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Chapitre 5 : Mieux comprendre les difficultés d’autodétermination des adultes présentant une

3. Discussion du chapitre

Ce chapitre présente deux études complémentaires ayant pour objectif de mieux comprendre les difficultés d’autodétermination des personnes présentant une trisomie 21. La première s’appuie sur le modèle de Wehmeyer (1999) pour identifier la ou les composantes pour lesquelles les personnes s’estiment le plus en difficulté. La seconde a pour objectif d’établir des liens entre les difficultés d’autodétermination, d’une part et les difficultés cognitives, motrices et de la vie quotidienne, d’autre part.

Dans la première étude, l'autodétermination perçue par les personnes présentant une trisomie 21 est significativement inférieure à celle d’adultes neurotypiques et équivalente à celle d’enfants appariés pour l'âge mental. Cependant, les compétences liées aux quatre composantes de l'autodétermination ne sont pas perçues de la même manière. L'autonomie comportementale et l’autoréalisation sont les deux composantes pour lesquelles les personnes présentant une trisomie 21 n’expriment pas plus de difficultés que les adultes contrôlés. À l'inverse, l'autorégulation est la composante perçue comme la plus faible par les personnes présentant une trisomie 21 et leurs scores sont inférieurs à ceux des deux autres groupes. Enfin, le sentiment d'empowerment psychologique des personnes présentant une trisomie 21 est équivalent à celui des enfants appariés pour l'âge mental, mais reste inférieur à celui des adultes contrôlés.

Le résultat principal de la seconde étude est que le niveau d’autodétermination est lié aux compétences langagières, mnésiques ainsi qu’aux capacités motrices. Il faut noter que l’étude réalisée, évaluait le lien entre le niveau d’autodétermination et des différentes composantes cognitives et motrices. Pour compléter ces résultats, les mêmes analyses ont été réalisées, mais en prenant en compte chacune des composantes de l’autodétermination. Ces résultats complémentaires montrent que l’autonomie comportementale, l’autorégulation et l’empowerment psychologiques sont liés aux capacités langagières (vocabulaire et compréhension), aux capacités mnésiques (MCT et MDT visuo-spatiales) et à l’ensemble des capacités motrices évaluées (marche, transfert de position, équilibre et motricité fine) (même profil que pour l’autodétermination). L’autoréalisation quant à elle, présente un profil différent et est corrélée uniquement avec certaines capacités motrices (transfert de position et motricité fine).

Ainsi un résultat majeur de la première étude est l’identification de l’autorégulation comme composante pour laquelle les adultes présentant une trisomie 21 se sentent le plus en difficulté. Ce déficit d’autorégulation chez les personnes présentant une DI a déjà été constaté, ce qui a donné lieu à deux hypothèses (Vieillevoye, 2007) : 1) l’hypothèse d’un déficit généralisé d’autorégulation, et 2) l’hypothèse d’un déficit spécifique de certaines stratégies autorégulatrices.

La première hypothèse s’appuie sur des données montrant que les adolescents ou les jeunes adultes présentant une DI ont des compétences autorégulatrices plus faibles que des personnes typiques de même niveau de développement intellectuel. Selon Whitman (1990a et b), la déficience intellectuelle se définit comme un trouble de l’autorégulation entraînant chez ces personnes des difficultés à agir de façon autonome et, plus précisément, des difficultés à maintenir et à généraliser, dans des situations nouvelles, ce qu’elles ont appris (pour une revue complète des problèmes d’autorégulation des personnes présentant une DI, voir la Thèse de Laurie Letalle, 2017).

La deuxième hypothèse s’appuie sur des données montrant que les personnes présentant une DI ont un niveau d’autorégulation similaire à celui des personnes au développement typique (Gilmore, Cuskelly et Hayes, 2003 ; Nader-Grosbois, 2007 ; Nader-Grosbois et Lefèvre, 2011) mais présentent des déficits dans certaines stratégies spécifiques, telles que l’atteinte d’objectifs, l’attention conjointe et la régulation du comportement (Nader-Grosbois et Vieillevoye, 2012 ; Vieillevoye et Nader-Grosbois, 2008).

Dans tous les cas, et quelle que soit l’hypothèse retenue, Laurie Letalle (2017) précise que le langage joue également un rôle important dans le développement de l’autorégulation (Bronson, 2000 ; Vallotton et Ayoub, 2011). En effet, l’accès au langage aide l’enfant à communiquer avec son partenaire, à planifier et à contrôler ses actions et à s’auto-motiver (Bronson, 2000). Le développement du « discours privé » permettrait l’intériorisation des conduites verbales d’autorégulation et favoriserait le passage de l’hétérorégulation à l’autorégulation du comportement (Bailleux et Paour, 2013). De plus, il a été montré que le niveau de vocabulaire à 14 mois permet de prédire le développement de l’autorégulation deux ans plus tard, après avoir contrôlé l’influence des habiletés cognitives (Vallotton et Ayoub, 2011 ; pour une revue, voir également la thèse de Marine Ballé, 2015).

Les résultats des études réalisées, dans ce chapitre, sont plutôt en faveur de l’hypothèse d’un déficit généralisé des capacités d’autorégulation (première hypothèse) dans la mesure où sur les 4 composantes évaluées (autonomie comportementale, autorégulation, autoréalisation et empowerment psychologique), l’autorégulation est la composante perçue par les personnes présentant une DI comme étant la plus déficitaire. De plus, les scores d’autorégulation des personnes présentant une DI sont inférieurs à ceux des deux autres groupes, c’est-à-dire aussi bien le groupe neurotypique apparié pour l’âge chronologique que le groupe neurotypique de même niveau intellectuel.

Les résultats obtenus confirment également le rôle prépondérant du langage et notamment de la compréhension dans les capacités d’autodétermination et d’autorégulation. Ils soulignent également le rôle de la mémoire et des compétences motrices. Des études chez les personnes âgées et chez certains patients ont déjà montré l’importance de la mémoire et en particulier de la mémoire visuo-spatiale dans le maintien de l’autonomie dans la réalisation des activités de la vie quotidienne (Jamison, Sbrocco et Parris, 1989; Richardson, Nadler et Malloy, 1995). De même, de nombreux travaux ont pu montrer l’impact majeur des compétences motrices sur l’autonomie et la qualité de vie (pour une revue, voir Netz et al., 2005).

Pour conclure, les résultats obtenus confirment le rôle majeur de l’autorégulation dans les difficultés d’autodétermination des personnes présentant une DI. Ils rejoignent le point de vue de Wehmeyer qui identifie l’autorégulation comme étant l’un des éléments, qui influence le développement de l’autodétermination (Wehmeyer, Kelchner et Richards, 1996), ou encore celui de Martin et Marshall (1997), pour qui l’autorégulation constitue « une clé pour atteindre l’autodétermination ».

Ces résultats permettent également de préciser les liens entre les différentes composantes de l’autodétermination et certaines compétences cognitives (langage et mémoire) et motrices et de mieux comprendre les liens entre l’autodétermination, l’autorégulation, les profils cognitifs et moteurs. Les difficultés de la vie quotidienne des personnes présentant une DI constituent un enjeu majeur dans la perspective d’apporter des aides les plus pertinentes et les plus adaptées aux besoins et aux attentes des personnes. Il sera également nécessaire, dans des études à venir, d’intégrer des réflexions sur le rôle des compétences exécutives dans la mesure ou plusieurs auteurs suggèrent qu’un déficit exécutif dans la DI (concernant soit l’inhibition, la mise à jour en mémoire de travail, la flexibilité ou la planification), pourrait expliquer un

déficit d’utilisation des stratégies autorégulatrices (Akhutina, 1997 ; Hooper et al., 2008).