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136 La transformation génétique naturelle est un processus de transfert génétique largement répandu chez les bactéries. Elle requiert le développement d’un état physiologique transitoire particulier, génétiquement programmé, appelé compétence. Entre autres, un des rôles de la compétence est de mettre en place une machinerie multiprotéique qui permet la fixation d’ADN exogène, son internalisation et son intégration dans le génome. Malgré le fait que c’est chez S. pneumoniae qu’a été découverte la transformation génétique naturelle (dès 1928) ; et que cette bactérie serve depuis de modèle pour l’étude de ce phénomène, les mécanismes moléculaires impliqués ne sont pas encore complètement élucidés.

D’après le modèle admis, une structure multiprotéique, le pore d’entrée, fixe l’ADNdb exogène et dégrade un brin tandis que l’autre est internalisé. L’ADNsb internalisé serait alors pris en charge par ce que l’on appelle « l’ADN processome », un ensemble de protéines permettant l’intégration de cet ADN par recombinaison homologue dans le chromosome pour former un transformant.

Lors de mes travaux de thèse, je me suis intéressée au devenir de l’ADN internalisé.

a) Etude du complexe d’éclipse 

Il était connu depuis longtemps, qu’une fois dans le cytoplasme, l’ADN internalisé est sous forme simple-brin et qu’il forme un nucléocomplexe appelé « complexe d’éclipse » avec des protéines ayant une masse moléculaire de 15 à 20 kDa (Morrison 1977)(Morrison 1978)(Vijayakumar & Morrison 1983). De plus, une étude réalisée au laboratoire avait montré que l’ADNsb internalisé n’était pas stable dans une souche dprA- ou recA- (Bergé et al. 2003). Enfin, nos résultats indiquent que la protéine SsbB joue également un rôle dans la stabilisation de cet ADN puisque dans une souche ssbB-, on observe une diminution de stabilité de l’ADNsb internalisé (cf. paragraphe B.2.2). Cela a permis de proposer que DprA, RecA et SsbB étaient nécessaires à la protection de l’ADNsb exogène internalisé.

L’hypothèse la plus simple aurait été que DprA, RecA et SsbB fassent partie du complexe d’éclipse et protègent ainsi directement l’ADNsb. Cependant, de nouvelles expériences de purification du complexe d’éclipse par chromatographie d’affinité d’hydroxylapatite (HAP) et tamisage moléculaire suivies d’analyses par Western-Blot, nous ont permis de montrer que, parmi ces trois protéines, seule SsbB co-purifiait majoritairement avec l’ADN en éclipse. De façon intéressante, on retrouve aussi SsbA dans ce complexe. En revanche, les deux protéines essentielles à la protection de l’ADN internalisé, DprA et RecA n’ont pu être détectées (Morrison et al. 2007).

137 SsbA, homologue de la protéine SSB d’E. coli, est une protéine exprimée de façon constitutive et essentielle qui serait impliquée dans les processus de réplication et de recombinaison hors compétence. Sa présence avec le complexe d’éclipse nous a amené à nous demander si des intermédiaires réplicatifs (composés d’ADNsb et de protéines) ne co- purifiaient pas avec le complexe d’éclipse. De plus, l’absence de DprA et RecA paraissait étrange au vu du phénotype de dégradation rapide de l’ADNsb internalisé dans les mutants

dprA- ou recA-. Nous avons donc voulu comprendre ces observations et c’est pourquoi j’ai

poursuivi la caractérisation du complexe d’éclipse. Au cours de cette analyse, j’ai pu montrer que DprA, RecA et SsbB sont des protéines qui ont une très forte affinité pour la HAP. En effet, seule ~5% de la quantité de ces protéines initialement présentes est retrouvée à l’issue de l’expérience de chromatographie. Nous ne pouvons donc pas exclure que DprA et RecA (ainsi qu’une plus grande quantité de SsbB) forment un nucléocomplexe avec l’ADNsb car il est possible que, alors que l’ADNsb et une petite quantité de SsbB sont élués, le reste des protéines restent fixées sur le support.

De façon surprenante, nos expériences de double-marquage (cf. paragraphe B.2.2) ont montré qu’une grande quantité d’ADN d’origine endogène co-élue avec le complexe d’éclipse, ce qui signifie que de l’ADNsb endogène est aussi complexé avec des protéines. De plus, ces résultats ont aussi montré que le profil d’élution des protéines SsbB et SsbA n’est pas modifié qu’il y ait de l’ADNsb internalisé ou pas. Ce même profil d’élution peut aussi être observé si on rajoute SsbB purifiée à un extrait d’une culture de S. pneumoniae non- compétente. Dans cette expérience, il serait surprenant que SsbB ait pu se lier à de l’ADNsb endogène puisque la purification sur HAP d’un extrait auquel on a ajouté, après la lyse, de l’ADNsb, permet l’élution de cet ADN à la position d’un ADN nu (Morrison 1977). Pour expliquer ce résultat, il faudrait imaginer qu’il y a des quantités importantes d’ADNsb nu dans les extraits réalisés et que SsbB ait pu se fixer à cet ADN dans les conditions utilisées. On ne sait pas encore si l’affinité de SsbB seule sur HAP lui permet d’être éluée à la position du complexe d’éclipse. Toutefois, nos résultats (Morrison et al. 2007) montrent que SsbB et SsbA sont présentes dans les mêmes fractions d’élution que l’ADN d’origine exogène lors de trois étapes successives (chromatographie d’affinité sur HAP, tamisage moléculaire sur Séphacryl puis de nouveau chromatographie d’affinité sur HAP). Il semble donc que ces deux protéines sont effectivement en interaction avec de l’ADNsb, mais on ne peut pas être sur que cet ADN soit d’origine exogène.

L’étude des phénotypes d’un mutant particulier, ssbBΔ7, nous a permis de faire des observations supplémentaires sur la nature du complexe d’éclipse. Ce mutant permet la

138 production d’une version de SsbB tronquée de ces 7 derniers acides aminés amino-terminaux. Cette extrémité Cter est connue pour être nécessaire à l’interaction entre SSB et ses partenaires protéiques chez B. subtilis et E. coli (Hobbs, Sakai, & Cox 2007)(Lecointe et al. 2007)(Lu & Keck 2008). L’étude de la capacité de transformation par différents substrats de ce mutant et la comparaison avec celle d’un mutant ssbB- nous a permis de montrer que SsbB, par l’intermédiaire de son extrémité Cter, a un rôle durant le mécanisme même de la recombinaison pendant la transformation génétique. De plus, il est apparu que l’ADNsb internalisé est beaucoup plus stable dans une souche ssbBΔ7. Enfin, la purification sur HAP d’extraits de cette souche permet la co-élution de RecA à la position du complexe d’éclipse uniquement si les cellules ont reçu de l’ADN transformant. Cela montre que RecA peut s’associer avec l’ADNsb internalisé. Il est possible que la quantité de complexe d’éclipse plus élevée observée en contexte ssbBΔ7 permette de visualiser la présence de RecA au sein de ce complexe. Il est aussi possible que, en l’absence de la queue Cter de SsbB, RecA ne puisse plus déplacer SsbB de l’ADN, ce qui expliquerait que l’on puisse retrouver les deux protéines sur l’ADN.

Finalement tous ces résultats montrent que la nature même de ce que l’on nomme « complexe d’éclipse » et la composition protéique de ce nucléocomplexe reste encore à élucider.

b) Dégradation de l’ADNsb internalisé 

En absence de DprA et RecA, il n’y a pas formation du complexe d’éclipse car l’ADNsb internalisé est très rapidement dégradé dès son entrée dans le cytoplasme. Une partie de mes travaux a porté sur la recherche de la ou des nucléases responsables de cette dégradation. La rapidité d’action de cette nucléase, ainsi que le fait que les mutagénèses généralisées n’aient pas permis de l’identifier, permettait d’émettre l’hypothèse qu’elle était associée au pore d’entrée de l’ADN et que sa présence était peut-être nécessaire à l’établissement fonctionnel de cette structure.

La protéine ComEC est supposée former le canal transmembranaire qui permet le passage de l’ADN dans le cytoplasme. L’appartenance de son domaine Cter à la superfamille des métallo-β-lactamases nous avait laissé penser qu’elle était un candidat évident pour être la nucléase recherchée. Cependant, les différentes mutations ponctuelles que nous avons réalisées dans le domaine catalytique putatif de ComEC Cter n’ont pas révélé de phénotype particulier, même en combinant ces mutations avec l’inactivation d’autres candidats nucléases

139 potentiels. Ainsi, toutes les mutations que nous avons testées s’avèrent incapables de restaurer la stabilité de l’ADNsb internalisé dans une souche dprA-. En revanche, nous avons montré que ComEC Cter présentait une capacité de liaison de l’ADNsb. Ainsi, bien que nous ne puissions pas exclure que ComEC possède une activité nucléase que nous n’avons pas pu mettre en évidence, nous posons l’hypothèse que le rôle de son extrémité Cterminale serait de guider l’ADNsb au sein de la cellule et éventuellement de l’adresser soit à DprA et/ou RecA, soit à une DNase à identifier.

c) Maturation de l’ADNsb internalisé ‐ Recombinaison 

La recherche de la nucléase responsable de la dégradation rapide de l’ADNsb internalisé en l’absence de DprA ou RecA m’a conduit à étudier plusieurs gènes. Les résultats obtenus pour plusieurs d’entre eux ont été intéressants.

RadC est une protéine non caractérisée dont le gène fait partie du régulon compétence chez S. pneumoniae mais aussi chez B. subtilis et H. influenzae. Elle était annotée comme protéine impliquée dans la réparation de l’ADN, mais les dernières études menées chez E. coli ont montré que l’allèle mutant utilisé jusque là, radC102, était en fait un allèle de recG (Lombardo & Rosenberg 2000). Nous avons montré qu’un mutant radC- présente une capacité de transformation équivalente à une souche sauvage, quelque soit l’ADN donneur (ADN chromosomique et plasmide réplicatif avec ou sans homologie de séquence avec le génome de la bactérie). Ce mutant présente aussi une sensibilité normale aux agents endommageant l'ADN. Ainsi, cette protéine n’est pas impliquée ni dans la recombinaison ni dans la réparation de l’ADN. L’épithète « rad » n’ayant pas lieu d’être, l’annotation pfam des protéines de la famille RadC a été renommée en DUF2466 (pour « Domain of Unknown Function ») (Attaiech et al. 2008).

L’inactivation des gènes coiA ou pms a des effets importants sur le fonctionnement du système Hex de réparation des mésappariements.

Pms est une protéine non induite lors de la compétence et il semble que son rôle favorise l’action du système Hex. Une publication avait montré qu’un mutant ponctuel du gène pms avait un phénotype « hex partiel » c’est-à-dire que la capacité de réparation de mésappariement de ce mutant était affectée (Martin et al. 1996). Le mutant que j’ai créé et étudié confirme ces observations. De plus, nous avons pu noter que le taux de conversion génique du mutant pms- est similaire à celui d’une souche hex-. Cela signifie que, même hors compétence, l’efficacité du système Hex est diminuée en l’absence de Pms. Pour savoir si

140 cette protéine est un effecteur direct du système Hex, des expériences complémentaires sur les propriétés de cette protéine sont nécessaires. Notamment, son appartenance à la superfamille des métallo-β-lactamases permet d’imaginer qu’elle serait l’exonucléase recrutée par le système Hex pour dégrader le brin muté.

CoiA est une protéine induite que l’on supposait impliquée dans le processing tardif de l’ADNsb internalisé puisqu’un mutant coiA- présente un déficit important de capacité de transformation (~100) mais une stabilité de l’ADNsb internalisé identique à une souche sauvage (Desai & Morrison 2006)(Desai & Morrison 2007). Les comparaisons d’efficacité de transformation pour des marqueurs LE et HE, nous ont permis de montrer que, dans un mutant coiA-, l’action du système Hex semble favorisée. L’élimination nettement plus efficace de mésappariements ponctuels par le système Hex en l’absence de CoiA pourrait suggérer l’utilisation de voie(s) alternative(s) de processing de l’ADN internalisé. Cette/ces voie(s) seraient moins efficaces, puisque provoquant un déficit de transformation de 100, et pourraient rendre obligatoire l’intervention du système Hex. L’action de CoiA pourrait aussi directement empêcher l’action efficace du système Hex. En effet, on ne connait pas encore le rôle précis de la protéine CoiA mais les résultats préliminaires des études in vitro obtenus au laboratoire indiquent que CoiA est une endonucléase (Violette Morales & Patrice Polard, non publié). Si cela se confirme, on peut imaginer que, lors de la recombinaison pendant la transformation génétique, CoiA serait là pour couper le brin déplacé de l’hétéroduplex. Une ligase interviendrait alors pour lier le brin donneur et le brin receveur, ce qui désavantagerait effectivement l’action du système Hex en empêchant celui-ci de trouver une interruption du brin transformant.

Enfin une interaction entre CoiA et SsbB avait été détecté grâce à l’étude par double- hybride chez la levure menée par Nicolas Mirouze. J’ai donc analysé les capacités de transformation et d’efficacité du système Hex dans un double-mutant coiA- ssbB-. Ces résultats suggèrent que SsbB et CoiA pourraient agir de concert lors de l’intégration de l’ADNsb endogène dans le chromosome.

d) Un  modèle  de  la  maturation  de  l’ADNsb  internalisé  durant  la  transformation  génétique naturelle 

Nos hypothèses concernant le processing de l’ADN entrant avait déjà beaucoup évolué notamment depuis les expériences de biochimie et microscopie centrées sur DprA réalisées dans notre équipe et en collaboration avec les équipes d’Eric le Cam, Philippe Noirot et

141 Patrice Polard (Mortier-Barrière et al. 2007). Les expériences que j’ai réalisées pendant ma thèse, nous ont permis d’avancer dans la compréhension du mécanisme de la transformation génétique.

Le modèle que nous proposons est présenté Figure 35. DprA, en plus de son rôle de RMP vis-à-vis de RecA, a aussi la propriété de se lier aux zones simple-brin de l’ADN super- enroulé négativement. On pense donc qu’elle serait liée au chromosome et ainsi qu’elle pourrait véritablement mettre en présence les acteurs de la recombinaison: l’ADNsb, le chromosome et RecA. Le 1er brin d’ADNsb entré dans le cytoplasme serait pris en charge par DprA et RecA. Il y aurait alors formation d’un complexe nucléoprotéique transitoire qui serait rapproché du chromosome grâce à des interactions DprA-DprA. Là, RecA pourrait catalyser la recherche d’homologie et la réaction d’échange de brin. L’hétéroduplex pourrait alors être résolu par l’action concertée de plusieurs protéines parmi lesquelles SsbB, CoiA, RadA et RecG. Nous aurions donc une première réaction de prise en charge de l’ADNsb qui ne nécessiterait pas la présence de SsbB pour sa protection mais seulement pour faciliter la recombinaison (ceci pourrait expliquer le faible déficit de transformation d’une souche ssbB-). Pendant ce temps où DprA et RecA ont pris en charge une première molécule d’ADNsb, de l’ADN continue toujours de rentrer dans la cellule. On pense que c’est là qu’interviendrait SsbB en tant que composante du complexe d’éclipse. En effet, il est possible que cette protéine fixe cet ADNsb excédentaire, formant ainsi une sorte de réservoir dans lequel DprA et RecA pourrait venir chercher de nouvelles molécules à recombiner. Cette hypothèse est en accord avec les expériences in vitro qui montrent que DprA est effectivement capable de déplacer SsbB pour fournir un nouveau substrat à RecA.

Tout ceci n’est encore qu’un modèle et, malgré les nombreux indices que nous avons, la totalité des acteurs intervenant lors du processing de l’ADN durant la transformation génétique, ainsi que leur rôle précis dans ce mécanisme, ne sont pas encore élucidés.

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D. Matériel et