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2. LA THÉORIE FONCTIONNELLE DE LA COGNITION DE NORMAN ANDERSON

2.2. LA THÉORIE FONCTIONNELLE DE LA COGNITION

2.2.1. Diagramme du processus de l’intégration de l’information

Selon N. H. (Anderson (1982, 1996, 2008, 2013), l’intégration devient un con- cept central pour comprendre comment les informations ont été combinées par l’in- dividu afin de donner une réponse. Pour comprendre ce fonctionnement cognitif, N. H. Anderson représente de façon schématique le diagramme de l’intégration de l’in- formation (Anderson 1982, 1996, 2008, 2013), comme une chaîne de trois opérations ou processus : le processus de valuation, d’intégration et de réponse (cf. Figure 2-1).

Ce schéma cognitif de l’individu permet d’observer un champ de stimuli externes (ici modalités de facteurs) qui subissent trois processus successifs afin de permettre aux individus d’émettre une réponse unique (ici jugement d’acceptabilité ou aptitude).

Nous retrouvons les trois étapes nécessaires à ce macro-processus d’intégration de l’information. Dans un premier temps, dans le processus de valuation, les stimuli

externes comprenant des valeurs physiques (représentées par « S1 », « S2 » et « S3 », à gauche) sont transmutés en représentations psychologiques. En effet, dans ce premier processus, ces valeurs physiques sont transformées en contre-valeurs psychologiques (représentés par « s1 », « s2 » et « s3 », au centre). Cette première opération permet de créer de l’information en donnant une valeur subjective aux stimuli externes, c’est-à-

dire un sens psychologique traduisible en valeurs d’échelles va être associé à chaque stimulus externe donnant lieu aux contre-valeurs psychologiques et permettant ainsi, la création de l’information.

Figure 2-1. Diagramme de l’Intégration de l’Information (Anderson N.H., 1982, 1996)

Dans un deuxième temps, les contre-valeurs psychologiques sont intégrées par le processus d’intégration afin de produire une réponse interne (« r », au centre).

Cette deuxième opération permet de créer une réponse implicite interne en attribuant différents poids aux contre-valeurs psychologiques, qui vont être groupées pour for- mer une seule réponse. Enfin, dans un troisième temps, dans le processus de ré- ponse, la réponse implicite interne va se transformer en réponse explicite (représentée

par « R », à droite). Cette troisième et dernière opération permet d’exprimer une ré- ponse (réponse exprimée, représentée par « R », à droite). Cette réponse devient ainsi une réponse observable au travers d’une fonction motrice ou d’une action. Dans le cadre de nos études, la réponse des participants devient observable par la fonction motrice qui consiste à placer une croix sur l’échelle d’acceptation proposée en bas de chaque scénario.

Nous présenterons en détail chacun des processus afin de mieux comprendre leur utilité.

2.2.1.1. Processus de valuation

Le premier processus dénommé processus de valuation, est une opération qui permet d’accorder une valeur subjective aux stimuli externes « Si » qui se traduit par des contre-valeurs psychologiques « si ». C’est donc le processus d’extraction d’infor- mation d’un stimulus physique qui est transformé en une valeur psychologiquement dérivée (Anderson, 1981,1982, 1996).

Aucune réaction des individus, pensée ou comportement, n’est issue d’un seul stimulus, mais de multiples stimuli externes. Ce processus de valuation peut donc être considéré comme une pondération interne de différents stimuli afin de parvenir à une réponse finale. Pour illustrer notre propos, prenons un exemple issu de notre première étude. Deux infirmières sont confrontées à la même prescription médicale « si besoin » en fonction du degré de douleur de leurs patients. Quand elles doivent appliquer le traitement prescrit, elles vont agir différemment. En effet, elles vont toutes les deux prendre en compte les différents stimuli externes inhérents à la situation : le degré de douleur ressenti par le patient, son âge, la demande ou le nombre de fois qu’il a appelé et le temps écoulé depuis la dernière dose du médicament opiacé administrée. Suite au processus de valuation, les deux infirmières vont établir une représentation mentale de la situation en transformant ces quatre stimuli en contre-valeurs psychologiques. Ces représentations vont dépendre de la teneur des stimuli et de la valeur attribuée au moment de l’opération, ainsi que de l’ensemble des expériences vécues antérieure- ment par les individus. En d’autres termes, des stimuli physiques n’ont pas de valeur psychologique fixe. Les individus doivent les transformer en représentations en leur donnant une valeur subjective qui leur est propre, traduite en notre étude en termes de « degré d’acceptabilité » ou « degré d’aptitude ».

Dans notre exemple, les objectifs attribués par les infirmières peuvent être per- sonnels (intériorisés) ou assignés (valeurs) comme dans le contexte de notre étude : les participants ont pour mission d’évaluer l’acceptabilité de refuser par l’infirmière de délivrer une dose supplémentaire d’un médicament opiacé pour soulager la douleur aiguë post-chirurgicale. L’appropriation de ces stimuli par les infirmières va être ef- fectuée différemment, en fonction de leurs propres objectifs, de leurs expériences professionnelles antérieures, de leur évaluation de l’état du patient, de leurs connais- sances en pharmacologie sur le médicament prescrit, et des possibles risques et com- plications pour le patient.

2.2.1.2. Processus d’intégration

Comme nous le venons d’évoquer dans le processus précédent, la plupart des réponses des individus sont basées sur l’interaction de différents stimuli afin de par- venir à une réponse finale. Ce processus de sources multiples provoquant un seul comportement est appelé « Causalité Multiple » (Anderson, 1981, 1982, 1996). La Théo- rie de l’intégration de l’information (IIT) étudie comment ces stimuli sont intégrés et combinés cognitivement pour former une réponse unique. (Anderson, 1981, 1996, 2008, 2013). Elle est différente selon les individus. Il est donc très rare de détecter un seul prédicteur de comportement. (Anderson, 1981, 1982, 1996, 2008).

Dans cette deuxième phase du processus dénommé processus d’intégration, s’ef- fectue le passage de la détermination multiple à la réponse singulière « r ». En autres termes, dans ce processus d’intégration, les individus vont utiliser les différentes opé- rations dont ils disposent afin de regrouper, transformer et combiner les contre-va- leurs psychologiques « si » en une réponse unique inexprimée, la réponse interne sin- gulière « r ». En effet, les contre-valeurs psychologiques reçoivent des poids différents « Wi » en fonction de l’importance accordée par l’individu aux différents stimuli de l’information.

Pour que ce processus cognitif puisse avoir lieu, les valeurs subjectives accordées par les individus aux différentes informations deviennent une mesure unique, c’est-à- dire, d’une même valeur. Ainsi, dans le cadre de cette recherche, les participants utili- sent « l’échelle d’acceptabilité » comme échelle de mesure unique. Dans nos études, cette échelle leur est présentée à la fin de chaque scénario proposé.

Concernant les différentes situations combinant les facteurs présentés dans les scénarii, le poids « Wi » accordé à la valeur de l’échelle associée aux « niveaux de risque » et/ou associé à « l’administration d’une dose d’antalgique supplémentaire », pourrait différer du poids accordé à la valeur de l’échelle associée au « degré de dou- leur », ou encore, au « nombre de demandes » que le patient effectue ou à « l’âge du patient ».

Supposons maintenant que « S1 » correspond à la modalité « risque encouru par le patient très élevé », la valeur subjective « s1 » qui lui est associée peut-être « gravité », puisque dans cette situation nous abordons les effets pharmacologiques de la mor- phine sur l’état général du patient. Étant donné que l’administration d’une dose sup- plémentaire d’antalgique morphinique pourrait être une situation grave pour le pa- tient, le poids accordé par le participant pour cette valeur pourrait être très élevé. Au

contraire, le poids de cette valeur pourrait être très faible si, pour le participant, cette gravité entraînait moins de conséquences sur l’état général du patient.

Ce poids peut être nul lorsque, par rapport au contexte expérimental, l’individu est placé dans des circonstances radicalement nouvelles pour lui ou, tout simplement, lorsqu’il ne veut pas se laisser influencer par les considérations extérieures.

Ces valeurs d’échelle sont intégrées par différentes règles d’opération (cogni- tives) qui réagissent en fonction de l’ordre sous-jacent des variables. Elles sont dési- gnées par Anderson (1981,1982, 1996, 2008) sous le terme « Algèbre Cognitive ». L'al- gèbre cognitive est donc une étape mentale imbriquée dans la phase d’intégration de l’IIT. Elle se définit comme un processus par lequel les individus combinent plusieurs sources de stimuli en une seule, le jugement, à l’aide de règles algébriques (Anderson, 1981, 1982, 1996, 2008). Les modèles d’algèbre spécifiques, ainsi que leurs méthodes d’analyse, seront détaillés plus loin.

En conclusion, ce processus d’intégration permet de repérer les processus psy- chocognitifs ou, autrement dit, la façon dont les individus ont opéré lors de la prise de décision pour construire leurs réponses internes. Dans notre recherche, le juge- ment moral émis, concernant le degré d’acceptabilité ou d’aptitude comme mesure unique à l’aide d’une échelle de réponse présentée à la fin de chaque scenarii.

Voyons maintenant le troisième et dernier processus.

2.2.1.3. Processus de réponse ou action

Dans l’IIT, le processus de réponse correspond à la troisième étape. Il rend ex- plicite et observable la réponse interne « r », élaborée lors du processus d’intégration. Cette réponse observable « R » peut être traduite par une réponse physiologique, une expression faciale ou une action motrice ou verbale. Dans notre étude, les participants doivent l’exprimer physiquement sur une échelle de jugement, correspondant au de- gré d’acceptabilité ou d’aptitude du comportement de l’infirmière présenté dans les scénarii.

Ces trois processus indépendants et successifs sont inhérents aux théories de mesure fonctionnelle. Le processus de valuation et les lois psychophysiques, le pro- cessus d’intégration et les lois psychologiques et le processus de réponse ou d’action et les lois psychomotrices (Anderson, 1981, 1982, 1996) permettent d’évaluer com- ment un premier stimulus physique est finalement traduit en réponse numérique, le jugement.

La conception du jugement est déterminée par « les objectifs » de l’individu et prend en compte, de façon implicite, les variables motivationnelles et relatives à la tâche à accomplir. Anderson (1982, 1996) explique cela à partir d’une « perspective fonc- tionnelle », basée sur la pensée et l’action, conceptualisée par l’individu en fonction de son attitude, dirigée par l’objectif visé ou par ses valeurs. En d’autres termes, ces pro- cessus sont dirigés par les objectifs poursuivis par l’individu (personnels ou assignés), au travers de la tâche à accomplir. L’objectif de l’individu devient donc la manifesta- tion de la pensée et de l’action que l’individu entreprend (Anderson, 1982, 1996).

Le jugement est aussi déterminé par « l’état initial du sujet » « So » (non représenté dans le diagramme de l’intégration de l’information, Figure 2.1) (Anderson, 1981, 1982). L’état initial du sujet correspond à l’intérêt que l’individu porte au sujet d’étude, dans notre cas, au soulagement de la douleur, ainsi que sa disposition à polariser ses réponses. C’est le cas des participants qui cochent systématiquement des réponses extrêmes dans l’échelle d’acceptabilité ou d’aptitude.

En résumé, la Théorie de l’intégration de l’information permet une approche unifiée sur la base de ces trois processus. Elle relie le monde intérieur de l’individu (les non-observables du monde interne) avec le monde extérieur (les observables dans le monde extérieur), permettant l’expression des valeurs personnelles de chaque indi- vidu (Anderson 1996, 2008, 2013).

Un exemple complet aidera à éclairer le diagramme du processus de l’intégration de l’information.

2.2.2. L’éclairage de la Théorie d’Intégration de l’Information