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Diagonalisation simultanée de formes quadratiques réelles

Soit E un espace vectoriel de dimension finie n sur k. Rappelons qu’une forme qua-dratique hermitienne q sur E est diagonale dans une base B de E s’il existe des scalaires a1, . . . , an(nécessairement dans le sous-corps fixekσdekpourσ) tels que pour tout vecteur x∈E de coordonnées (x1, . . . , xn)dans la base B, nous avons

q(x) =

n

X

i=1

ai xixσi ,

donc q(x) =Pn

i=1 ai x2i siσ= id. Nous dirons queq estdiagonalisables’il existe une base deEdans laquelle elle est diagonale. Nous dirons qu’un ensembleQde formes quadratiques hermitiennes surEestsimultanément diagonalisables’il existe une base deEdans laquelle tout élément deQ est diagonal.

Étant donné deux formes quadratiques hermitiennes q etq0 sur E, il n’existe pas tou-jours de base B de E dans laquelle ces formes sont toutes les deux diagonales. Nous pouvons prendre par exemple (k, σ) = (R,id), E = R2 et les deux formes quadratiques non dégénérées

q(x, y) =x2−y2 et q0(x, y) = 2xy .

La véritable explication découlera du lemme 1.17, mais voici un argument direct. Si deux vecteurs(x, y)et(x0, y0) sont orthogonaux pour les deux formes quadratiquesq etq0, alors xx0−yy0 = 0etxy0+x0y = 0, ce qui implique (par les formules de Cramer) que l’un des deux vecteurs est nul. En particulier, il n’existe pas de base orthogonale commune à qet à q0. Remarquons que ces deux formes sont de signature (1,1). En particulier, elles ne sont ni définies positives ni définies négatives. Le résultat 1.18 ci-dessous dit que c’est la seule obstruction sur les corps réel et complexe.

L’outil principal pour le problème de diagonalisation simultanée est le suivant. Soient q etq0 deux formes quadratiques hermitiennes sur E, de forme polaires f etf0, telles que q soit non dégénérée. Notons fe:E →(Eσ) l’isomorphisme de dualité (voir la partie 1.1) défini par f. Montrons qu’il existe un unique opérateur linéaireu=uq,q0 ∈L(E), appelé l’endomorphisme de passage de q à q0, tel que pour tous lesx, y∈E, nous ayons

f0(x, y) =f(u(x), y).

Il suffit en effet de poser, comme il est nécessaire, lorsque x parcoursE, u:x7→(fe)−1(y7→f0(x, y)),

qui est bien définie par la semi-linéarité à droite de f0 (qui implique que l’application y 7→f0(x, y) est une forme linéaire sur Eσ) et qui est linéaire par la linéarité à gauche de f0 et la linéarité def.e

Interprétation matricielle. Si B est une base de E, si A (respectivement A0) est la matrice de f (respectivement f0) dans la baseB, alors la matrice M de l’endomorphisme

de passage u=uq,q0 dans la base B est donnée par36

M = (tA)−1 tA0. (20)

Lemme 1.17. (1) L’endomorphisme de passage uq,q0 est inversible si et seulement si q0 est non dégénérée.

(2) L’endomorphisme de passageuq,q0 est auto-adjoint pour la forme polairef de q.

(3) Deux formes quadratiques hermitiennesqetq0 surE, telles queqsoit non dégénérée, sont simultanément diagonalisables si et seulement si l’endomorphisme de passageuq,q0 est diagonalisable en base orthogonale pour q.

Démonstration. (1) Ceci découle par exemple de la formule (20).

(2) Ceci découle du fait que f et f0 sont hermitiennes : pour tous les x, y ∈ E, nous avons

f(u(x), y) =f0(x, y) =f0(y, x)σ =f(u(y), x)σ =f(x, u(y)).

(3) Posonsu =uq,q0. S’il existe une base B= (e1, . . . , en) de E orthogonale pourq et q0, alors pour tout1≤i≤n, le vecteuru(ei)est orthogonal pourf à tout vecteur ej pour j6=i, car f0(ei, ej) = 0. Doncu(ei)est colinéaire à ei carq est non dégénérée et diagonale dansB. Par conséquent,u est diagonalisable dansB.

Réciproquement, siB= (e1, . . . , en)est une base deEorthogonale pourqdans laquelle la matrice deuest diagonale, de coefficients diagonauxλ1, . . . , λn, alors pour tous lesi6=j, nous avons

f0(ei, ej) =f(u(ei), ej) =λif(ei, ej) = 0.

Donc q0 est diagonale dans B.

Proposition 1.18. (Théorème de diagonalisation simultanée des formes quadra-tiques réelles ou quadraquadra-tiques hermitiennes complexes)Supposons que nous ayons (k, σ) = (R,id) (respectivement (k, σ) = (C, z 7→ z)). Soit q une forme quadratique (res-pectivement quadratique hermitienne) non dégénérée sur E. Les assertions suivantes sont équivalentes.

(1) Pour toute forme quadratique (respectivement quadratique hermitienne) q0 sur E, il existe une base de E orthogonale pour q etq0.

(2) La formeq est définie positive ou définie négative.

Démonstration. Supposons que q ne soit ni définie positive ni définie négative. Par le théorème de classification1.11(2) (respectivement (3)), la dimension deEest au moins2et il existe une base(e1, . . . , en) deE orthogonale pourq telle queq(e1) = +1etq(e2) =−1.

Considérons la forme quadratique hermitienne q0 :x7→(x1+x2)xσ1 −x2xσ2 +

n

X

i=3

q(ei)xixσi ,

36. En effet, siX etY sont les matrices colonnes des coordonnées de vecteurs quelconquesxetydeE dans la baseB, alors nous avons

tX A0Yσ=f0(x, y) =f(u(x), y) = t(M X)A Yσ= tX(tM A)Yσ,

doncA0= tM A. Rappelons queAest inversible si et seulement siqest non dégénérée.

où(x1, . . . , xn)sont les coordonnées dexdans cette base. Alors l’endomorphismeu=uq,q0 de passage de q àq0 a pour matrice dans cette base

 1 1

0 1 0

0 In−2

 .

Comme cette matrice (qui est sous forme de Jordan) n’est pas diagonalisable sur k (par exemple car la seule matricen×nà coefficients dansk, diagonalisable surk, dont toutes les valeurs propres sont égales à 1, est la matrice identité In), il découle du lemme précédant que q etq0 ne sont pas simultanément diagonalisables.

Supposons, quitte à remplacerq par−q, que q soit définie positive. Soit q0 une forme quadratique hermitienne sur E. Alors l’endomorphisme de passage u =uq,q0, qui est au-toadjoint dans l’espace euclidien (respectivement hermitien) (E, f) par le lemme1.17 (2), est diagonalisable en base orthonormée pour q par le corollaire 1.16 (1) (respectivement 1.14(1)). Donc par le lemme1.17(3), les formesqetq0 sont simultanément diagonalisables.

Interprétation géométrique. Ce résultat a une interprétation géométrique intéressante, y compris dans le cas où les deux formes sont définies positives. Nous renvoyons par exemple à [Ber4, Aud] pour l’étude des classes de similitude de coniques37 du plan euclidien. À isométries de la distance euclidienne et à homothéties près, une conique non dégénérée est

• une ellipse d’équationx2+a y2= 1 avec a >1,

• un cercle d’équationx2+y2 = 1,

• une parabole d’équationx2−a y = 1 aveca >0,

• une hyperbole d’équationx2−a y2 = 1avec a >0.

cercle

hyperbole

ellipse

parabole x

y

1

−1

Fixons n ∈ N− {0}. Pour toute forme quadratique définie positive q sur l’espace euclidien usuel Rn, la boule unité Bq = {x ∈ Rn : q(x) ≤1} de q est donc un ellipsoïde de centre 0, dont les axes sont les droitesRei pour une base orthonormée (e1, . . . , en) de Rn dans laquelleq est diagonale et lesrayons sont (avec multiplicité) les réels strictement positifs √1

q(ei) pour1≤i≤n: Bq=nXn

i=1

xiei : (x1, . . . , xn)∈Rn et

n

X

i=1

q(ei)x2i ≤1o .

37. Une conique est une ligne de niveau d’une fonction polynomiale sur R2 de degré 2, comme par exemple les formes quadratiques surR2.

Notons que les axes ne sont définis de manière unique que si les rayons sont deux à deux distincts. Dans le cas contraire, l’ellipsoïde est invariant par des rotations. Voici des images, extraites respectivement de Wikipedia et du joli article en ligne [GL] dont je recommande les animations.

Remarque. NotonsQnl’ensemble des formes quadratiques définies positives surRn, muni de l’action naturelle (à gauche) deGLn(R), de précomposition des formes quadratiques par l’inverse des automorphismes linéaires.

(g, q)7→q◦g−1.

Pour tous les q, q0 dansQn, soit B une base (qui existe par la proposition1.18 ci-dessus) de Rn dans laquelle q et q0 sont diagonales, de coefficients diagonaux (a1, . . . , an) et (a01, . . . , a0n) respectivement (qui sont strictement positifs). Posons

d(q, q0) = v u u t

n

X

i=1

lnai a0i .

Il est possible de montrer (voir par exemple [Pau3]) qued(q, q0)ne dépend pas du choix de B, et définit une distance sur Qn, invariante par l’action du groupeGLn(R).