• Aucun résultat trouvé

A.   Introduction 10

A.4.   Les mécanismes de la transformation génétique 34

A.4.2.   Le devenir de l’ADN internalisé dans le cytoplasme 40

A.4.2.1.  Le complexe d’éclipse 41 

Dans les années 60, des analyses avaient montré que si l’on extrayait l’ADN des cellules directement après la transformation et que l’on s’en servait comme substrat pour transformer de nouvelles cellules, on ne pouvait obtenir que de très faibles pourcentages de transformation (Fox & Hotchkiss 1960)(Lacks 1962). On a alors parlé d’ « éclipse » pour définir ce phénomène (Ephrussi-Taylor 1960). Il a ensuite été établi que, une fois entré, l’ADN est sous forme simple-brin et que la sortie d’éclipse correspond à l’intégration de l’ADNsb dans le chromosome (cf. Figure 12) (Ghei & Lacks 1967). En effet, l’ADNsb n’est pas un bon substrat pour la machinerie d’entrée, ce qui explique la perte temporaire d’activité transformante baptisée éclipse (Miao & Guild 1970).

Des expériences ultérieures ont permis de préciser que l’ADN internalisé est effectivement sous forme simple-brin mais est recouvert de protéines, formant un complexe nucléoprotéique appelé « le complexe d’éclipse » (Morrison 1977).

42

Figure 12 : Processing de l’ADN internalisé.

(tiré de (Claverys et al. 2009))

(a) Sortie d’éclipse. Lors de la transformation initiale, les cellules mal- strS compétentes sont transformées par de l’ADN

chromosomique portant un marqueur mal+ (cercles noirs) et un marqueur strR (cercles blancs). A différents temps, après l’entrée de l’ADN, l’ADN total des cellules est extrait et réutilisé pour transformer de nouvelles cellules mal- strS. L’efficacité de cette deuxième transformation pour les 2 marqueurs considérés est reportée sur le graphique en fonction du temps après lequel l’ADN total avait été extrait lors de la première transformation (Ghei & Lacks 1967).

(b) Devenir de l’ADN internalisé. Les cellules compétentes sont

mises en contact avec un fragment PCR radiomarqué pendant 5min à 30°C puis l’entrée est stoppée par ajout de DNase I et l’incubation est poursuivie. Au bout de 1min, 5min, et 15min, l’ADN total est extrait, digéré par l’enzyme HpaII et résolu par migration électrophorétique. Le profil obtenu est représenté sur la figure. La présence des pics témoigne de la recombinaison homologue et le marquage dispersé (smear) est spécifique d’une population de taille variable, correspondant à l’ADNsb internalisé (Bergé et al. 2003).

A.4.2.1.1. Nature du complexe d’éclipse

Depuis plus de 30 ans, de nombreuses analyses ont été effectuées, notamment par Donald Morrison et ses collaborateurs, pour connaître la nature exacte du complexe d’éclipse. Le principe des différentes expériences était de fournir aux cellules de l’ADNdb radiomarqué comme substrat de transformation puis de lyser les cellules et de purifier l’extrait obtenu par plusieurs types de méthodes. Il est alors apparu que si l’on réalisait la lyse de façon précoce (4 à 6min après contact avec l’ADN, à 25°C), l’ADN radioactif extrait avait des propriétés biochimiques différentes de l’ADNsb et de l’ADNdb (Morrison 1977). Sur chromatographie d’affinité de diethylaminoethyl-cellulose (DEAE-cellulose), ou d’hydroxylapatite (HAP), l’ADN marqué élue en 1 pic plus précoce que ne l’aurait fait de l’ADNsb ou de l’ADNdb. De plus, la vitesse de sédimentation sur gradient de saccharose de cet ADN marqué est plus rapide que celle de l’ADNsb et la densité apparente sur gradient de Cs2SO4 est plus faible que

43 celle de l’ADNdb (Morrison 1977). Il a aussi été montré que les propriétés particulières de cet ADN marqué pouvaient être perdues après traitement avec du SDS, du NaOH, du chlorhydrate de guanidine, du chloroforme ou encore de la protéinase K mais pas après action d’une ribonucléase (Morrison 1977). Ces différentes expériences ont permis de conclure que l’ADN marqué faisait apparemment partie d’un complexe avec une composante protéique, le « complexe d’éclipse ». De plus, selon les méthodes de purification utilisées, il semblait que ce complexe pouvait contenir 2 sous-espèces (Morrison 1977).

Afin de détailler la composition du complexe d’éclipse, un double marquage a été réalisé : les cellules de S. pneumoniae étaient cultivées en présence de 35S-méthionine ou de 3

H-leucine, avant de les mettre en contact avec de l’ADNdb radiomarqué (au 32P). Une purification du complexe d’éclipse en deux étapes a ensuite été réalisée et a montré que ce complexe était formé d’ADNsb et d’une protéine, ou de plusieurs protéines de tailles équivalentes (~16kDa) synthétisée(s) lors de la compétence (Morrison 1978)(Morrison, Baker, & Mannarelli 1979). Lors de cette purification, une sédimentation sur gradient de saccharose permet de séparer le complexe d’éclipse de l’ADN chromosomique et de 95 à 98% des protéines cellulaires. Ensuite, une chromatographie d’exclusion-diffusion sur gel d’agarose 2% permet d’enlever du complexe d’éclipse (émergeant au volume exclu) encore 1 à 4% des protéines (Morrison 1978)(Morrison et al. 1979). Le complexe d’éclipse ainsi purifié contient la majorité de l’ADN radiomarqué et ~1% de la quantité de protéines synthétisées lors de la compétence. De plus, une étape supplémentaire de purification par élution en gradient de phosphate sur colonne HAP permet toujours une élution de l’ADN marqué et de 1% des protéines à 0,12M phosphate (Morrison 1978)(Morrison et al. 1979).

La sensibilité à différentes nucléases de l’ADN du complexe d’éclipse (purifié sur gradient de sucrose puis sur colonne d’agarose) a aussi été testée (Morrison & Mannarelli 1979). Ceci a révélé que ce complexe est 50 à 1000 fois plus résistant (selon l’enzyme utilisée) que de l’ADNsb nu.

L’hypothèse du rôle du complexe d’éclipse était que l’ADNsb de ce complexe était protégé de nucléases endogènes pour pouvoir être intégré dans le chromosome par recombinaison homologue. Cependant, bien que la majorité de l’ADN donneur semble être retrouvée au sein du complexe d’éclipse, aucune mesure directe de la quantité réelle de l'ADN intégré dans le chromosome n’avait été réalisée. Ainsi, il était encore possible que le complexe d'éclipse soit un état « mort » et que seule une minorité d’ADNsb libre soit efficace en recombinaison.

44 Pour répondre à cette question, Vijayakumar et Morrison ont bloqué la réincorporation des nucléotides provenant de la dégradation de l’ADN entrant pour pouvoir calculer les quantités exactes d’ADN internalisé, d’ADN retrouvé sous forme de complexe d’éclipse et d’ADN intégré dans le chromosome (Vijayakumar & Morrison 1983). Pour ce faire, ils ont utilisé l’HpUra (pour 6-(p-hydroxyphenylazo)-uracil) qui est un inhibiteur spécifique de l’ADN polymérase III (PolC) des bactéries à Gram + (Brown 1970)(Dubnau & Cirigliano 1973). Cela a permis de montrer que, immédiatement après une brève période de contact, l’ADN donneur marqué se retrouve sous deux formes majoritaires : 68% dans le complexe d’éclipse et 22 % en produits de faible poids moléculaire. Après complétion de l'intégration (10 min), 23 % de l’ADN marqué est intégré dans le chromosome et le reste de la radioactivité a été perdue. Tout au long du processus, moins de 1 % du marquage est trouvé sous forme d’ADNsb libre. Ceci a donc confirmé le fait qu’une partie de l'ADN du complexe d’éclipse pouvait effectivement être un intermédiaire dans le processus d'intégration (Vijayakumar & Morrison 1983).

Ainsi, comme dit précédemment, la sortie d'éclipse a été interprétée comme la restauration d'une structure d’ADNdb pour les marqueurs exogènes par intégration de l’ADNsb dans l’ADN chromosomique. L'utilisation d’un fragment PCR radiomarqué comme substrat lors de la transformation génétique chez S. pneumoniae a permis de suivre le devenir de l’ADN exogène (cf. Figure 12) (Méjean & Claverys 1984)(Bergé et al. 2003). La cinétique de l'intégration physique de l’ADN exogène dans le chromosome de la bactérie étant similaire à la cinétique de disparition de l’ADNsb, ceci permet d’appuyer l’hypothèse que l’ADNsb est le précurseur de la recombinaison homologue (Bergé et al. 2003). La cinétique de formation des recombinants est également apparue très similaire à celle de la sortie d'éclipse, ce qui a permis de conforter l’idée que la sortie d’éclipse correspond effectivement à la formation d’hétéroduplex entre ADN exogène et ADN chromosomique (Méjean & Claverys 1984).

A.4.2.1.2. La composante protéique du complexe d’éclipse

Une question restait tout de même en suspens : quelle est la protéine (ou les protéines) liée(s) à l’ADNsb au sein du complexe d’éclipse ?

La protection vis-à-vis de nucléases a favorisé l’hypothèse que la/les protéine(s) du complexe d’éclipse pourrait être de la famille des SSB (pour Single Strand Binding) connues à l’époque comme pouvant protéger des activités nucléolytiques (voir par exemple : (Molineux & Gefter 1974)). Il est aussi démontré que l’on peut dégrader l’ADN du complexe d’éclipse par une forte concentration de nucléase. Dans ce papier, la/les protéine(s) du

45 complexe a/ont une masse molaire de ~19,5kDa ce qui diffère des 16kDa annoncés précédemment (Morrison & Mannarelli 1979). Des expériences d’électrophorèses bidimensionnelles ont ensuite montré que 5 spots alignés horizontalement à 19,5kDa apparaissent lors de la compétence, cela témoigne de la présence de protéines de 19,5kDa de masse molaire, mais de pI différents (Morrison 1981). De plus, des électrophorèses après protoplastisation et fractionnement cellulaire ont montré qu’une bande à 19,5kDa apparaissait fortement lors de la compétence, majoritairement dans la fraction cytoplasmique et un peu dans la fraction membranaire, les fractions dans lesquelles est retrouvé le complexe d’éclipse (Vijayakumar & Morrison 1986). Mais le lien entre cette/ces protéine(s) de 19,5kDa et l’ADN en éclipse n’a jamais vraiment été établi, et la composante protéique du complexe d’éclipse n’a jamais été identifiée.

S. pneumoniae possède deux SSBs identifiées par homologie avec la protéine SSB

d’E. coli. La première, nommée SsbA (17kDa), est exprimée de façon constitutive et est essentielle (Thanassi et al. 2002). La deuxième, appelée SsbB, est une protéine de 14,5kDa, codée par le gène tardif de compétence ssbB (initialement appelé cilA) (Campbell et al. 1998)(Rimini et al. 2000)(Peterson et al. 2000). Malgré leurs petites tailles, ces protéines étaient de bons candidats pour être les partenaires de l’ADNsb dans le complexe d’éclipse.

Mais alors que l’on s’attendrait à une incapacité à obtenir des transformants dans une souche ssbB- puisque l’ADNsb internalisé ne serait plus du tout protégé d’éventuelles actions nucléolytiques, un tel mutant ne présente qu’un déficit de transformation d’un facteur 3 à 8 (Bergé et al. 2003)(Morrison et al. 2007)(Mortier-Barrière et al. 2007). Il est alors apparu que deux autres protéines pourraient jouer ce rôle de protection de l’ADNsb : les protéines RecA et DprA (Berge et al., 2003).

La protéine RecA a un rôle essentiel dans la transformation chez S. pneumoniae. En particulier, il est important de noter que, chez S. pneumoniae, la présence de RecA est nécessaire même pour la transformation par un plasmide réplicatif (Martin et al. 1995), ce qui n’est pas le cas chez B. subtilis où RecA est essentielle seulement pour la transformation par de l’ADN chromosomique (Canosi, Iglesias, & Trautner 1981). Le rôle de RecA dans la recherche d’homologie et sa capacité à lier l’ADNsb sont largement documentés (voir paragraphe A.4.2.2.1) (Kowalczykowski, 2000). Mais le défaut de transformation observé dans une souche recA- pourrait aussi être dû à un rôle supplémentaire de la protéine RecA : la protection de l’ADNsb. Il a d’ailleurs été montré chez S. pneumoniae, que, dans une souche

recA-, l’ADNsb est dégradé dès 1min après son entrée dans la cellule alors qu’il est stable

46 de l’ADN internalisé (Berge et al., 2003). Les mêmes résultats (dégradation immédiate de l’ADN entrant) sont aussi observés dans une souche dprA- suggérant que la protéine DprA pourrait, elle aussi, avoir un rôle dans la protection de l’ADN transformant (voir paragraphe A.4.2.2.2) (Berge et al., 2003).

Une partie de mes travaux de thèse a porté sur la caractérisation du complexe d’éclipse. Ceci a fait l’objet d’une publication présentée au paragraphe B.2.1 et d’une publication en préparation qui constitue le paragraphe B.2.2.