CHAPITRE 1 - INTRODUCTION GENERALE
2. Histoire de récompense : de la motivation à la distraction
2.3 La distraction par l'histoire de récompense est-elle évitable ?
Selon plusieurs auteurs (Bucker et al., 2015 ; Failing et al., 2015 ; MacLean &
Giesbrecht, 2015b), l'influence de l'histoire de récompense sur la sélection attentionnelle serait
tellement précoce qu'elle échapperait à tout processus de contrôle top-down et pourrait, à ce
titre, être considérée comme inévitable et automatique (e.g., Anderson, 2015a ; Jahfari &
Theeuwes, 2017 ; Krebs, Boehler, Egner, & Woldorff, 2011 ; Le Pelley, Mitchell, Beesley,
George, & Wills, 2016 ; Marchner & Preuschhof, 2018 ; Pearson et al., 2015 ; Theeuwes &
Belopolsky, 2012). Cependant, selon nous, cette proposition est encore insuffisamment étayée
par les données de la littérature. En effet, très peu d’études ont à ce jour directement investigué
les effets d’une manipulation du contrôle attentionnel.
Le contrôle attentionnel peut être défini comme une composante de l’attention qui
permet de moduler l'efficacité de la sélection attentionnelle des informations pertinentes
(Posner, 1980 ; Rosario Rueda et al., 2015). Autrement dit, le contrôle attentionnel permet de
renforcer le poids des facteurs top-down liés au modèle attentionnel (au niveau de la carte de
priorité), et favorise l'utilisation de ce facteur afin de sélectionner efficacement une cible parmi
des distracteurs. De nombreuses études ont montré qu'en modulant les contraintes d'une tâche,
la qualité du contrôle attentionnel pouvait différer d'une condition à l'autre (e.g., Caparos &
Linnell, 2010 ; de Fockert, 2013 ; Gaspelin, Ruthruff, Jung, Cosman, & Vecera, 2012 ; Kiss et
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développés dans ce domaine ont également été réinvestis dans des champs de recherches
appliquées comme celui de la conduite automobile (e.g., Marciano & Yeshurun, 2015 ; Murphy
& Greene, 2017).
Dans cette perspective, il apparait nécessaire de déterminer quelles conditions
(dé)favorisent la mise en place d'un contrôle attentionnel efficace pour gérer la présence de
distracteur récompensés. Bien que plusieurs d'études aient montré une distraction par l'histoire
de récompense dans de nombreuses situations (pour des revues voir, Anderson, 2015 ; Failing
& Theeuwes, 2018), nous ne pouvons écarter l'idée que ces conditions ne "contraignaient" pas
suffisamment les participants à mettre en place un contrôle attentionnel (i.e., effectuer une
recherche visuelle qui s'appuie davantage sur le modèle attentionnel top-down, défini par la
tâche). Autrement dit, dans ces études, les participants n'étaient peut-être pas suffisamment
contraints à privilégier des facteurs top-down pour la sélection des informations, laissant le
champ libre à l'histoire de récompense pour guider cette sélection.
A notre connaissance, à l’exception de l’étude de Gupta, Hur, & Lavie (2016, sur
laquelle nous reviendrons en détails plus tard), la distraction par la récompense n’a jusqu’alors
jamais été étudiée à l'aide des paradigmes de contrôle attentionnel. Certaines études, peu
nombreuses1, ont néanmoins montré une modulation des effets de l'histoire de récompense dans
certaines conditions, mais sans que la qualité de contrôle attentionnel n'ait été strictement
manipulée.
Dans des tâches de recherche visuelle, MacLean & Giesbrecht (2015b, 2015a) ont
montré que l'histoire de récompense d'un distracteur n'intervenait pas dans les effets de
1 Nous ne présenterons pas ici les études montrant un effet du contrôle attentionnel sur l'histoire de récompense au niveau du désengagement de l'attention (Preciado, Munneke, & Theeuwes, 2017) plutôt que de la capture attentionnelle, ni les études dans lesquelles la diminution de la distraction par la récompense pouvait être expliquée par des variations incontrôlées de la saillance relative cible-distracteur (Feldmann-Wüstefeld, Brandhofer, & Schubö, 2016) plutôt que par une utilisation renforcée des facteurs top-down liés au modèle attentionnel.
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distraction, lorsque celui-ci se trouvait à une position spatiale non-pertinente (i.e., distracteur
"flanker" qui occupe une position qui ne peut jamais être occupée par la cible). Une distraction
guidée par l'histoire de récompense était observée uniquement lorsque le distracteur occupait
une position spatiale qui faisait partie du modèle attentionnel (i.e., une position où pouvait
apparaître la cible). Ainsi, dans ces études, la sélection attentionnelle reposait davantage sur le
facteur top-down du modèle attentionnel puisque des stimuli qui ne bénéficiaient pas de cette
activation (i.e., position spatiale non-pertinente avec le modèle attentionnel) ne produisaient
pas de capture attentionnelle, malgré leur histoire de récompense.
A première vue, ces observations paraissent contradictoires avec de précédentes études
sur la fenêtre attentionnelle (Wang et al., 2014, 2018, 2015), dans lesquelles l'histoire de
récompense des distracteurs influençait la capture attentionnelle même lorsqu'ils occupaient
une position spatiale non-pertinente (i.e., la position de la cible était toujours la même d'un essai
à l'autre). Néanmoins, de nombreux paramètres expérimentaux permettraient d'expliquer
pourquoi aucun effet significatif de l'histoire de récompense d'un distracteur flanker n'était
observé dans les études de MacLean et Giesbrecht (2015b, 2015a). Tout d'abord, la phase de
test avait lieu une semaine après la phase d'association. Il est possible, dans ces conditions, que
le poids de l'input lié à l'histoire de récompense se soit estompé, faisant pencher la balance en
faveur d'une plus forte contribution des facteurs top-down (i.e., pertinence spatiale) pour guider
la sélection attentionnelle (Failing & Theeuwes, 2018). De plus, les auteurs ont suggéré que les
fortes demandes/exigences de leur tâche aient pu nécessiter de mettre en place un contrôle
attentionnel renforcé afin d'augmenter l’efficacité de la sélection (MacLean & Giesbrecht, 2015a). En effet, les distracteurs n'étaient pas saillants (contraintes perceptives), il y avait
plusieurs cibles à détecter et à retenir jusqu'à la fin de l'essai (contraintes cognitives), et enfin
l'affichage des stimuli était court (i.e., 232 ms, voir aussi Gong, Jia, & Li, 2017) et suivi d'un
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Cette proposition selon laquelle les fortes exigences et contraintes de la tâche auraient
constitué, dans cette étude, des conditions propices au renforcement d’une sélection basée sur des facteurs pertinents avec le modèle attentionnel, n’a cependant pas été strictement testée, ces différentes contraintes n’ayant jamais été directement manipulées. C'est dans cette lignée que s'inscrit notre travail, dans lequel nous proposons d’investiguer l'influence potentielle de
contraintes perceptives (e.g., Caparos & Linnell, 2009 ; Cosman & Vecera, 2010 ; Lavie, 1995),
cognitives (e.g., Anticevic, Barch, & Repovs, 2010 ; Caparos & Linnell, 2010 ; Lavie, Hirst, de
Fockert, & Viding, 2004) et sensorielles (e.g., Kiss et al., 2012 ; Lavie & de Fockert, 2003 ;
Yeshurun & Marciano, 2013) sur la distraction par l'histoire de récompense. En manipulant les
influences respectives de ces contraintes et donc l'efficacité du contrôle attentionnel, notre
objectif était d'étudier si, et si oui, comment un contrôle attentionnel peut renforcer le poids des
facteurs top-down dans la sélection attentionnelle, au détriment de l'histoire de récompense d'un
distracteur. Dans la deuxième partie de notre cadre théorique, nous allons donc exposer
comment les différentes contraintes perceptives, cognitives et sensorielles d'une tâche sont
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Deuxième Partie: influences des contraintes internes et externes
sur la distraction
La sélection des informations pertinentes pour nos buts et nos besoins est un processus
déterminant pour l'organisation de nos comportements, en permettant à ces informations
d'accéder à nos capacités (ou ressources) de traitements limitées (Carrasco, 2011 ; Desimone &
Duncan, 1995 ; Grossberg, 1980 ; Scalf et al., 2013 ; Tsotsos, 1990). Une autre facette
importante de notre attention, est celle qui concerne le contrôle attentionnel que nous pouvons
réaliser sur cette étape de sélection (Posner, 1980 ; Rosario Rueda et al., 2015). Une tâche peut
imposer certaines contraintes pour sa réalisation et de ce fait, il devient nécessaire d'exercer un
contrôle plus important de la sélection des informations, afin de réserver l'accès à nos ressources
aux informations pertinentes avec nos buts et nos objectifs (Ester & Awh, 2008 ; Scalf et al.,
2013; Torralbo & Beck, 2008). Autrement dit, certaines contraintes dans une tâche vont rendre
nécessaire la mise en place d'un contrôle (top-down) à l'égard de la sélection attentionnelle, afin
de renforcer une sélection guidée par le facteur (top-down) du modèle attentionnel (attentional
ou task set). Dans ces conditions, des distracteurs seront plus facilement ignorés. Par exemple,
nous avons vu que la recherche visuelle d'une cible peut s'effectuer sur un mode bottom-up (peu
coûteux) de détection du singleton mais conduire, accidentellement, à la sélection d'un
distracteur saillant (Bacon & Egeth, 1994). Cependant, en contraignant la tâche et en rendant
ce mode de recherche bottom-up inefficace, la sélection attentionnelle va alors
préférentiellement s'appuyer sur les activations top-down du modèle attentionnel (Bacon &
Egeth, 1994), au niveau de la carte de priorité (Fecteau & Munoz, 2006).
Classiquement, les contraintes imposées par une tâche peuvent être dichotomisées en
contraintes dites "internes" et "externes" (Kahneman, 1973 ; Lavie, 2005 ; Norman & Bobrow,
Influence des contraintes perceptives sur l'exclusion des distracteurs
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dont dispose un individu afin de réaliser efficacement la tâche ("capacity ou resource limit").
Les secondes laissent intactes les ressources d'un individu, mais conduisent quant à elles à une
limitation au niveau de la qualité de l'input sensoriel des données ("data-limit") et font référence
à une dégradation sensorielle. Dans tous les cas, l’individu devra contrôler la sélection des
informations, afin que seules les informations pertinentes avec ses buts puissent bénéficier de
ses ressources, s'il veut réussir la tâche. Dans la prochaine partie nous allons présenter ces
différentes contraintes, d'abord internes puis externes, et montrer comment elles permettent in
fine de moduler la capture attentionnelle par des distracteurs.