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Chapitre 3 : Syndromes génétiques prédisposant au développement de tumeurs MSI

B. Le syndrome CMMRD

3. Diagnostic du CMMRD

Poser un diagnostic définitif du CMMRD est important pour plusieurs raisons. Premièrement, les patients qui ont développé une première tumeur ont malheureusement un risque important d’en développer une ou plusieurs autre(s). Des mesures de surveillance peuvent donc être proposées aux patients atteints. Deuxièmement, la connaissance d’un défaut constitutionnel du système MMR chez le patient permettrait d’adapter le traitement puisque certaines molécules de chimiothérapie peuvent non seulement présenter une efficacité réduite et une cytotoxicité importante en contexte MMR-déficient, mais également engendrer un risque accru de développer une tumeur secondaire. Enfin, la transmission mendélienne de la maladie fait que les parents d’un patient CMMRD sont obligatoirement atteints du LS et que les frères et sœurs ont 50% de risque d’être atteints du LS et 25%

47 de risque d’être atteints du CMMRD. La connaissance de la ou des mutation(s) présente(s) chez le patient CMMRD permet de proposer un conseil génétique à la famille mais également de mettre en place un diagnostic prénatal ou préimplantatoire si les parents le souhaitent (Wimmer et al., 2014).

Le CMMRD ayant une présentation clinique variable et un spectre clinique large, il peut être confondu avec d’autres pathologies, telles que la neurofibromatose de type 1, le syndrome de Legius, le syndrome de Li-Fraumeni ou encore la polypose adénomateuse familiale. De plus, le CMMRD est une pathologie rare, encore trop souvent méconnue des cliniciens et son incidence est certainement sous-estimée. Le diagnostic est basé sur des critères cliniques, sur la mise en évidence d’un phénotype tumoral MSI et enfin sur la détection d’une mutation germinale bi-allélique par analyse constitutionnelle des gènes MMR. Malheureusement, certaines situations restent ambiguës. Pour y remédier, l’équipe a récemment publié une méthode fonctionnelle de diagnostic basée sur des caractéristiques spécifiques des cellules MMR-déficientes (Bodo et al., 2015).

i. Critères cliniques

Le diagnostic clinique du CMMRD est rendu compliqué par l’absence de signes cliniques pathognomoniques de la pathologie et par le large spectre tumoral du CMMRD, qui chevauche partiellement celui d’autres syndromes de prédisposition au développement de cancers.

Pour pallier à ces difficultés, le consortium Européen C4CMMRD (Care For CMMRD), auquel mon équipe d’accueil participe, a proposé un système de notation pour identifier les jeunes patients atteints d’une tumeur chez qui un CMMRD devrait être recherché (Wimmer et al., 2014). Les tumeurs hautement spécifiques du CMMRD se voient attribuer 3 points, 2 points pour les tumeurs surreprésentées dans le CMMRD et 1 point pour les autres tumeurs. La TABLE 3 récapitule l’ensemble des critères et le nombre de points attribués à chacun. Un CMMRD devrait être suspecté chez un individu qui obtient un score minimum de 3 et une analyse constitutionnelle des gènes MMR doit être proposée à ces patients.

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TABLE 3 | Critères cliniques préconisant la recherche d’un syndrome CMMRD chez un patient atteint de cancer

Le syndrome CMMRD devrait être suspecté chez un patient présentant un score ≥ 3 points. * cancers du spectre Lynch : cancer colorectal, endomètre, intestin grêle, voies biliaires, voies urinaires, ovaires. sPNET : tumeur primitive neuro-ectodermique supra-tentorielle. Adapté de (Wimmer et al., 2014).

Comme dans le cadre du LS, la recherche d’un phénotype MSI est réalisée par IHC et par biologie moléculaire. Si le principe de ces techniques reste le même entre le LS et le CMMRD, des limitations spécifiques au CMMRD nécessitent que ces méthodes soient adaptées à ce syndrome.

L’immunohistochimie des quatre protéines MMR est réalisée sur le tissu tumoral. Dans le contexte du LS, les cellules normales autour et au sein de la tumeur expriment correctement les protéines MMR et servent de contrôle positif interne à l’expérimentation. Dans le cadre du CMMRD, l’ensemble des cellules du patient (tumorales mais également non tumorales) sont déficientes pour l’expression d’une ou plusieurs protéines MMR. Il est donc important de réaliser en parallèle un marquage contrôle d’un autre individu sur la même lame afin de pouvoir considérer une absence totale de marquage comme évocatrice d’un CMMRD et non pas comme un défaut d’expérimentation. Comme dans le cadre du LS, le résultat de l’IHC peut orienter le test génétique vers un gène MMR ou un autre en fonction de la ou des protéine(s) dont le marquage est perdu (Durno et al., 2015). Bien que cette technique ait de nombreux avantages (facilité de mise en œuvre, rapidité, moindre coût), elle présente un risque de faux négatifs dû aux mutations faux-sens qui peuvent conduire à l’expression d’une protéine non fonctionnelle. Cette technique peut être facilement réalisée chez des

Les critères cliniques préconisant la recherche d’un syndrome CMMRD chez un patient atteint de cancer

Cancer : un cancer est nécessaire, si le patient a développé plusieurs cancers, additionner les points

Autres caractéristiques : optionnel, si le patient en présente plusieurs, additionner les points

Cancer du spectre LS* avant 25 ans

Adénomes intestinaux multiples avant 25 ans et absence de mutation APC ou MUTYH ou un seul adénome dysplasique de haut grade avant 25 ans

Gliome de stade III ou IV avant 25 ans

Lymphome non hodgkinien à cellules T ou sPNET avant 18 ans N’importe quel cancer avant 18 ans

3 points 3 points 2 points 2 points 1 point

Signes cliniques de la NF1 et/ou ≥ 2 taches cutanées hyper- et/ou hypo-pigmentées de diamètre > 1 cm Diagnostic de LS chez un apparenté au premier ou au deuxième degré

Cancer du spectre LS* avant 60 ans chez un apparenté au premier, au deuxième ou au troisième degré Frère ou sœur avec cancer du spectre LS*, gliome de haut grade, sPNET ou lymphome non hodgkinien Frère ou sœur avec n’importe quel cancer dans l’enfance

Multiples pilomatricomes Un pilomatricome

Agénésie du corps calleux ou cavernome non-induit par un traitement Union consanguine chez les parents

Déficience / taux réduit en IgG2/4 et/ou IgA

2 points 2 points 1 point 2 points 1 point 2 points 1 point 1 point 1 point 1 point

49 individus qui ont déjà développé une tumeur et qui sont suspectés d’être atteints de CMMRD étant donné qu’on dispose alors de tissu tumoral mais également de tissu sain (muqueuse normale adjacente à la tumeur ou cellules normales intra-tumorales). Par contre, l’étude prospective sur les apparentés est plus difficile à mettre en œuvre puisqu’on ne dispose pas de prélèvement tumoral. Une biopsie cutanée est envisageable mais il s’agit d’un geste relativement invasif. Par ailleurs, cette approche n’a pas encore été validée ni standardisée.

Le phénotype MSI peut également être recherché dans la tumeur. Cependant, beaucoup de tumeurs cérébrales et d’hémopathies malignes de patients CMMRD se sont avérées être de phénotype MSS (Bakry et al., 2014). En effet, comme nous l’avons vu précédemment, l’inactivation constitutionnelle du système MMR conduit à une inactivation précoce des gènes POLE ou POLD. Les mutations induites par la perte d’activité de relecture surpassent les mutations induites par la perte du système MMR et les tumeurs qui en découlent sont MSS (Shlien et al., 2015).

ii. Analyses constitutionnelles

Les patients CMMRD présentent une déficience du système MMR dans l’ensemble de leurs cellules, donc un phénotype MSI pourrait en théorie être mis en évidence dans des cellules normales, notamment dans les lymphocytes primaires. Cependant, contrairement aux cellules tumorales, ces cellules ne se répliquent pas de façon clonale : la longueur d’un microsatellite spécifique n’est pas nécessairement affectée de la même manière dans toutes les cellules et l’instabilité peut être indétectable si plusieurs génomes sont analysés à la fois, comme c’est le cas dans une PCR classique. Par conséquent, une PCR particulière (« small-pool PCR ») où l’échantillon d’ADN est dilué jusqu’à obtenir un maximum de 3 génomes doit être mise en œuvre (Parsons et al., 1995). Ainsi, la difficulté de mise en place et d’interprétation ne font pas de cette technique un bon test diagnostique.

Récemment, une autre technique, nommée « gMSI » (MSI germinal) a été mise au point (Ingham et al., 2013). Elle consiste à amplifier par PCR trois marqueurs dinucléotidiques et à analyser la taille des allèles après migration des fragments fluorescents. Le « ratio gMSI » d’un marqueur est calculé en divisant la taille d’un potentiel allèle supplémentaire par la taille de l’allèle majoritaire et il est considéré comme positif s’il dépasse un certain seuil. Il faut au moins 2 marqueurs positifs sur trois pour que le profil de l’individu soit considéré comme MSI. Cette technique est reproductible et montre une grande spécificité et sensibilité pour les cas CMMRD liés à des mutations MLH1, MSH2 ou PMS2. Par contre, les cas de CMMRD dus à des mutations dans le gène MSH6 ne sont pas détectés par cette technique. Contrairement à la « small-pool PCR », elle ne nécessite pas de quantification exacte (nécessaire à la réalisation des dilutions précises). Enfin, elle permet d’analyser un certain nombre d’échantillons à la fois et est donc bien adaptée à un usage en diagnostic de routine. Cependant, la

50 méthode n’est pas contributive dans le cas des marqueurs hétérozygotes, ce qui arrive dans un nombre non négligeable de situations (environ 22% des patients).

Enfin, comme pour le LS, le diagnostic final du CMMRD est moléculaire et basé sur l’identification d’une mutation bi-allélique délétère sur un gène MMR. L’analyse constitutionnelle des gènes MMR peut être orientée par les résultats d’IHC. Le gène PMS2 étant le plus difficile à analyser à cause de nombreux pseudo-gènes, son étude n’est entreprise qu’en cas de perte isolée de la protéine PMS2 en IHC. Enfin, détecter deux mutations et confirmer qu’elles sont présentes chacune sur un allèle peut s’avérer compliqué (Durno et al., 2015).

iii. Caractérisation fonctionnelle des Variants de Signification Incertaine dans le cadre du CMMRD

L’analyse constitutionnelle des gènes MMR est non contributive dans environ 30% des cas. En effet, un variant de signification incertaine (voir Chapitre 4) peut être détecté sur l’un des deux allèles ou les deux. On peut également détecter une seule mutation ou pas de mutation du tout. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que la détection des altérations sur le gène PMS2 est particulièrement compliquée due à la présence de nombreux pseudo-gènes et manque de sensibilité. Par conséquent, un test permettant de confirmer ou infirmer le diagnostic du CMMRD sans équivoque serait appréciable.

Notre équipe a développé un test de diagnostic du CMMRD basé sur les deux caractéristiques fonctionnelles spécifiques des cellules tumorales MMR-déficientes : leur phénotype MSI dû à l’incapacité de réparer les mésappariements et leur phénotype de tolérance à la méthylation dû à l’incapacité à signaliser certains dommages à l’ADN (Bodo et al., 2015). Ces deux caractéristiques sont étudiées sur des lignées lymphoblastoïdes (LLB), issues de cellules lymphoïdes de patients immortalisées grâce à une infection par le virus Epstein-Barr. Dans un premier temps, une étude cas-contrôle a été réalisée avec des LLB de patients CMMRD avérés et des patients dont les cellules sont MMR-compétentes. Cette dernière catégorie inclut des patients LS et des patients n’ayant aucune mutation MMR constitutionnelle, notamment des patients atteints de neurofibromatose de type 1 ou de Polypose Adénomateuse Familiale, qui sont des diagnostics différentiels du CMMRD. Ce test permet de différencier les patients CMMRD de patients non CMMRD avec 100% de sensibilité et 100% de spécificité.

Dans une deuxième étape, les LLB de 23 patients suspectés d’être atteints du CMMRD ont été étudiés. Ces individus avaient tous une présentation clinique évocatrice du CMMRD mais le diagnostic n’avait pas pu être confirmé par l’analyse mutationnelle des gènes MMR. Cela incluait des individus présentant des altérations MMR bi-alléliques comprenant 1 ou 2 VSI ; des individus chez qui une seule

51 altération a été détectée et des patients chez qui aucune mutation n’a été mise en évidence. L’avantage de cette méthode est d’être basée sur les cellules issues du patient, l’altération suspectée de mener au phénotype observé n’a donc pas besoin d’être connue. Dans cette série de 23 individus, 5 LLB présentaient deux tests anormaux et les patients sont donc très probablement atteints du CMMRD ; 15 LLB ont montré une réponse normale pour les deux tests et un CMMRD est très improbable. Enfin, deux cas ne présentaient qu’une caractéristique sur les deux et sont donc restés ambigus. Ce test est maintenant disponible en diagnostic de routine à l’hôpital Saint-Antoine et a permis de confirmer le diagnostic de CMMRD chez 9 individus sur 46 patients testés (20%). Le test de caractérisation fonctionnelle des variants de signification que j’ai développé dans mon travail de thèse dans le contexte du LS est dans la continuité directe de cette étude.

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Chapitre 4 : La problématique des Variants de Signification