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Disparition de la notion de bénéfice public tangible

Partie I – Contexte relatif aux exemptions de taxes foncières municipales pour les

2 Aspects fiscaux du régime d’exemption de taxes foncières municipales

2.3 Problématiques fiscales

2.3.5 Disparition de la notion de bénéfice public tangible

Dès 1912, Aloisius Ad. Paquet dresse une liste sur les motifs du maintien de l’exemption pour les institutions religieuses avec une démonstration non équivoque des investissements monétaires faits auprès de la société pour justifier le non-paiement de la taxe foncière :

« Dans tous les pays civilisés du monde, les Gouvernements et les Municipalités dépensent des millions annuellement pour pouvoir à l’éducation du peuple et au soin des malades. Nous avons rappelé ci-dessus les sommes considérables que les Législatures et les Villes des Etats-Unis (sic) donnent pour la construction et l’entretien des établissements de charité dirigés et possédés par les Communautés religieuses. Leur esprit public leur fait un devoir de soutenir et d’encourager ces œuvres. Elles sont exemptes d’impôts. Si elles paient la taxe d’eau, cette taxe n’est que nominale.

A (sic) Québec, le soin des malades pauvres de même que l’éducation de la jeunesse retombe presqu’entièrement sur nos Corporations religieuses. La somme totale qu’elles ont dépensée en 1911 pour ces deux fins, sans compter les dépenses extraordinaires de construction et de réparation, atteint le chiffre énorme de $522,314.76.

Les pouvoirs publics n’ont fait aucune dotation à ces établissements, ni su Séminaire, comme on le croit en certains milieux, ni à aucun autre. Ils n’ont jamais donné un sou pour la construction et la réparation des édifices. Le Gouvernement de Québec octroie annuellement aux diverses Institutions la maigre somme de $23,942.30. La ville donne $600.

Si nos établissements religieux, nos maisons d’éducation et de charité n’étaient pas là pour répondre à tous les besoins de la société, à qui incomberait le soin d’y pourvoir? Au public, évidemment. Calculez le coût de construction et d’entretien de ces établissements. On n’y verrait pas, comme aujourd’hui, des prodiges d’économie. Il n’est pas exagéré de dire qu’il faudrait tripler, quintupler même, le chiffre actuel des dépenses; et au lieu de la somme qui figure au budget des Communautés, ce sont des millions que le trésor public devrait payer. Naturellement ces établissements ne seraient pas soumis à aucune taxe, pas même à la taxe de l’eau; les écoles sous le contrôle des Commissaires et tous les édifices à la charge de la ville en sont en effet entièrement exempts. Or, les Communautés religieuses édifient et entretiennent à leurs frais tous les établissements. La ville ne leur donne pas un sou; elle leur impose même une taxe considérable pour l’eau; et cette taxe, elle ne l’imposerait pas si ces établissements étaient à sa charge, comme les écoles sous le contrôle des Commissaires. »154

[Textuellement de l’original] Dans un autre écrit, cette fois par un juge de la Cour d’appel, Charles-Édouard Dorion, celui-ci se propose de répondre à la question : « Quel est l’apport des communautés au bien-être général dans la Cité et sous quelles formes y contribuent-elles »155? C’est ainsi qu’il y répond sur le plan

de la valeur économique :

« Au point de vue économique, les communautés occupent une place prépondérante dans les trois domaines que nous appelons aujourd’hui des services publics : ce sont l’éducation, le soin des malades et le secours aux indigents. Antérieurement et pendant des siècles, elles en eurent presque le monopole. […]

154 A. Ad. PAQUET, préc., note 134, p. 94-96.

155 Charles-Édouard DORION, Les Communautés religieuses et la Cité, Montréal, L’École sociale populaire, no 188, 1929, p. 3.

Aussi, il n’y a plus guère de ces services d’éducation ou de bienfaisance sous toutes les formes, qui ne soient confiés aux communautés religieuses, et tous y gagnent : les bénéficiaires, les religieuses et la Cité. »156

Ensuite, en ce qui a trait à la valeur sociale, il indique que :

« Les communautés religieuses réalisent l’ordre social le plus parfait, par l’obéissance la plus parfaite, l’obéissance volontaire. […] C’est une partie des citoyens dont la Cité et la police d’ordre n’ont pas à s’occuper. C’est une partie de la Cité qui se gouverne sans frais et qui s’emploie à créer de l’ordre autour d’elle par l’Exemple et par l’éducation, et par l’Aide qu’elle apporte aux autres spontanément. »157

Et finalement, quant à la valeur morale, il mentionne :

« Mais il y a une fonction d’ordre plus relevé, qui est la fonction propre aux religieux, même ceux qui ne se consacrent pas entièrement à la vie contemplative : c’est de réaliser la perfection de la vie spirituelle en ce monde. Ils y tendent par la prière et par le sacrifice. Ils rendent à Dieu le culte de louange qui lui est dû par toute la création. »158

Nous remarquons que les communautés religieuses œuvraient dans plusieurs sphères de régulation pour et au nom de l’Église tout en faisant bénéficier la Cité, soit en la déchargeant de ses obligations d’éducation, de soin, de charité, d’ordre public et de louage au créateur (Dieu). Aujourd’hui, ces grands principes sont toujours présents dans la Loi sur la fiscalité municipale et une exemption y est également rattachée (éducation, article 204 (15) et (16); soin, article 204 (14); charité, article 204 (12)). Cependant, une notion importante est disparue soit le bénéfice public tangible. En effet, ces communautés religieuses historiques ont fait vœu de pauvreté, ce qui signifie que leur gain n’était pas pour se payer des luxures, mais bien pour financer leurs activités offertes gratuitement à toute la population, peu importe la nationalité, la langue ou la religion. Alors qu’aujourd’hui, le contrôle gouvernemental s’effectue principalement en

156 C.-É. DORION, préc., note 155, p. 3. 157 Id., p. 13-14.

fonction de la détermination de l’incorporation à but non lucratif; notion très imparfaite et soulignons-le, qui n’existait pas lors de la création du droit à l’exemption.

Ces démonstrations mettent en relief plusieurs éléments qu’il convenait de bien saisir avant de s’attaquer à l’analyse plus ciblée des articles de lois, de leur interprétation et des conséquences de ces exemptions. Ce qui nous amène à scruter le cadre juridique entourant ces exemptions de taxes foncières.