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Discours sur sa vision du monde

5.1) Récit de vie en mots

5.2 Discours sur sa vision du monde

À propos des œuvres générées**

Avant de partir pour la France, Khosro raconte avoir vécu une période difficile, pendant laquelle il a tout détruit le travail qu'il avait effectué. Il était frustré de constater la présence d'autres artistes dans ses œuvres, alors qu'il voulait contacter son authenticité. En plus, il était insatisfait de sa vie à cette époque, ce qui influençait ce qu'il faisait. C'est pourquoi, il s'est débarrassé physiquement de l'ensemble de ses réalisations artistiques, pour n'en conserver que des images photographiques. Khosro explique qu'au début de son processus artistique, il y avait un immense flux émotionnel présent. « Quand j'ai commencé à faire de la peinture c'était très abstrait, très émotionnel » dit-il. Il a effectué sa maîtrise sur la peinture « l'Expressionnisme abstrait ». Ce mouvement est né à New-York vers les années

1950, par plusieurs peintres incluant Jackson Pollock et Mark Rothko, sur lesquels il a basé sa recherche. « Maintenant je suis plutôt inspiré par l'imagination et la fantaisie ». Il explique que pour lui, la rencontre de l'art est une longue histoire d'amitié et d'amour. L'identité, c'est universel

La question de l'identité est une question bizarre selon Khosro. Il m'explique que la plupart des gens veulent catégoriser son art, ce qui provoque chez lui un sentiment intense d'irritation. « Pour moi, l'art n'entre pas dans des catégories, il les dépasse. Et encore l'art n'a pas de nationalité. L'œuvre c'est l'œuvre et voilà tout. Un œuvre d'art c'est vivant, ça respire et ça vit parmi nous ». Il m'indique que des gens très intelligents lui demandent, si ce qu'il fait s'inscrit dans l'art traditionnel Iranien. À cela, il me répond qu'il considère comme absurde toutes ses délimitations identitaires. « Dans l'univers, nous sommes qu'un

J'utilise le mot génération puisque c'est celui là utilisé par Khosro. Il n'aime pas utiliser le terme de création puisqu'il ne considère pas qu'il soit possible de fabriquer quelque chose à partir de rien, comme un point zéro où il n'existe rien avant. De plus, il tient à se démarquer du créationnisme religieux, qu'il considère comme absurde.

grain de poussière. Il faut arrêter de penser comme cela. Les frontières sont fabriquées par l'être humain ». Pour lui, l'identité c'est universel et il ne faut pas se restreindre à fixer des catégories. Il explique que lorsque nous commençons à cibler des unités identitaires, il y a naissance d'une forte volonté de compétition, afin de savoir qui est le meilleur, et ça devient ridicule selon lui. C'est n'importe quoi, car chacun a un talent différent et unique. Pour lui, et cela il le répète à plusieurs occasions, il existe un art qui est en dessous des barrières, et qui relie tout le monde. L'art est inclusif, il n'accuse pas, ne définit pas et n'exclue pas. « L'art est quelque choses qui nous tient tous ». Il explique que cet aspect d'inclusion est représenté par le noir dans ces œuvres, c'est pour lui une couleur universelle et réceptive (elle accueille les autres couleurs). À ce sujet, il n'aime pas qu'on impose des qualificatifs et des préjugés négatifs concernant la couleur noir, et il explique que cela est tributaire de la culture. Il ne comprend pas pourquoi il faudrait que la lumière soit plus avantageuse que l'obscurité, ou encore pourquoi le jour serait mieux que la nuit. Il ne comprend pas pourquoi il faut toujours qualifier les choses de positives ou négatives, et avoir deux camps opposés : le bien et le mal, les amis et les ennemis... Il propose de regarder « la vie » d'un œil inclusif plutôt qu'exclusif. Les polarités sont inclusives selon lui, il n'y a ni mal, ni bien; simplement une belle différence nécessaire qui fait advenir la rencontre et engendre la reproduction. Il précise qu'il croit aux identités personnelles avant tout. Selon lui, il faut être d'abord un individu pour ensuite être un membre d'une communauté. « Moi je suis mon propre pays et mon identité est fait de toutes les rencontres que j'ai eues ».

La culture c'est un mouvement de masse. Elle révolutionne et se révolutionne

Il explique que la culture iranienne l'a influencé dans la construction de qui il est. Pour lui, la culture n'est pas une série des codes par lesquels on identifie un peuple, elle a plusieurs dimensions. « Moi, j'ai ma propre culture personnelle que j'ai cultivé dans mon cheminement de vie. Mais je suis aussi relié et influencé par la culture iranienne, car j'ai vécu ma jeunesse là. J'étais planté là, et je suis apparu dans la vie dans ce coin de la terre. La culture est une phénomène vivant et dynamique, et elle diffère des traditions. Donc, je ne suis pas uniquement le fruit de la « culture » iranienne, parce que la culture c'est un mouvement de masse ». Ainsi, il précise que pour lui, culture et tradition sont deux choses

très différentes. « La culture c'est quelque chose qui dépasse toujours la tradition, elle la pousse, elle se transforme toujours, elle révolutionne, et se révolutionne. Elle n'a pas une forme unique et elle vient des individus qui la composent. La culture est pour lui, une qualité humaine qui n'appartient pas à quelqu'un en particulier mais à la rencontre des êtres. La culture est pour lui un lieu d'innovations, d'inventions et de nouveauté. Elle est selon lui, l'expression de la liberté et du mouvement de la vie. « Il doit y avoir un espace social qui te permet de voir et d'expérimenter la nouveauté ». L'Iran n'est pas un endroit culturel pour lui, car il y a seulement une seule et même façon de créer, une seule modalité d'expression artistique qui est permise. Ainsi, l'art peut être limité par notre perception de ce qu'est l'art et de ce qu'il doit être, de comment il est reconnu, sous quel critère et par qui. Dans le société actuelle iranienne, l'art et la culture sont enfermés dans un cadre et une seule manière de faire. Ils peuvent exister autrement mais illégalement et en cachette ! Il explique qu'au Québec, c'est différent. « Tu peux exprimer ce que tu veux ». À ces mots, il donne l'exemple de l'aspect erotique de son travail, lequel lui serait interdit en Iran. Il ajoute que l'aspect dictatorial du régime iranien, ne permet pas à la culture de vivre. Il précise que la première chose qui est coupée dans une situation d'oppression et de contrôle des populations, c'est la culture. « Une culture a besoin d'air pour respirer, d'espace pour grandir pour pousser et pour s'exprimer ».

Contre le pouvoir abusif, la corruption, l'oppression et l'hégémonie

Selon lui, l'oppression et la dictature sont intimement lié au désir de l'être humain d'avoir le contrôle, de façonner la vie selon son désir, et plus spécifiquement celui d'acquérir des richesses. La promotion d'une idée unique, hégémonique, donne du pouvoir au dirigeant, puisqu'il peut plus facilement contrôler ce qui s'y passe. En parlant de l'Iran, « dans ce pays, il y a une énorme corruption » me dit-il. Il soulève le paradoxe suivant : « il existe un grand espace pour faire croître la corruption, mais aucun espace pour la croissance de la culture. Il dénonce ce phénomène comme étant « très dégoûtant ». Il ajoute, « malheureusement pour la plupart des pays, considérés comme sous-développés, ils vivent de la corruption par les gouvernements au pouvoir ». Il donne l'exemple de l'Afrique et de l'Asie particulièrement, mais il dit aussi, avec une pointe de déception que « c'est comme ça un peu partout, à différents degrés ». Il mentionne que, même ici, dans un certain sens, le

gouvernement « est un peu corrompu ». Il donne l'exemple de la crise économique. Il ne comprend pas pourquoi les responsables de cette crise n'ont pas à rendre de comptes, c'est- à-dire expliquer ce qui se passe pour faire face à la justice. À ce moment Khosro se pose une question fondamentale : « c'est quoi la justice exactement ? ». Un autre paradoxe est soulevé, il se demande pourquoi il n'y a pas de cohérence entre ce qui est dit et agit. Il prend l'exemple de l'idéologie environnementaliste qui fait court actuellement au sein du gouvernement. Ainsi, il existe une certaine promotion médiatique des idées vertes, on cherche à sensibiliser et responsabiliser l'individu à l'écologie, cependant il est possible de constater une utilisation fréquente de jet privé qui consomme une énorme quantité de pétrole. « Deux poids deux mesures ». Pour prendre un autre exemple, me dit-il « le prix de la gazoline monte partout au monde et une augmentation généralisée du prix des produits s'enclenche. Cependant, quand le prix brut diminue, il n'y a pas de réduction des tarifs ». Il donne l'exemple des compagnies aériennes qui ne réduisent pas le prix des billets d'avion ? » Il m'explique que selon lui, la corruption vient avec l'idée du capitalisme, la volonté de faire du profit à tout prix. Selon lui, la crise économique est une facette de la corruption, cela va se régler au bénéfice des dirigeants. Cependant, ceux qui seront le plus touchés seront les pauvres. À ce sujet, lorsqu'il est question de grosses sommes d'argent, il y abstraction et cela est déconnecté du quotidien. Il n'y a donc pas d'impact majeur dans la vie des personnes riches. Mais pour les autres comme les pauvres, ils sont directement affectés dans leur réalité. C'est concrètement qu'ils perdent leur travail, et leurs investissements, donc leur sécurité financière. Khosro déplore cette situation. Il trouve cela particulièrement triste. Il m'explique que nous sommes rendu collectivement au point culminant où « les relations doivent devenir le fondement, nous devons entrer en dialogue ». Il ajoute aussi que selon lui, les gens ne sont pas logiques. On ne peut pas les convaincre, c'est dans leur nature de vouloir le pouvoir, c'est une satisfaction qui permet de contrôler le monde. « On cherche tous à avoir du pouvoir, malheureusement ! ». Cependant, malgré ce caractère inévitable de recherche de pouvoir, il nous propose à travers ses œuvres, un idéal de communication et de rencontre.

L'erotique (rencontre des opposés) comme message dans ses oeuvres

Dans les premières années de son travail artistique, ses œuvres étaient de nature abstraite et spontanée, plus reliée à l'émotionnel. Maintenant, ses œuvres sont planifiées, il prépare réflexivement à l'avance les éléments picturaux qu'il veut y mettre. Ses œuvres veulent raconter la rencontre entre deux entités, comme une rencontre qui se veut être l'émergence de l'amour. « L'amour est ce qui tient le monde, ce qui cause la balance et relie les gens. Dans la réalité, il y a des opposés, des contradictoires, mais il y a quelque chose qui les tient ensemble ». Et ce quelque chose est invisible. « Dans mon œuvre j'approche cet invisible ». C'est cet invisible qui uni ensemble les choses. « Dans l'expérience humaine, une partie de cela se passe entre un homme et une femme dans les relations amoureuses ». Selon lui, l'amour et le phénomène erotique existent dans une pluralité de formes, et d'expressions. Le côté erotique est partout retrouvé dans la nature. L'amour, comme la haine, est naturelle. « La nature est sexuée. » Le sexe est à l'origine de la reproduction, c'est ce qui assure la vie. Pour protéger la vie, il faut passer par le lien erotique c'est-à-dire la rencontre des opposés. La relation erotique est ce qui permet d'unir les éléments de la nature. L'amour est ce qui est primordial.

La religion comme mise en scène pour manipuler les gens

Je lui reflète que ce message d'amour me semble être ce qui est proposé par les grandes religions du monde. Khosro est précis sur cet aspect. Pour lui, selon son expérience, les religions enferment dans des dogmes et imposent tout un système de domination et de vérité sur les êtres humains. Les religions enlèvent de la liberté par l'hégémonie. Il explique que les êtres humains ont laissé des traces de leurs premières visions du monde dans la mythologie. Les traces montrent que les anciens considéraient la femme comme un élément pilier et un joyau précieux, car elle donnait la vie. Il me dit qu'il y avait plusieurs dieux, et cet aspect créait des espaces de liberté, où tous pouvaient vivre ensemble. Selon sa vision, lorsqu'il y a un Dieu unique, cela engendre un processus de possession et de domination qui élimine la liberté puisqu'il y a exigence de conformité. Il donne l'exemple que pour plusieurs religions, seuls les prêtes sont corrects et bons. Les gens ordinaires doivent être guidés et amenés vers la lumière, vers un modèle unique et idéal qui valorise l'esprit plutôt

que le corps. « Ils doivent se faire pardonner leurs péchés. Mais quel péché ? ». Khosro m'explique qu'il n'aime pas les religions puisqu'on commence déjà avec une dette, avec quelque chose à se faire pardonner. « C'est absurde un enfant vient au monde innocent et plein de vie ! ». Khosro ne comprend pas et dénonce cette conception du monde, où l'être humain est considéré comme un pêcheur à remettre sur la bonne route. « Tout ça, c'est une mise en scène pour abuser les gens et les manipuler ». Il donne aussi l'exemple que pour la religion islamique, la femme est vue comme sale, puisqu'elle représente l'aspect physique. Pour lui, renier le physique est une aberrance. Il propose et cherche à faire œuvrer ensemble le corps et l'esprit, dans un tout cohérent. « Je ne veux pas valoriser l'un plus que l'autre. L'esprit et le physique, je ne peux pas les couper et les séparer ». Dans les religions, il y a une sur-valorisation de l'esprit, du Dieu père unique qui impose une manière d'être et de faire, ce qui pour Khosro tue la liberté.

Dénonciation de la « mécanicité » au profit du cadre de la liberté

« Est-ce que les religions peuvent offrir un cadre ? Est-ce qu'elles peuvent agir comme guides qui aideraient à établir des repères pour donner de ce fait une plus grande liberté89 d'action ? » lui demandai-je. Khosro considère que l'établissement d'un cadre est un besoin essentiel. Il donne l'exemple de l'éducation de son fils, à qui, il doit transmettre des valeurs. Cependant, nous devons avoir la possibilité de sortir du cadre et de choisir, et cela, sans répressions abusives. Il faut se donner des repères, avoir un guide, c'est important. Mais pour lui, la religion ne peut jamais être un guide, car elle est considérée ou elle devient un absolu absolu. Selon lui, la religion prend avantage et abuse les gens à partir de leur besoin de sécurité, à partir de la le peur de l'inconnu. « Nous avons besoin d'être rassuré sur les grandes questions existentielles de notre vie : qui suis-je, d'où viens-je, où vais-je ». Les religions fournissent des réponses à ses questions, mais elles nous y enferment en orientant notre regard dans une seule direction. Il ajoute « je crois qu'il y a plusieurs façons de regarder la vie, comme être humain, à partir de sa propre expérience. On peut penser et développer collectivement des façon d'organiser la vie ». Il m'indique

89 II est possible de penser que le fait d'avoir un cadre, c'est-à-dire que des repères connus peuvent donner

une plus grande liberté d'action, puisque l'incertitude est contenue. Lorsqu'il y a connaissance, l'action peut s'effectuée en toute conscience et en pleine liberté.

que souvent les gens sont devenus mécaniques et automatiques. « Toi et moi, nous ne somme pas dans la société. Nous vivons avec une certaine liberté. Mais pour d'autres, tout est planifié et ils n'ont pas le temps de réfléchir » me dit-il. Il m'explique que plusieurs personnes travaillent dans leur bureau, sans rien voir autour, sans remettre les choses en question, sans vivre. Ils travaillent, se déplacent, payent leurs comptes et après ils écoutent la télévision et consomment. « C'est très ridicule. Ils sont comme ça, des milliards à travers le monde, à être enfermé dans leur quotidien. Les gens ont besoin de leur routine, parce qu'ils ont besoin d'assurance, pour ne pas être trop paralysés par leurs doutes et leurs questions. Nous sommes chanceux ».

Nécessité de trouver l'équilibre et la balance

« Comment arriver à vivre et à agir cette liberté ? Est-ce qu'il faut aider les gens à trouver des outils pour vivre une transformation ? » lui demandai-je. Il me dit que selon lui, il faut réussir à être soi-même et surtout à être en équilibre, en balance. « Pour cela, je ne crois pas qu'il y ait une marche à suivre étape par étape. Moi je suis contre les guides ». Il faut développer notre propre vision du monde me dit-il. Selon lui, nous sommes tous reliés ensemble, l'humanité est reliée et nous avons une responsabilité individuelle et collective. À ce sujet, il donne l'exemple de la relation qu'il a avec son fils. Il dit avoir la responsabilité de son fils, c'est-à-dire de créer une relation d'amour avec lui spécifiquement, mais il dit aimer tous les enfants du monde. Il explique que nous avons des responsabilités, celle de soi et de nos proches a priori mais que nous constituons un vaste réseau d'interconnexions. Il m'explique, « qu'il faut considérer que les autres sont présent en « moi », et que ce moi est également présent dans l'autre ». Il soulève que selon lui, l'aspect majeur est la confiance. Je lui demande de m'expliquer comment il a contacté et développé cette confiance. « A travers mes expériences, c'est un savoir et une expérience que j'ai cultivé et gagné. Il faut l'apprendre. Inconsciemment on sait tous ça, mais il faut en prendre conscience, le visualiser et le mettre en action » me répond-t-il.

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