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Assimilation par l’expérience de la démocratie à Pondichéry

Projet moderne, projet colonial ; universalisme et assimilation versus décolonisation et

1/ Assimilation, citoyenneté et nationalité

1.2. Assimilation par l’expérience de la démocratie à Pondichéry

Du traité de Paris de 1814 jusqu’au traité de cession du 28 mai 1956, Pondichéry a été continuellement française pendant prés de 142 années. Mais sa population quant à elle n’était pas soumise à cette exclusivité, bien au contraire. Sa principale caractéristique était son cosmopolitisme. Depuis l’installation des Français dans le territoire de Pondichéry, des

hollandais, des arméniens, des maures, des anglais et beaucoup de portugais contribuaient à ce mélange culturel.

Toutefois, au-delà de ce cosmopolitisme, un certain clivage opposait principalement les Européens aux Indiens, pourtant eux-mêmes divisés en catégories distinctes. En effet, la population européenne était divisée en deux parties : les employés de la Compagnie, y compris les militaires et les Colons que l’on appellera plus tard « créoles » (en 1994, on comptabilisait encore 850 créoles dont la plupart sont rassemblés autour de la Société

mutuelle des créoles). Ce sont des employés restés à Pondichéry ou leurs descendants. Pour

être bref, ce sont des descendants métis d’européens.

« Cette distinction dans la population européenne continuera jusqu’à la deuxième guerre

mondiale. Les fonctionnaires français envoyaient leurs femmes accoucher en France pour éviter que leurs ancêtres ne deviennent des créoles » (David, 2005 : 80).

Quant à la population indienne, déjà hétéroclite du point de vue des confessions religieuses, elle n’était pas seulement composée de Tamouls. Il y avait en tête de grands propriétaires terriens, parlant télougou et descendants des anciens officiers de l’empire de Vijayanagar (dernier royaume hindou de l’Inde méridionale qui a duré approximativement de 1336 à 1565), des petits propriétaires terriens Tamouls ou non, et des artisans. Au bas de la hiérarchie des ouvriers agricoles de caste ou hors caste.

Bien que ces deux catégories de population, européenne et indienne, se soient considérées comme hermétiquement fermées l’une à l’autre, il faut noter l’existence d’un métissage qui a produit une catégorie intermédiaire de métis qui étaient habitués à un mode de vie distinct des Indiens et s’habillaient différemment d’eux : les topas (littéralement ceux qui portent des chapeaux). Intermédiaires d’une part parce qu’ils n’étaient pas admis par les Indiens et ils ne le désiraient pas, mais ils n’étaient pas non plus admis par les Français (Tirouvanziam – Louis, 1994) ; et d’autre part parce qu’ils étaient au milieu de rapports de type acheteurs/vendeurs, gouvernants/gouvernés, employeurs/employés qui se tissaient entre la communauté européenne et indienne.

Néanmoins, il est important de convoquer cette diversité, car elle joue encore un rôle dans la construction des récits identitaires contemporains.

Texte 3 - Honneur et fierté19

- Interlocuteur : «

Moi, vous savez, je ne suis pas n’importe qui. On dit qu’à

Pondichéry il n’y a que des gens infréquentables, de basses castes. Ce

n’est pas vrai. Moi je suis un descendant de l’empire Vijayanagar. Ce

n’est pas rien

».

- Interviewer : «

En quoi ce n’est pas rien ?

».

- Interlocuteur : «

Parce que c’est honorable. Même si je suis français et

tamoul, je sais que je viens d’une grande famille, une famille de

gouverneurs, qui a construit des choses magnifiques. Vous êtes sans

doute déjà allé à Hampi ! […] Malgré tout, à cause de ma nationalité

française, il y en a qui disent que je ne suis pas Indien. Ça me permet

aussi de contredire ce type d’affirmations

».

En effet, beaucoup de Français d’origine pondichérienne usent de leurs origines, lorsqu’elles sont flatteuses, pour se distinguer. Certains constituent leur passé sur des récits mythiques, d’autres aiment à rappeler leur ascendance impériale. Tel est le cas d’un de mes interlocuteurs qui tient à sa filiation lointaine avec les Nayak. Ces derniers étaient les gouverneurs locaux de l’empire Vijayanagar et étaient originaires de l’Andhra Pradesh (« Les Nayaks du Tamil

Nadu, de Gingee et de Madurai dont je suis originaire sont arrivés de ce royaume qui a été complètement détruit au XVI siècle»20).

Surtout, à cette diversité de population correspondait une diversité de statuts dans l’exercice de la démocratie. En effet, les Européens se distinguaient aussi des « natifs » (des Indiens) en ce qu’ils possédaient l’état civil français, tandis que les Indiens étaient soumis au statut civil personnel défini par la coutume et les règles de caste. Pourtant la loi du 18 mars 1848 appelle Français et Indiens des Établissements Français des Indes à élire un député au suffrage universel. De sorte que ces Indiens, sujets français, mais civilement étrangers, se retrouvent en 1848 électeurs sans être véritablement des citoyens, du moins au point de vue du statut

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Extrait d’un entretien mené avec Mr Sanjivy Ludovic, mené à Pondichéry en 2007. Cet homme français, né à Pondichéry, maintenant retraité de l’administration française a ouvert une agence de voyages à Pondichéry. Il est âgé de 62 ans et veut contribuer à la connaissance et reconnaissance de la culture indienne par les touristes français.

20

légal (Deschamps, 1997 : 50). Et ils étaient répartis jusqu’au 21 septembre 1881 en deux listes : la première liste comprenait les Européens et descendants d’Européens et la deuxième liste les « natifs ». Mais l’émergence d’une nouvelle catégorie de citoyens, les renonçants, déterminés à passer en première liste selon les dispositions du décret, suscita l’opposition farouche des Européens qui risquaient d’être réduit à une minorité dans la première liste et de perdre toute influence politique.

C’est pourquoi en 1884, le gouvernement français a adopté une solution de compromis par décret. La première liste comprendrait les Européens et descendants d’Européens, la seconde liste les Indiens renonçants et la troisième liste les Indiens non renonçants. Ainsi, la renonciation ne fait pas accéder au statut d’Européen et il semble que la renonciation oblige à déceler de ce qui entre le statut juridique ou l’identité française (et plus largement européenne) détermine l’accès à la citoyenneté.

« Avec le décret de 1884, les renonçants demeurent des indigènes, et en même temps, ils sont

déjà des citoyens auxquels on accordera l’exercice effectif des droits politiques nouveaux que leur a acquis leur renonciation seulement dans un avenir indéterminé, des citoyens différés dont l’identité reste à accomplir » (Deschamps, 1997 : 55).

Et, pour accomplir cette identité, il faut se justifier d’un degré réel d’assimilation à une identité européenne réifiée (pour ne pas dire essentialisée). En effet, face à l’insatisfaction du système de trois listes, celui-ci est ramené à deux. Et seuls les plus « louables » des renonçants peuvent être inscrits dans la liste des Européens.

Ainsi, pour être considéré comme assimilé il faut remplir une des conditions suivantes : -Avoir obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur français.

-Avoir occupé au moins pendant cinq ans une fonction administrative ou judiciaire.

-Avoir exercé pendant cinq ans un mandat électif, ou encore avoir obtenu soit une décoration française, soit une médaille d’honneur.

Dans tous ces cas, il faut justifier de la connaissance de la langue française. De sorte que celle-ci fonctionne comme un marqueur social, « un des lieux où se fabrique l’identité

nationale, et la conformité sociale attendu du citoyen » (Deschamps, 1997 : 62).

En conséquence le critère linguistique et cette « citoyenneté à brevet » (Deschamps, D. 1997, p68) reposent sur des critères d’identification fondés sur le rang, la qualification, et la médaille qui vont au-delà de la discrimination électorale et rappellent aux renonçants que la

capacité politique est une aptitude à servir l’Etat. Et, l’état civil englobe les règles, les usages, les traditions et les mentalités ; autant de termes que la notion coloniale de civilisation résume. Toutefois pour les Indiens, le suffrage n'est pas pensé comme le vecteur d'une simple mise en représentation des intérêts particuliers de la communauté mais le moyen de faire souscrire chacun de ses membres au contrat politique fondateur de la République.

Enfin, aura fallu attendre le 23 août 1945 pour que le suffrage devienne effectivement universel, et que toutes les voix comptent pour le même poids. Le droit de vote des femmes complétant ce processus d’universalisation du suffrage.

Mais, ce n’est qu’en 1946 que les ressortissants des territoires d’outre-mer ont la qualité de citoyens français au même titre que les Français de la métropole. Toutes les discriminations disparaissent en droit, et les Etablissements français des Indes deviennent des territoires

d’outre-mer (il est à noter que les îles de la Guadeloupe, Martinique et Réunion quant à elles

deviennent des départements d’outre-mer le 19 mars 1946) De sorte qu’ils font désormais partie intégrante de la République française au même titre que la métropole ; ils cessent d’être la propriété de la métropole en tant que colonies.