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identitaires et spatiales ?

1/ Institutionnalisation de la catégorie diaspora indienne

1.2/ Diaspora indienne ou diaspora hindoue ?

« Au nationalisme territorial de Nehru dans les années post-indépendance qui au nom d’une absence d’histoire commune demande aux P.I.O. de s’intégrer dans leur pays d’accueil, répond un nationalisme culturel qui revendique tous les fils et filles dispersés de Bharat Mata, mère Inde, d’où les noms construits sur cette racine comme Bharatya (indien), ou encore les mots de Bharatavasi (habitant actuel de l’Inde) et Bharatvanshi (descendant d’un habitant de l’Inde) utilisés par le Ministre de l’éducation pour désigner ces émigrés »

(Leclerc, 2004).

L’histoire de l’institutionnalisation de la catégorie diaspora en tant que telle par le gouvernement indien semble largement truffée d’apories. Il nous faut maintenant s’interroger sur les arcanes de ce discours unificateur. Quelle est la rhétorique qui le sous-tend ? Ou plus simplement : quels Indiens font partis de la diaspora indienne selon la catégorie instaurée par le gouvernement ?

Au-delà des vicissitudes historiques qui ont fait passer les communautés expatriées du statut de traître à des agents de développement de l’Inde et d’ouverture sur le monde, il n’apparaît pas choquant d’affirmer que le gouvernement de la National Democratic Alliance a mené un changement complet de paradigme dans les relations entre l’État indien et les communautés expatriées.

Cette catégorie diaspora indienne est-elle inclusive ou exclusive ? Répondre un peu des deux ne serait pas faux mais resterait dans le domaine de l’approximation. Et il semble que l’unité affichée par le discours s’avère dépassé par un ensemble de mesures prises par le gouvernement de la National Democratic Alliance de 1998 à 2004. En effet, plusieurs

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mesures discriminatoires et ségrégationnistes ont été aménagées qui ont pour point commun de soulever avec acuité la question de l’identité indienne et de son homogénéité. Le vecteur de cette homogénéité est la citoyenneté, ou plus particulièrement la double citoyenneté qui permet de relier certains membres sélectionnés de la diaspora avec l’Inde. Ainsi, cette homogénéité participe à l’affirmation d’une identité indienne conçue comme une identité hindoue. Dès lors l’indianité se détache peu à peu de son référent territorial, Bharat mata, et peut alors être revendiquée par tous les membres de la diaspora, à condition de respecter les valeurs hindoues, ce qui exclut les membres des autres confessions.

En premier lieu, il est nécessaire d’indiquer que la constitution indienne ne reconnaît pas la double citoyenneté. La loi sur la citoyenneté de 1955 précise que toute personne ayant acquis la citoyenneté d’un autre pays perd sa citoyenneté indienne. Les sujets britanniques d’origine indienne deviennent pour l’Inde des étrangers. À partir de 1991, cette question de la double citoyenneté ressurgit à la demande des NRI qui y voient une garantie pour investir en Inde. De sorte que la nouvelle politique de Vajpayee débouche en janvier 2003 par l’annonce d’un amendement à la loi sur la citoyenneté : le principe est de créer une citoyenneté d’Outre-mer, pour les pays qui acceptent celle-ci. Sur la base de la réciprocité, une liste de 16 pays est définie : Australie, Canada, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Irlande, Israël, Italie, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, République de Chypre, Royaume-Uni, Suède et Suisse. Et sont éligibles à cette citoyenneté d’outre-mer les personnes qui pouvaient :

- être citoyen au moment de l’application de la constitution indienne,

- appartenir à un territoire qui est devenu partie intégrante de l’Inde après le 15 août 1947, - et les descendants sur deux générations des personnes éligibles à l’exception des personnes ayant acquis la citoyenneté de pays comme le Pakistan ou le Bangladesh.

Ainsi, les originaires de l’Inde sont définis par une loi du 7 janvier 2004. Cette citoyenneté d’outre-mer les exclus de certains droits tels que le droit de vote, l’éligibilité aux conseils électifs, la nomination aux magistratures constitutionnelles, l’accès à la fonction publique. Cette citoyenneté est réservée aux expatriés Indiens installés principalement dans les pays développés donc aux sections les mieux loties des NRI. Par exemple, les Indiens installés aux États-Unis possèdent le meilleur revenu par tête de toutes les communautés émigrées (60.093 $ par an, à comparer à la moyenne américaine de 38.885 $). Même si cette moyenne cache des inégalités leur niveau économique est sans commune mesure avec celui de la masse des Indiens restés au pays. Les Indiens qui quittent leur pays pour les États-Unis appartiennent

désormais à une élite. On fait souvent démarrer cette phase en 1965, date à laquelle les États-Unis ont abrogé la Luce-Geller Bill de 1946 qui fixait un quota de 100 visas par an pour les Indiens et ont réformé leur Immigration Act pour favoriser l’immigration de personnes hautement qualifiées, répondant aux besoins économiques du pays. Le nombre d’Indiens partant s’installer définitivement aux États-Unis passe alors de 4 575 pour la décennie 1955-1965 à 100 771 pendant la décennie suivante. Dans le discours officiel indien, l’expression brain drain a été remplacée par celle de brain gain, renvoyant à l’idée d’un transfert de connaissances et de technologies via la diaspora. Et ces élites indiennes se pensent de plus en plus comme la future 3ème puissance mondiale dans un monde tripolaire entre les États-Unis et la Chine. Mais, alors que la population du sous-continent indien a dépassé en 2000 celle de la Chine, son PIB cumulé, qui était identique en 1980 au PIB chinois, est désormais 2.5 fois moins élevé. De sorte que l’Inde semble désormais bien décidée à copier, à sa manière, la stratégie chinoise d’entrée dans la mondialisation.

Avec ces mesures sur la citoyenneté d’outre-mer, une autre discrimination apparaît. Celle-ci n’est plus d’ordre économique mais géopolitique.

« Au nom de la sécurité nationale, la nouvelle citoyenneté d’mer est refusée

Outre-terre parmi les anciennes parties de l’Empire britannique » (Leclerc, 2004).

En effet, au regard des mesures de l’application de cette citoyenneté d’outre-mer, sont exclus les pays tels que le Bangladesh, le Sri Lanka et surtout le Pakistan qui n’appartenaient pas à un territoire inclus à l’Inde au moment de son indépendance. À l’inverse, sont inclus les territoires rétrocédés par la France ou le Portugal (pensons à l’État de Goa) après l’indépendance. En d’autres termes, « ces deux discriminations ont pour point commun de

refuser la citoyenneté d’Outre-mer à des populations majoritairement musulmanes » et

réaffirment la partition (Leclerc, 2004),

Ainsi, ce nationalisme hindou produit par un discours politique est susceptible de se transplanter, avec des degrés de conscience variable, sur des terrains sociaux de toutes sortes (communauté indienne nord américaine, canadienne, française, australienne…) En effet, la catégorie diaspora indienne est une structure qui émane des stratégies territoriales employées au sein de l’Etat indien comme moyen de promouvoir ses intérêts socio-culturels et économiques. Et en développant une solidarité conceptuellement douteuse, entre nationalisme

et sélectivité cette même structure vise à créer une identité panindienne transnationale qui repose sur trois éléments définissant de fait un véritable marketing identitaire ou plus clairement une rhétorique identificatoire :

Un élément cognitif : les expatriés doivent être au courant des limites de l’Inde et de sa configuration. Rappelons que l’origine étymologique du mot hindou provient de la variante persane sindhou – le fleuve Indus – et désignait au début de l’ère chrétienne les populations qui vivaient au-delà de ce fleuve. Ce n’est que tardivement que ce mot a été employé pour désigner une religion (Jaffrelot & Tarabout, 2006). De sorte que cet élément cognitif doit être attaché à l’image d’une Inde indivise et intégrale, patrie des hindous, Bharat mata, qui existe comme site privilégié de la construction du nationalisme hindou (Assayag, 1997). Ainsi, il s’agit des limites de l’hindouïté ou hindutva face à l’Autre, le musulman, qui se cristallisent autour de l’Akhand Bharat49 dont Ayodhya serait la capitale.

Photo 1 - Bharat Mata

« Ce qui fait tenir un peuple ensemble n’est pas juste un passé partagé et une mémoire

solidaire, mais une origine commune définie par la coalescence entre ancestralité, sacralité et territorialité » (Assayag, 1997 : 874).

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L’Akhand Bharat correspondrait à un territoire de l’hindouité imaginaire construit par opposition à l’Islam et dans le but d’une recherche identitaire. Les limites de ce territoire ne sont pas fixes, mais elles puisent leurs significations dans le passé et la mythologie (le Ramayana principalement). De sorte que l’Akhand Bharat s’étendrait à l’ensemble du sous-continent indien incluant l’Inde, le Sri Lanka, l’Himalaya, l’Hindu kuch, le Pakistan et l’Afghanistan

Cette origine est instrumentalisée ou plutôt sacralisée par le concept politique d’hindutva qui sous-tend l’action de différentes formations politiques indiennes. Parmi les organisations qui se référent à l’hindutva et qui se regroupent au sein du Sangh Parivar (famille hindoue), on trouve le RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh, ou association des volontaires nationaux), le BJP (la façade politique), le VHP (Vishwa Hindu Parishad, ou association hindoue universelle), le Shiv Sena (le front des activistes), et l’armée de Shivâjî50. L’hindutva affirme donc la fierté d’être hindou, une fierté qui selon ses partisans a été blessée depuis le début des invasions musulmanes en Inde et qui n’a cessé de l’être durant l’Empire Moghol puis le Raj britannique. Le point fort de cette idéologie c’est à la fois sa capacité d’attraction et sa configuration transnationale. En effet, « la VHP s’efforce de s’implanter avec un succès

croissant dans une diaspora hindoue en quête d’identité et de références religieuses »

(Jaffrelot, 2006 : 589), en s’appuyant sur des associations « locales » telle la « VHP of

America », l'antenne d'outre-mer de l'hindutva, le Hindu Students Councils, la branche

américaine étudiante et plus globalement sur de nombreux gourous modernes qui constituent souvent des relais utiles (Jaffrelot, 2006) à la VHP.

Un élément affectif : qui doit donner le sentiment d’une identité commune dans l’espace ainsi conçu. Cette dimension est assurée depuis le 9 janvier 2003 par un hommage de l’État indien à la reconnaissance de la contribution de ses expatriés à l’histoire de l’Inde, le Pravasi

Bharatya Divas. Bien sûr cette dimension affective est elle-même instrumentalisée. Pour

preuve, la date du 9 janvier correspond au retour définitif d’Afrique du Sud de Gandhi en Inde en 1915.

« En s’appuyant sur cette image tutélaire, Gandhi, le combattant de la liberté, la grande âme,

un symbole incontestable, cette commémoration offre une occasion de célébrer l’unité du pays » (Leclerc, 2004).

Le Pravasi Bharatya Divas est l’occasion de réunir des figures éminentes de la diaspora indienne : Naipaul prix Nobel de littérature en 2001, Amartya Sen prix Nobel d’économie en 1998 par exemple. Au cours de chacune de ces festivités, certains expatriés indiens sont décorés du Pravasi Bharatya Samman Awards, une décoration honorifique créée

50 Shivâjî est un râja marathe du XVII siècle qui en 1645, face à la domination des musulmans en Inde a fait vœu au temple de la déesse Bhâvani d’établir un royaume hindou. Et pour se faire il opta pour une stratégie de guérilla.

spécifiquement. En plus de cette reconnaissance de l’État envers les membres les plus méritants de la diaspora, le Pravasi Bharatya Divas est l’occasion de rencontres thématiques autour des thèmes de l’investissement, de l’éducation, de la culture, de rencontre avec les responsables gouvernementaux ainsi que de contact d’affaires.

Photo 2 – La famille indienne globale

Et comme le montre l’emblème du Pravasi Bharatya Divas, c’est l’occasion de reconstituer la famille indienne globale, dispersée dans plus de 136 pays et, d’institutionnaliser un semblant de cohésion, une solidarité transnationale. Dans cette dimension affective il nous faut aussi ajouter la création d’un dernier type de lieu : un centre pour la diaspora indienne. Mais pas n’importe quel centre, une capitale hors de l’Inde instaurée à l’Île Maurice, à l’initiative du GOPIO (Global Organization of People of Indian Origin)51. Pourquoi à l’Île Maurice ? Car les populations d’origine indienne y sont majoritaires (70%) et qu’il s’agit d’une île à la fois anglophone et francophone et que cette majorité renferme la diversité indienne. De ce fait, l'ensemble de l'île est dénommé Chota Bharat, traduction en hindi de l'anglais "Little India". Parallèlement, il s'agit aussi de la réactualisation d'un mythe qui date des années 1930 lorsque l'élite hindoue s'est lancée à la conquête du pouvoir politique contre les colons français qui appelaient à l'époque cette île, la "petite France". Enfin, il faut savoir que le GOPIO a pour origine la NFIA (the National Federation of Indian American Associations), ou fédération nationale des associations indo-américaines, qui a organisée pour la première fois en 1989 la « convention globale des PIO ». Cette organisation non gouvernementale proclame elle aussi

l’unité et la continuité avec l’Inde, et sa mobilisation se cristallise autour de cinq objectifs principaux :

o Promouvoir les intérêts et les aspirations des communautés d’origine indiennes installées à travers le monde, et principalement celles qui sont victimes de discriminations ethniques.

o Promouvoir un héritage culturel commun et un esprit de corps.

o Mobiliser conjointement les ressources financières, intellectuelles et professionnelles des « Indian abroad » pour leur développement mutuel et leur promotion.

o Encourager les interactions et les échanges entre les différentes communautés indiennes, à un niveau global afin d’établir un plan cohérent en matière d’éducation et de technologies.

o À terme ces interactions devront se faire au-delà des communautés afin d’inciter le progrès, la paix et l’harmonie.

Un élément instrumental : qui doit créer une mobilisation pour une action collective. En d’autres termes, pourquoi un parti nationaliste mène-t-il une politique du lien avec les expatriés Indiens et développe-t-il une politique de la double nationalité, si ce n’est pour maintenir une identité indienne dans la dispersion ?

C’est là qu’il y a instrumentalisation, car il ne s’agit pas d’une identité fédératrice de la diversité indienne mais une identité qui se veut hautement sélective. D’ailleurs que se cache-t-il derrière le terme d’indianité ? Nous pouvons de prime abord dire que cette identité se veut exclusive et permet d’écarter de la définition de la diaspora tous les mouvements de population anciens. Dans cette dimension indianité rime avec hindouïté et hindutva, et in extenso créée un lien au-delà de la distance que l’on pourrait nommer lien national au sens où il produit une communauté politique imaginaire et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine. Et il faut comprendre cette indianité comme un nationalisme à longue distance entretenu par les partis nationalistes indiens (Shiller, 2005).

Il apparaît clair que ce nationalisme permet de rassembler au delà des frontière de l’Inde. Ainsi, derrière ce discours unificateur se cache une lecture du monde à travers le prisme d’un hindouisme revisité.

« La revendication du semi-nom propre « diaspora indienne » est un élément d’un

nationaliste assez strict. Sous couvert d’une identité pan-indienne, les références à une identité hindoue sont omniprésentes » (Leclerc, 2004).

Ainsi, au-delà d’une volonté d’intégration économique il apparaît clair que l’utilisation du terme diaspora par l’État de l’Union indienne permet de créer une unité fictive au-delà de l’hétérogénéité des groupes sociaux et des contextes historiques. En développant un marketing identitaire complet, le gouvernement indien assure une continuité qui à son tour devient le fondement d’une communauté, du moins d’une illusion communautaire.

L’innovation dans cette approche de l’identité indienne c’est de la détacher l’indianité du territoire national, de son substrat originel. De sorte, elle peut faire l’objet de revendications véhémentes par tous les membres de la diaspora, à condition de respecter les valeurs de l’hindutva. Ainsi, cette catégorie fonctionne comme toute entité sociétale, sur une relation binaire inclusion/exclusion où l’inclusion s’apparente à une forme prononcée de nationalisme hindou transnational.