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L'enseignement-apprentissage et évaluation de la compréhen- compréhen-sion de l'écrit

2. Les interactions pédagogiques

2.1.4. Les supports de l’enseignement stratégique : les textes

2.1.4.4. Les difficultés liées aux textes

À partir de cette brève présentation des propriétés du texte narratif et informa-tif, il est clair que leur traitement n’est pas sans obstacle. Des difficultés ont déjà été dégagées en lien avec la hiérarchisation qui est commune aux deux textes et en rap-port avec l’élaboration des inférences. Joole (2008), dans une perspective interven-tionniste, dresse cinq domaines qui font entrave à l’activité de compréhension.

Le premier domaine concerne « les composantes de l’énonciation » (ibid., p.52) qui renvoient à celui qui parle dans le texte, au lieu et au moment de son énonciation. Ainsi, il est important pour que le lecteur identifie l’énonciateur et les circonstances de son énonciation puisque ces paramètres varient en fonction des textes. En effet, contrairement au texte informatif où le lecteur éprouve moins le besoin de localiser celui qui prend la parole du fait du caractère neutre de cette typo-logie, le texte narratif, et plus particulièrement le texte littéraire, ne laisse pas appa-raître son énonciateur. Ce dernier peut se confondre avec l’auteur ou avec le narra-teur dont la présence dans le texte est soit connue, soit inconnue. Ce même narranarra-teur peut également demeurer neutre ou anonyme, comme il peut aussi être amalgamé aux personnages du texte. Selon ces différentes postures, le contrat entre l’auteur et le lecteur risque d’être rompu du fait que l’identité du narrateur ne se dévoile pas dès le début de la lecture ; ce qui peut conduire à un abandon de la part du lecteur. La recherche de l’énonciateur risque encore une fois de se compliquer du fait que les textes narratifs et littéraires regroupent récit et discours, ce qui oblige chaque fois le lecteur à repérer celui qui prend la parole et les conditions de sa prise

Chapitre 2 : L'enseignement-apprentissage et l'évaluation de la compréhension de l'écrit___ __ 94 de parole.

Le deuxième domaine de difficulté, selon Joole (2008), concerne les actants. Ce concept emprunté à Greimas et renvoyant aux composants de son schéma actan-ciel (sujet, objet, destinateur, destinataire, adjuvant, opposant), désigne des nages accomplissant des actes et jouant des rôles. Néanmoins, cette idée de person-nage est souvent en rapport avec un récit fictionnel où il est question d’humain alors que celle d’actant, en tant que terme neutre, peut exister aussi dans un texte infor-matif en représentant « des objets, des entités collectives, politiques, morales, des notions… » (Joole, ibid., p.56). Ainsi, il n’est pas imaginable qu’on puisse com-prendre un texte sans passer par ces actants. C'est pourquoi un intérêt particulier est accordé à ce domaine suite à des constats relevés (Soussi, Broi, Wirthner, 2007, voir Joole, ibid.) auprès d’élèves qui accordent peu d’importance aux personnages et qui s’attardent beaucoup plus sur les évènements et sur les idées principales. Ce qui ne permet guère d’avoir une compréhension complète du texte.

L’identification des actants s’appuie, selon plusieurs travaux, sur les ana-phores ou sur les substituts qui assurent « la continuité et la progression d’un texte » (Joole, ibid., p.56). Ces dernières permettent de vérifier si l’objet ou le personnage évoqués dans des propositions précédentes, sont les mêmes dans les propositions suivantes (Gaonac’h et Fayol, 2003, voir Joole, ibid.). Dans cette lignée, « identi-fier les actants consiste (…) à associer les marques substitutives aux entités, per-sonnages ou objets désignés. » (Joole, ibid., p.56). Toutefois, cette capacité à relier ces deux éléments, selon des recherches et des constats de praticiens, est une tâche difficile pour beaucoup d’élèves. Cette difficulté va s’accroitre à l’idée des compli-cations que peuvent présenter les choix et les dispositions des référents. Selon Baumann et Seigneuric, cités par Joole (2008), ces complications sont dues à un « éloignement du substitut par rapport au référent, sa situation par rapport au réfé-rent (avant ou après), sa nature grammaticale (nom, prénom, groupe nominal), le genre et le nombre, substitutions regroupantes » (ibid., p.56-57). Selon Baumann (cité par Joole, ibid.), ces éloignements effectués par l’auteur ne visent pas seule-ment à éviter les répétitions mais tendent à apporter des informations supplémen-taires afin d’aider les lecteurs à caractériser les personnages et à se les représenter mentalement. Ainsi, suite au rapport existant entre les anaphores et les caractéris-tiques des actants ainsi que les représentations qui découlent de cette relation, Joole (ibid.) propose d’assembler dans un même domaine la stratégie associant « indices anaphoriques et identité de l’actant » (ibid., p.57) et celle unissant la représentation de l’actant et ses propriétés dégagées au moyen du réseau anaphorique.

Selon Gaonac’h et Fayol (2003, cité par Joole, ibid.), le problème de « la co-référence » s’accentue dans un texte où il y a beaucoup de personnages. À cet effet, les élèves abandonnent la recherche des actants puisqu’ils ont du mal à établir les liens entre eux. C’est pourquoi l’identification de la nature des rapports qui s’établissent entre les actants s’avère indispensable puisque leur présence et leur évolution sont tributaire de ces relations qui permettent de dégager leurs spécifici-tés.

Chapitre 2 : L'enseignement-apprentissage et l'évaluation de la compréhension de l'écrit__ ___ 95 Le repérage des actants, selon Joole (2008) suppose la construction de leur re-présentation mentale qui s’opère à partir d’indices textuels comme leurs « dénomi-nations (nom propre, pseudonyme, surnom, groupes nominaux désignateurs » (ibid., p.58), leur description physique et morale, leur langage ainsi que leurs relations avec les autres personnages. Une fois ces éléments identifiés, le lecteur est amené à les associer avec les autres actants. Par ailleurs, l’auteur précise qu’en dépit de la différence qui existe au niveau des processus et des stratégies mobilisés pour chaque opération ainsi qu’au niveau des inférences, le but de l’identification des composantes de l’énonciation est le même, c’est-à-dire celui qui parle et les circons-tances de sa prise de parole.

Le troisième domaine qui peut être à l’origine de difficultés de compréhen-sion, concerne la cohérence de la représentation mentale assurée par « la cohérence énonciative, la cohérence référentielle (reconnaître le même actant sous plusieurs désignations) et la cohérence logique » (Joole, ibid., p.59). Cette dernière concerne une structuration interne qui est propre à chaque texte. Dans ce sens, Joole (ibid.) préfère parler de cohérence au pluriel puisqu’il est difficile de prétendre à l’unicité de la structure textuelle. Ainsi, comprendre un texte, nécessite de la part du lecteur une saisie de la façon dont l’auteur a organisé ses idées. Au regard de la diversité des structures textuelles, il est difficile de les enseigner toutes. À l’exception des superstructures propres à certains types de textes tels que le documentaire ou le ré-cit, la majorité des textes ont « une cohérence propre et originale » (ibid., p.60).

C’est pourquoi Joole (ibid.) est contre l’idée d’enseigner, dans le cadre d’un travail sur la compréhension en lecture, les structures canoniques des textes (en l’occurrence le narratif) qui admettent une répartition en cinq étapes (commence-ment ou orientation, complication, développe(commence-ment- action, résolution, résultat- con-clusion). Ce modèle de structure narrative qui se généralise à tous les genres de-vient objet d’enseignement dans les années 1980 et 90, et est toujours présent dans les manuels scolaires jusqu’à aujourd’hui. Il n’est pas interdit de signaler l’existence de cette structure, mais il ne faut pas pour autant l’appliquer à tous les genres litté-raires dont la structure ne correspond pas forcément celle du schéma canonique.

C’est pour cette raison que Joole (ibid.) écarte l’idée d’un travail sur la com-préhension de textes s’appuyant sur l’identification des schémas quinaires, jugé trop modélisant et réducteur, et sur les structures narratives ne permettant pas aux lec-teurs de progresser dans l’histoire.

Pour le texte documentaire, ce même auteur ne retient pas la totalité des struc-tures décrites par Meyer (1985) parce qu’il considère que « la séquence » corres-pond à « la structure chronologique » (Joole, ibid., p.63) et que « la comparaison » et « l’énumération » (ibid.) sont des structures qui concernent peu de textes. C’est pourquoi, l’accent sera mis sur les structures « cause à effet » (ibid.) et « ques-tion/réponse » (ibid.) dans la mesure où elles représentent des rapports logiques as-surant la cohérence du texte. Ces rapports constituent le quatrième domaine de dif-ficultés qui posent problème à la compréhension d’un texte, en plus de l’identification des actants et de leur progression dans le texte. Il est indispensable que les lecteurs saisissent « la logique d’enchainement entre faits ou idées. » (ibid.,

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p.64). Les principaux rapports logiques qui assurent la compréhension des textes sont « le rapport de causalité ou de cause à conséquence (car/donc), d’opposition et de concession (mais), d’hypothèse et de condition (si…) » (Joole, 2008, p.64). Le rapport de causalité qui existe aussi bien dans le texte informatif que dans le texte narratif, ne suffit pas à lui seul pour veiller à la cohérence du texte. Celle- ci est su-perposée par d’autres rapports en lien avec les enchaînements chronologique et to-pographique. Ainsi, un texte peut très bien être organisé selon les déplacements du personnage d’un lieu à un autre et selon des rapports de causalité quant à la succes-sion des évènements. Dans d’autres textes, il est possible qu’ils soient structurés selon une trame chronologique qui englobe des passages exprimant une relation de cause à conséquence.

En l’absence d’une saisie de cette relation, la compréhension peut se révéler difficile et incomplète puisqu’il s’agit d’une cohérence qui concerne la totalité du texte. La cohérence globale du texte est repérable à partir d’indices textuels tels que les indicateurs de temps, de lieu, les conjonctions de coordination, etc. (ibid., p.66), et à partir d’une comparaison des schémas structurels (« trame topographique, suc-cession chronologique, enchâssement de plusieurs récits, … ») emmagasinés en mémoire du lecteur avec le texte. Quant au rapport logique de causalité, il est identi-fiable soit à partir de connecteurs tels que « parce que, car, donc, de telle sorte que, par conséquent, etc. » (ibid.), soit à partir d’inférences élaborées lorsque il n’est pas explicité dans le texte. D’autres rapports logiques en lien avec la concession et l’opposition (identifiables à partir de marqueurs comme mais, bien que, malgré, pourtant, …) et l’hypothèse exprimée au moyen de la conjonction de subordination « si » (ibid.).

Contrairement aux domaines précédents qui renvoient à des éléments percep-tibles dans le texte, le cinquième domaine concerne plutôt « une aptitude de lec-teur » (Joole, ibid., p.67) à séparer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire dans un texte. Cette capacité à sélectionner les informations textuelles les plus perti-nentes est considérée comme le but principal de la lecture/compréhension. C’est pourquoi, il est fondamental qu’elle soit enseignée comme une stratégie au même titre que les stratégies d’identification de la situation d’énonciation (qui parle ? où ? quand ?), des actants tout en les associant aux représentations mentales construites au moyen des séquences descriptives, de repérage du réseau relationnel des person-nages ainsi que la cohérence du texte, etc. La difficulté majeure de la hiérarchisa-tion réside au niveau de la structure du texte et des rapports logiques qu’elle ren-ferme. Ainsi pour aplanir ces difficultés, le choix des textes doit porter sur ceux ayant une structure du type descriptif ou séquentiel plutôt que du type cause-effet. Cela devrait faciliter la hiérarchisation qui va de pair avec la capacité de résumer un texte (Joole, ibid.)

Cette catégorisation (Tableau 4) des obstacles de la compréhension fait appel à des stratégies adaptées, et concerne des habiletés qui interagissent dans le but d’assurer la cohérence globale du texte. Ainsi, la classification des domaines de difficultés à la compréhension regroupe à la fois des indices textuels, des habiletés et des stratégies correspondantes. Cette catégorisation prend en compte également

Chapitre 2 : L'enseignement-apprentissage et l'évaluation de la compréhension de l'écrit____ _ 97 différentes difficultés liées principalement à des insuffisances au niveau des compé-tences linguistiques ou textuelles, et au niveau des traitements locaux (micro) et des traitements globaux (macro) (Joole, 2008, p. 69). En dépit de leurs différences et suite à des constats relevés en classes (MEN, 2007, cité par Joole, ibid.), il a été possible de distinguer des constantes. Elles concernent l’élaboration des inférences en reliant des informations éparses dans le texte pour identifier la situation d’énonciation, les actants et leurs descriptions, pour repérer la cohérence du texte et hiérarchiser, etc. Simultanément, des traitements locaux (décodage des mots et des phrases en rapport avec l’actant) et globaux permettant de sélectionner les informa-tions principales et de saisir son agencement.

Sur la base de cette classification des difficultés de compréhension, il est pos-sible de planifier des interventions pédagogiques pour un enseignement de straté-gies adéquates à chaque domaine.

Composantes de l’énonciation Qui parle ? Qui raconte ?

D’où ? Quand ? Actants Dénomination Caractérisation Relations Cohérences Chronologies Parcours Autres (entrelacement…)

Rapports logiques Causalité

Opposition, concession Hypothèse, condition

Hiérarchisation Idées

Evènements Personnages

Tableau 4 : Les obstacles à la compréhension (Joole, 2008, p.68)