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2. ETAT DE L’ART : Apprendre les langues, une matière facultative dans une société transculturelle

4.3. Appréhender la diversité en classe

4.3.1 Difficultés à nommer ses langues et évaluer ses compétences

Lorsque l’on demande à Vanisha de décrire sa langue maternelle ou « home language », elle hésite entre le gujrati et le portugais. Nommer l’ensemble des langues présentes dans son répertoire n’est pas chose aisée. Soredo, d’origine somalienne, expliquera qu’elle souhaiterait apprendre à parler l’arabe qu’elle lit déjà. Pourtant, elle ne mentionne pas cette compétence partielle concernant cette langue lorsqu’elle remplit le questionnaire. Une autre formulation du tableau utilisant la notion de domaine d’usage du Cadre commun de référence des langues (2000) aurait peut-être permis de mentionner l’ensemble de ces langues et de simplifier leur qualification entre maison, école, société, amis, et professionnels pour les adultes.

Achille, lui, ne mentionnera la langue de ses parents dans aucun exercice. Ces exemples nous paraissent particulièrement intéressants. Faut-il à tout prix valoriser l’ensemble des

répertoires ou laisser chacun créer son propre répertoire linguistique, non selon des critères objectifs mais selon sa sensibilité ? En ce sens, il aurait fallu insister sur « les langues que je

comprends mais que je ne parle pas », ou « les langues proches de la mienne » ou encore, « les langues que j’entends », c’est-à-dire, dans mon entourage, à la maison.

Dans la manière de décrire la langue, des élèves témoignent d’une certaine dévalorisation de leur répertoire ou de leur « home language » de la part de leur entourage. L’élève emploie le terme « slang » pour parler de la langue créole, sans vraiment savoir à quoi celui-ci correspond.

Professeur : « -Do you speak French at home ?

Elève (14 ans) : - No, I just speak a French slang with my dad. Professeur : A French slang ? What do you mean ?

Elève : A bad French, not really official.

Professeur : Do you know what slang means ? Its like when you speak in the street with your friend, like « hey broth, what’s up?” Where does your dad come from ?

Elève : He is from Mauritius.

Professeur : So you speak « creole », which is a really nice language, a mix with lots of languages, including French. You also have a rich culture. You should be pround of it ! »66

66« P. : Parles-tu français chez toi ? E. : Non, je parle seulement un argot français avec mon père. P. : Un argot français ? Que veux-tu dire ? E. : Un mauvais français, pas vraiment officiel. P. : Connais tu la signification du mot « argot » ? C’est comme quand tu parles dans la rue avec tes amis, comme « Hé mec, bien ou quoi ? ». D’où vient ton père ? E. : Il est de l’île Maurice. P. : Alors il parle « créole ». C’est une belle langue, un mélange de plusieurs langues dont le français. Tu as également une riche culture. Tu devrais être fière de ça ! »

E. Hawkins (1984) explique cette hiérarchie linguistique dans un système éducatif scriptural. Il distingue les dialectes créoles, fruit d’un mélange de langues, et les langues sans tradition écrite. Cette hiérarchisation se retrouve lors de plusieurs activités réalisées dans le cadre de cette recherche-action. L’anglais est largement considéré comme la langue globale. Deux élèves ne citent que cette langue pour décrire leurs échanges linguistiques à l’échelle globale (Annexe 3 « Moi et les langues »). Dans les représentations, l’anglais est décrite par deux élèves comme la langue parlée dans le monde entier alors que le français est considéré comme « la seconde langue la plus importante » par une élève décrivant sa langue maternelle comme peu connue dans le monde donc peu valorisée par ses professeurs (Annexe 3, Fellenza ). Elle associe l’importance au nombre de locuteurs et d’utilisateurs de cette langue. D’ailleurs, maintenant qu’elle parle anglais, elle estime pouvoir voyager dans le monde entier :

« Au Mexique, je peux très bien parler anglais. »

Dans le contexte de l’établissement DW, les professeurs de langues sont eux-mêmes plurilingues mais plutôt en raison de besoins pédagogiques polyvalents. En Angleterre, les enseignants doivent pouvoir utiliser leurs compétences selon les besoins. Ils n’enseignent pas qu’une matière mais un ensemble de matières au sein d’un département. Ainsi, un professeur de français doit être capable d’enseigner également l’allemand et l’espagnol alors qu’un professeur de mathématiques enseignera également la biologie ou la physique, au sein du pôle « sciences ». D’ailleurs, plusieurs classes d’initiation aux langues (Year 9) proposent à la fois l’étude simultanée du français et de l’espagnol. Cette méthodologie apparaît davantage comme une initiation à deux langues afin de proposer aux élèves de choisir une langue pour leurs examens. Peu de références sont faites à l’intercompréhension. L’apprentissage des deux langues est compartimenté. Le français est étudié pendant un semestre et l’espagnol pendant un autre semestre. Cependant, nous avons constaté que les professeurs qui enseignent le français et l’espagnol, voir allemand, utilisent dans leur cours leurs propres connaissances dans plusieurs langues et non pas celles de la classe. Ce bilinguisme dominant chez les professeurs de langues (français-espagnol ou français- allemand) peut représenter un manque de diversité dans le recrutement des professeurs. Même si

depuis 2008, le choix des langues enseignées dans un établissement est laissé à la discrétion du directeur, les langues européennes restent les plus enseignées.

« While there is a good supply of teachers of major European languages such as French, German and Spanish, qualified teachers of other languages are less numerous and their availability may vary by region, thus limiting the choice of languages a school may wish to offer. »67 (Department of Education, 2011)

Suite à la baisse des élèves germanophones, le gouvernement allemand co-finance avec l’université de Newcastle un programme en lien avec l’Angleterre pour encourager les professeurs anglais à opter pour cette seconde langue. Une bourse de 2400 livres est accordée aux futurs professeurs en plus d’un voyager tous frais payés à Berlin et Hambourg afin d’étudier l’allemand pendant un mois68. Tous les pays ne peuvent pas se permettre de financer un tel

programme. L’appellation même de « Modern language » engendre une hiérarchisation, comme l’admet un professeur de français (Katherine, annexe 5) :

« Je suppose, parce que, vous savez, les élèves qui parlent une langue moderne comme l’espagnol ou le portugais ont un avantage. Il y a des structures similaires, des genres, des accords. Euh… somalien. Je ne crois pas que les programmes l’aient soulevé mais nous avons remarqué à l’école que les élèves somaliens avaient une bonne prononciation en français. Les sonorités sont certainement les mêmes. Euh. Et les élèves qui parlent punjabi comme première langue, comprennent toute une gamme de langues. Ils ne le diront pas sur le programme mais lorsque vous pensez à certains points pédagogiques, ces similarités sont relevées. »

Les accords existent dans d’autres langues que les langues romanes. Tous les plurilinguismes ne sont donc pas appréhendés équitablement. Les classes de l’école DW, par ailleurs, sont décorées par moitié de mots clés en français, et par moitié de mots clés en espagnol. À titre d’exemple, nous citerons cet atelier sur les verbes irréguliers au futur en Year 10 (3ème).

Teacher : Qui a fait de l’espagnol en Year 8 ?

67 « Alors qu’il y a une offer importante professeurs pour enseigner les langues européennes telles que le français, l’allemand et l’espagnol, les professeurs qualifies dans d’autres langues sont moins nombreux et leur disponibilité varie suivant les regions. Cela limite le choix de langues que les écoles voudraient proposer.”Voir le site officiel du Department of Education :

www.education.gov.uk/schools/teachingandlearning/curriculum/secondary/b00199616/mfl/attainment/listening

Eleve 1 : Moi.

Teacher : Comment on dit « être » en espagnol? Eleve 1 : Ser

Teacher : Très bien. Ce sera la base que nous utiliserons pour le futur du verbe être. Avec je, quelle est le ending ?

Eleve 2 : ai.

Teacher (qui écrit) : Très bien. Donc : je serai. (Elle réitère la démarche avec ALLER/IR).

Contrairement à l’une des pistes de réflexion avancée par V. Castellotti (2006, 328), il ne nous semble pas que le fait que l’enseignant valorise son propre répertoire et prenne conscience de son vécu soit suffisant. Le plurilinguisme des professeurs n’est pas le gage d’une pédagogie plurilingue. Il faut développer un savoir-être (Carrasco, Piccardo, 2009 : 40) pour écouter la classe.

Pour certains points grammaticaux, qui n’existent pas en anglais, comme le genre des noms, les professeurs utilisent occasionnellement la comparaison avec les langues maternelles des apprenants qu’ils découvrent par la même occasion. Mais généralement, nous avons observé la configuration suivante en classe : les professeurs sont considérés comme plurilingues selon les langues valorisées dans le pays et le système éducatif malgré le fait qu’ils aient une langue majeure et une langue mineur qu’ils ne parlent que pour répondre à la demande linguistique de l’école. Les élèves, quant à eux, sont perçus comme semi lingues (Simon, 2005)– ou bilingue soustractif (Marcos, 1989 : 128), c’est-à-dire comme ayant peu de vocabulaire en anglais et une langue maternelle pas toujours valorisée. Grojean (1993) montre pourtant qu’une perception positive de l’ensemble des langues d’un apprenant favorise l’apprentissage des deux langues. Cummins (2001) estime que les enfants bilingues lisant dans les deux langues sont à même de les comparer et « de confronter comment elles organisent la réalité ».

Dans le cadre de l’école monolingue, la reconnaissance de leurs compétences n’est donc que partielle puisque la langue de scolarisation est davantage valorisée. Si les langues maternelles les plus représentées sont reconnues académiquement et peuvent être valorisées par un examen, cela n’est pas suffisant. Il y a une conscience, chez les professeurs, d’un « savoir-faire » et d’un

« savoir-être » des enfants plurilingues (utilisation du dictionnaire, tenue d’un glossaire…). Elle est exploitée en tant que telle. Les enfants semblent comprendre plus facilement. D’ailleurs, dans nos résultats (Annexe 3), les élèves semblent avoir des facilités en compréhension. Leur prononciation est également remarquée par leur professeur. Mais la rigidité du programme semble empêcher d’aborder des thèmes culturels ou linguistiques (Katherine, Annexe 5 ) à une période de l’adolescence où les élèves cherchent des points de repère pour construire leur propre identité.