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Partie II : Immunothérapie des cancers

B. Immunothérapie cellulaire spécifique d’antigènes tumoraux

1. Différents types d’immunothérapie cellulaire adoptive

L’immunothérapie cellulaire adoptive (ICA) des patients atteints de cancer repose sur

l’expansion in vitro de lymphocytes qui reconnaissent spécifiquement les cellules tumorales et

les éliminent in vivo après réinjection. C’est une approche thérapeutique qui présente un réel

potentiel clinique, mais nécessite une identification préalable des antigènes de la tumeur

254

.

La plupart des antigènes qui ont été identifiés à ce jour sont des auto-antigènes, dont un grand

nombre sont soit exprimés de façon ectopique soit surexprimés dans les tumeurs par rapport

aux tissus normaux. Une autre catégorie d’antigènes tumoraux correspond à des antigènes

uniques dérivés de gènes mutés et donc exprimés exclusivement dans les tumeurs. Ces

différents antigènes tumoraux (surexprimés ou spécifiques) peuvent contenir des épitopes

peptidiques reconnus par des LT « naturellement » anti-tumoraux. L’expansion in vitro d'un

grand nombre de tels LT anti-tumoraux actifs in vivo n’est possible que grâce à la

reconnaissance par ces LT des peptides tumoraux dont ils sont spécifiques. Le principal défi

d’une ICA basée sur l’injection de tels LT est d'induire une réponse immunitaire dirigée

contre les cellules tumorales qui expriment ces peptides tumoraux.

52

Bien que la reconnaissance des antigènes tumoraux soit nécessaire pour induire une

réponse immunitaire, elle n'est pas suffisante pour permettre l’éradication de la tumeur. Pour

être efficace, une expansion des LT anti-tumoraux en nombre suffisant, puis leur migration

vers les sites tumoraux afin d’exercer leurs fonctions est nécessaire. Les lymphocytes

« naturellement » anti-tumoraux utilisés pour l’ICA peuvent être obtenus soit à partir du sang

périphérique

255

soit à partir du stroma des tumeurs réséquées (TILs : Tumor Infiltrating

Lymphocytes)

256

. Des lymphocytes du sang périphérique peuvent aussi être génétiquement

modifiés pour exprimer des TCRs ou des CARs (Chimeric Antigen Receptors) anti-tumoraux.

L’ICA présente plusieurs avantages par rapport à d'autres formes d'immunothérapie décrites

ci-dessus. En effet, un grand nombre de cellules (jusqu'à 10

11

cellules) avec une activité

anti-tumorale peuvent être obtenues in vitro et les cellules qui présentent une forte reconnaissance

des antigènes tumoraux peuvent être sélectionnées avant injection

257

. De plus, avant le

transfert des cellules chez l'hôte, le microenvironnement peut être modifié, notamment par la

suppression de LT régulateurs ou de cellules myéloïdes suppressives pouvant interférer de

manière significative avec l'activité anti-tumorale des LT. La possibilité d’éliminer ces

cellules suppressives avant l'administration des cellules anti-tumorales effectrices représente

une avancée majeure pour une ICA plus efficace.

Dans le mélanome et le carcinome rénal, l’ICA est historiquement basée sur la

réinjection de TIL, dont l’expansion est faite ex vivo en présence de cytokines telles que l'IL-2

et parfois avec des stimuli d'activation spécifique ou non spécifique

258–260

. Dans la plupart des

cas, l’utilisation de TIL est impossible, car les biopsies ou les pièces opératoires permettant

l'isolement des TIL sont indisponibles, ou les tumeurs sont faiblement infiltrées. Pour une

utilisation élargie à d’autres tumeurs et pour plus d’efficacité clinique, l'ICA repose souvent

maintenant sur l’utilisation de lymphocytes du sang périphérique, moins différenciés.

Les LT du sang périphérique peuvent être génétiquement modifiés pour exprimer des

TCR avec une forte affinité et une haute spécificité pour les antigènes tumoraux ciblés. Les

TCR utilisés actuellement dans les essais cliniques peuvent être d’origine humaine ou murine.

Lorsque des TCR possèdent de fortes affinités, ils peuvent être isolés, et les gènes codant ces

TCR peuvent être clonés dans des gammarétrovirus ou des lentivirus, qui sont ensuite utilisés

pour transduire des LT de patients

261

. Il est également possible d’utiliser des TCR isolés de

souris HLA-transgéniques. Dans une étude réalisée en 2011, des LT humains génétiquement

modifiés pour exprimer un TCR murin HLA-A2.1 restreint dirigé contre l’ACE (Antigène

Carcino-Embryonnaire) ont été administrés à trois patients atteints de cancer colorectal

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métastatique réfractaire aux traitements standards. Ces LT ont permis une régression des

métastases chez un des patients. Cependant, une toxicité, se traduisant par une colite

inflammatoire transitoire sévère, a été induite chez les trois patients inclus dans l’étude

262

.

Pour éviter ce type d’effet indésirable, il faudrait envisager de cibler des antigènes exprimés

uniquement par les cellules tumorales. Les antigènes uniques dérivés de gènes mutés dans les

tumeurs seraient donc une cible de choix.

Des LT du sang périphérique de haute spécificité peuvent également être obtenus en

utilisant un transgène codant un récepteur chimérique spécifique d’un antigène exprimé à la

surface des cellules tumorales, appelé CAR (Chimeric Antigen Receptor)

263

. Un CAR

reconnaît l’antigène tumoral à travers la région variable d’un anticorps fusionné à des

domaines intracellulaires de TCR capables d’activer des LT. Le CAR permet aux LT modifiés

de reconnaître l’antigène tumoral indépendamment de sa présentation sur les molécules du

CMH. Plusieurs essais cliniques ont déjà démontré le potentiel thérapeutique des LT

exprimant des CARs, chez des patients atteints de tumeurs hématologiques, mais aussi de

tumeurs solides

264–269

.

Les résultats de plusieurs essais cliniques indiquent que les propriétés intrinsèques

liées au stade de différenciation des LT utilisés sont cruciales pour le succès des approches

d’ICA

270

. Les LT CD8

+

déclenchent le rejet des tumeurs chez l’homme et chez la souris. Ils

peuvent être classés en sous-populations mémoires distinctes en fonction de leur

différenciation précise. Les LT CD8

+

se différencient (à partir de cellules naïves) en cellules T

centrales mémoires (T

CM

ou Central Memory T cells) et en cellules T mémoires effectrices

(T

EM

ou Effector Memory T cells)

203

. Ces dernières années, il y a eu un intérêt particulier pour

une sous-population distincte de LT CD8

+

mémoires, appelée T

SCM

(Stem Cell-like Memory T

cells). Ces T

SCM

ont une capacité d’autorenouvellement, ont une forte capacité de

prolifération, et peuvent se différencier en T

CM

et T

EM

(Figure 13). Ils ont des propriétés

anti-tumorales supérieures aux autres sous-populations de cellules T mémoires, ce qui suggère

qu’elles seront plus efficaces pour une ICA chez des patients atteints de cancer

117,271

.

54

Figure 13 : Capacité anti-tumorale au cours de la différenciation progressive des lymphocytes T

L’activation spécifique des LT naïfs induit des changements progressifs de leur phénotype et de leur fonction. Selon la force et la durée des signaux qu'ils reçoivent pendant leur activation, les LT prolifèrent et s’engagent dans des voies de différenciation diverses, le processus de différenciation des LT aboutissant à la perte de la capacité d’auto-renouvellement et de prolifération. Le transfert adoptif des LT à des stades précoces de différenciation permet une meilleure activité anti-tumorale et les LT souches mémoires pourraient être les plus efficaces dans les protocoles d’immunothérapie adoptive, puisqu’ils peuvent se différencier et donner naissance aux LT centraux mémoires et aux LT effecteurs mémoires, qui ont une forte capacité à lyser les cellules tumorales. CCR7, C-Chemokine Receptor type 7 ; CPA, cellule présentatrice d’antigène ; HLA, Human leucocyte antigen ; TCR, T cell receptor. D’après Restifo, N. P. et al. Nat. Rev. Immunol. 12, 269–281 (2012)

Les LT susceptibles d’être utilisés pour une ICA efficace doivent répondre à un certain

nombre de critères, appelés « FRESH » (Function, Remanence, Expansion, Survival, Homing)

par Sadelain et collaborateurs

263

. De façon importante, la spécificité antigénique et l'activité

cytotoxique des LT doivent être préservées tout au long de l'expansion (Function). Cela peut

exiger la présentation d'antigènes optimisée et/ou la purification des LT. De plus, les LT

générés doivent avoir une mémoire immunologique de longue durée (Remanence). Par

ailleurs, le nombre de ces LT (au moins 10

9

LT par kg) est un paramètre crucial dans les

modèles expérimentaux et cliniques de thérapie cellulaire adoptive (Expansion). En effet, la

génération de quantités suffisantes de LT et l'isolement éventuel de clones de cellules T

nécessitent une expansion ex vivo satisfaisante. Il faut noter également que le soutien de la

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réponse par des cytokines in vivo et dans les conditions d'activation des LT au cours de leur

expansion ex vivo est crucial pour la survie des LT injectés (Survival). Enfin pour une ICA

efficace, les LT doivent avoir la capacité de migrer vers la tumeur pour exercer leur action

anti-tumorale (Homing).

2. Stimulation in vitro de lymphocytes T