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Chapitre 3: Discussion

2. Distribution et recrutement des cellules microgliales

Dans le cortex somatosensoriel primaire, nous avons montré que les cellules microgliales adoptent une distribution particulière au cours du développement post-natal (Hoshiko et al., 2012). Jusqu’à P5, les cellules microgliales se situent à la périphérie du centre des tonneaux contenant les synapses thalamocorticales. A partir de P6, les cellules microgliales commencent à envahir les tonneaux et cette invasion se poursuit au cours du développement afin d’atteindre une distribution cellulaire homogène

au niveau de la couche 4 du cortex somatosensoriel. Au cours de notre étude, nous avons montré que la voie de signalisation neurone/microglie, fractalkine/CX3CR1, permet le recrutement précoce des microglies aux synapses thalamocorticales (avant P7).

Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour expliquer le recrutement tardif des cellules microgliales chez les animaux présentant un défaut d’expression de CX3CR1.

La première est qu’il est possible qu’au cours du développement post-natal, plusieurs signaux

guident les cellules microgliales à leurs cibles. Ainsi, il y aurait une régulation de l’expression des signaux au cours du développement qui permettrait une action consécutive ou synergique de ces signaux sur le recrutement et l’activité des cellules microgliales. L’activation de la voie de

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signalisation fractalkine/CX3CR1 serait la première voie de signalisation impliquée dans le recrutement précoce des cellules microgliales aux synapses thalamocorticales, puis une ou plusieurs autres voies de signalisation s’activeraient prenant ainsi le relai dans le guidage des cellules microgliales. Au cours de ma thèse, j’ai émis l’hypothèse que la voie de signalisation Ténascine- C/TLR4 pouvait être responsable de ce recrutement tardif. La Ténascine-C est une glycoprotéine de la matrice extracellulaire exprimée au sein des tonneaux entre P2 et P9 (Steindler et al., 1995) et son récepteur TLR4 est exprimé par les cellules microgliales (Midwood et al., 2009). Ainsi, des interactions entre la Ténascine-C et TLR4 pourraient être responsable de la distribution des cellules microgliales dans le cortex au cours du développement. Afin de tester cette hypothèse, j’ai également analysé la distribution des cellules microgliales chez des double-mutants des voies de signalisation CX3CR1 et TLR4. Cette étude a été réalisée chez des P10 soit à un stade où les cellules microgliales ont déjà envahi les tonneaux (N=4 animaux). Sur les coupes tangentielles présentées dans la figure 22, on constate que les cellules microgliales ont envahi les tonneaux et que leur distribution apparaît homogène dans la couche 4. La distribution des cellules microgliales chez les CX3CR1eGFP/eGFP et les CX3CR1eGFP/eGFP : TLR4-/- semble identique. Cette analyse exclue donc une contribution de la voie de signalisation impliquant TLR4 dans le recrutement retardé des cellules microgliales chez les animaux CX3CR1eGFP/eGFP. Par conséquent, d’autres études portant sur l’identification des facteurs impliqués dans le recrutement tardif de ces cellules restent à réaliser afin de prouver cette hypothèse.

Figure 22: Distribution des cellules microgliales au cours de la deuxième semaine post-natale chez les CX3CR1eGFP/eGFP:TLR4-/-

Coupes tangentielles des cerveaux de doubles mutants CX3CR1eGFP/eGFP:TLR4-/- âgés de 10 jours postnataux. Les tonneaux de la couche 4 du cortex somatosensoriel primaire sont visualisés à l'aide d'anticorps anti-VGluT2 (rouge, à gauche) et les cellules microgliales expriment la GFP (vert, au milieu). La superposition des images des tonneaux et des microglies est présentée à droite.

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La seconde hypothèse pouvant expliquer le recrutement retardé des cellules microgliales chez les animaux CX3CR1eGFP/eGFP est que des mécanismes compensatoires se développent chez ces souris transgéniques. Il est possible que pour compenser la perte de la voie de signalisation fractalkine/CX3CR1, une autre voie de signalisation soit exprimée et remplace celle-ci dans le recrutement des cellules microgliales. Il pourrait s’agir de l’expression d’une voie de signalisation qui n’est pas exprimée habituellement à ce stade du développement ou de la surexpression d’une voie de

signalisation existante. Par conséquent, une autre voie de signalisation impliquée la régulation des activités microgliales modulerait le recrutement retardé des cellules et il pourrait s’agir d’une voie de signalisation impliquant les cytokines, les purines, etc.

La troisième hypothèse expliquant le recrutement retardé des cellules microgliales chez les animaux CX3CR1eGFP/eGFP repose sur un changement des propriétés des cellules microgliales dans ces souris transgéniques. En effet, l'absence de CX3CR1 altère les propriétés microgliales chez l'adulte en conditions pathologiques (Cardona et al., 2006) mais aussi physiologiques (Rogers et al., 2011). Ainsi, la capacité de migration de la microglie n’exprimant pas CX3CR1 pourrait être modifiée lors du développement. Un défaut de migration de ces cellules a déjà été observé dans des explants de rétines provenant des animaux CX3CR1eGFP/eGFP (Liang et al., 2009). Afin de tester cette hypothèse, nous avons étudié la motilité des cellules microgliales déclenchée par un agoniste purinergique. Une pipette contenant 100 µM de 2MeSADP, un agoniste des récepteurs P2Y12 connus pour être impliqués dans la motilité des cellules microgliales, est positionnée dans la couche 4 du cortex somatosensoriel primaire dans des tranches aigues et nous avons observé le comportement des cellules microgliales au cours du développement (P5-P9) chez les animaux CX3CR1+/eGFP (N = 6 animaux) et CX3CR1eGFP/eGFP (N = 3 animaux). Comme il a été montré dans des études précédentes (Avignone et al., 2008; Davalos et al., 2005), nous avons observé une attraction des prolongements cellulaires vers la source d’agoniste (100 µM 2MeSADP). De plus, nous avons constaté que certaines cellules microgliales présentent un mouvement dirigé de leur soma vers la pipette (figure 23 A). Ce résultat est propre aux cellules microgliales en développement car chez l’adulte en conditions physiologiques et pathologiques, ce

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équivalente, mais uniquement une motilité dirigée des prolongements. Ainsi, au cours de ces études de vidéo-microscopies menées au cours du développement post-natal, nous avons observé deux types de comportements : soit le soma des cellules se déplace vers la pipette soit il reste fixe. Nous avons comparé la vitesse de migration des cellules microgliales et le pourcentage de cellules se déplaçant chez les animaux CX3CR1+/eGFP et CX3CR1eGFP/eGFP. Nous avons constaté que la proportion des cellules microgliales chez les animaux CX3CR1 déficients présentant un mouvement du soma était significativement plus faible que chez les CX3CR1+/eGFP (Figure 23 C) et que ces cellules se déplaçaient moins rapidement (Figure 23 B). Ces données suggèrent que les cellules microgliales n’exprimant pas le récepteur CX3CR1 ont certaines propriétés altérées. Par conséquent, le recrutement

retardé des cellules microgliales pourrait être une conséquence de la réduction du nombre de cellules se déplaçant et d’une plus faible vitesse de migration cellulaire. Néanmoins, le signal permettant la motilité des cellules microgliales aux synapses thalamocorticales est peut être d’une autre nature que

purinergique.

La fractalkine pourrait réguler positivement la migration des cellules microgliales. In vitro, il a été montré que les cellules microgliales présentent une forte activité migratrice en réponse à 3 nM de fractalkine (Maciejewski-Lenoir et al., 1999). L’activation de la voie de signalisation fractalkine/CX3CR1 induit une mobilisation du calcium intracellulaire conduisant à l’activation de voie de signalisations intracellulaires impliquées dans les changements de conformation du cytosquelette et les réarrangements d’actine, ce qui en fin de compte aboutit à une réponse de

migration cellulaire. L’incubation des cellules microgliales avec des anticorps anti-CX3CR1 bloque la migration des cellules microgliales vers la fractalkine. Ainsi, dans notre étude, l’activation de la voie

de signalisation fractalkine/CX3CR1 pourrait directement médier la migration des cellules microgliales vers le centre des tonneaux où se concentrent les cellules fractalkine-positives au cours de la première semaine post-natale et qu’un défaut d’expression de CX3CR1 retarde la migration des cellules. La migration microgliale dans le cortex des mutants résulterait de l’activation d’une ou plusieurs autres voies de signalisations mises en jeu en parallèle de celle de la fractalkine/CX3CR1 ou développées par compensation de la perte de cette dernière.

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Figure 23: Comparaison de la motilité des cellules microgliales entre les animaux CX3CR1+/eGFP et CX3CR1eGFP/eGFP au cours du développement

A : Images bi-photoniques représentant la motilité des cellules microgliales exprimant la GFP vers une pipette (pointillé jaune) contenant 100 µM de 2MeSADP, un agoniste des récepteurs P2Y12. La flèche rouge indique une cellule microgliale dont le corps cellulaire effectue un mouvement alors que la flèche bleue indique une cellule dont le soma reste fixe. Les images sont des projections de tranches optiques dont l’épaisseur totale représente 50 µm. Echelle : 20 µm.

B : Histogramme cumulatif représentant la distribution des cellules microgliales selon la vitesse moyenne de déplacement de leur soma chez les animaux CX3CR1+/eGFP et CX3CR1eGFP/eGFP.

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C : Pourcentage de cellules microgliales dont le corps cellulaire se déplace chez les animaux CX3CR1+/eGFP et CX3CR1eGFP/eGFP.

* p < 0.05 at ** p < 0.01 Unpaired t-test with Welch correction.

Nos résultats mettent en évidence un rôle important de la signalisation fractalkine/CX3CR1 dans le recrutement des cellules microgliales aux synapses thalamocorticales en cours de maturation. Par extrapolation, on peut supposer que cette voie de signalisation est également impliquée dans le recrutement de la microglie à d’autres synapses au cours du développement. Dans l’hippocampe en développement post-natal, il a été montré que les souris déficientes pour CX3CR1 présentent un défaut transitoire de recrutement de cellules microgliales engendrant des défauts de maturation synaptique à la synapse collatérales de Schafer/neurones pyramidaux de CA1 (Paolicelli et al., 2011). Ainsi, dans deux structures cérébrales distinctes : l’hippocampe et le cortex en champ de tonneaux, le recrutement des cellules microgliales implique la voie de signalisation fractalkine/CX3CR1.

Néanmoins, on ne peut pas exclure l’implication d’autres voies de signalisation dans le

recrutement de la microglie aux synapses. Il est possible que selon les aires cérébrales, un ou plusieurs signaux spécifiques à cette région permettent le recrutement des cellules microgliales aux sites synaptiques. Il a déjà été montré que les cellules microgliales peuvent se déplacer vers des sources d’ATP et autres dérivés purinergiques (Davalos et al., 2005; Haynes et al., 2006; Ohsawa et al., 2007;

Wu et al., 2007), de glutamate (Liu et al., 2009), de NGF (De Simone et al., 2007), de chimiokines comme MCP-1 (Deng et al., 2009) et CCL21 (Rappert et al., 2002), etc. Mais la participation de ces signaux au recrutement des cellules microgliales au cours du développement n’est pas encore connue

et des études sont nécessaires pour démontrer le rôle de ces voies de signalisation dans cette étape du développement.