroupés dans un syntagme coordonné qui devient argument externe des versions

64 plurielles de ces mêmes prédicats et les temps de résolution des pronoms de reprise au pluriel et au singulier sont testés en temps réel (en compréhension).

Nous allons étudier les caractéristiques syntaxiques et sémantiques des deux formes syntaxiques d’introduction des référents, à savoir les syntagmes coordonnés et les syntagmes comitatifs. Puis, nous examinerons les constructions verbales qui constituent les noyaux prédicatifs des items de test, à savoir les constructions prédicatives symétriques et les constructions prédicatives mixtes qui s’interprètent comme des prédicats distributifs ou collectifs en fonction de critères qui seront précisés.