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Chapitre 2 : Les cancers de type MSI

D. Cancers MSI iatrogènes

1. Cancers induits par les thiopurines

Les thiopurines comprennent l’azathioprine (Aza), la 6-mercaptopurine et la 6-thioguanine (6-TG). Les métabolites issus de la transformation des thiopurines agissent selon deux modes d’action : (i) l’incorporation dans les acides nucléiques qui provoque la cytotoxicité et (ii) l’inactivation de la voie de synthèse de novo des purines qui occasionne une immunosuppression. Par un processus tout à fait similaire à celui de la signalisation des dommages à l’ADN induits par les agents méthylants, les thiopurines incorporées dans l’ADN induisent également la mort cellulaire suite à leur prise en charge par le système MMR. Le mécanisme de tolérance aux thiopurines implique que le traitement provoque une pression de sélection pour les rares cellules MMR-déficientes qui présentent un avantage sélectif par rapport aux cellules MMR-compétentes. Par ailleurs, la voie de synthèse de novo des purines est la voie principale d’obtention des précurseurs puriques dans les lymphocytes : le traitement aux thiopurines entraine donc un arrêt de la prolifération lymphocytaire. Ce mécanisme peut être mis à profit pour le traitement des leucémies mais également pour induire une immunosuppression, par exemple chez les transplantés d’organes ou encore chez les personnes atteintes de maladies inflammatoires (telles que les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin) ou immunitaires (polyarthrite rhumatoïde) (Karran et Attard, 2008).

Les leucémies aiguës myéloblastiques (LAM) représentent une complication fréquente chez les patients transplantés d’organes ayant reçu un traitement immunosuppresseur pour prévenir un rejet de la greffe. Dans une étude de 7 LAM développées par des transplantés, toutes étaient de phénotype

28 MSI, contre 0/28 des LAM développées de novo. De plus, ce résultat est significativement corrélé à la prise d’Aza (Offman et al., 2004).

Une étude du laboratoire a montré que les lymphomes non Hodgkiniens (LNH) présentent un phénotype MSI dans seulement 2% (12/603) des cas. De manière intéressante, la totalité des cas sont observés dans un contexte d’immunosuppression, soit chez des patients porteurs du VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine) (3/128) soit chez des patients transplantés ayant reçu un traitement immunosuppresseur au long cours (9/111) (Duval et al., 2004). Une autre étude réalisée sur 143 LNH développés par des patients transplantés a mis en évidence 13 LNH MSI. Sur l’ensemble des 143 LNH, la prise ou non d’Aza comme traitement immunosuppresseur était connu pour les 13 LNH MSI et pour 20 LNH MSS. Parmi les 13 patients ayant développé un LNH MSI, 11 ont pris de l’Aza ; contre 9/20 chez les patients avec un LNH MSS. Par ailleurs, une association significative a été observée entre la perte d’expression de la MGMT dans les cellules tumorales des LNH et la présence d’un phénotype MSI (Borie

et al., 2009).

Les Maladies Inflammatoires Chroniques de l’Intestin (MICI) sont des lésions inflammatoires chroniques atteignant le tractus digestif et les patients atteints sont susceptibles de développer des CCR, dont la fréquence de MSI varie entre 1 et 45% selon les études (Aust et al., 2005 ; Brentnall et al., 1996 ; Cawkwell et al., 2000 ; Fleisher et al., 2000 ; Lyda et al., 2000 ; Schulmann et al., 2005 ; Suzuki

et al., 1994 ; Willenbucher et al., 1999) . Les gènes cibles de l’instabilité microsatellitaire diffèrent entre

les CCR MSI développés dans le cadre d’une MICI et les CCR MSI sporadiques (Schulmann et al., 2005). Notre équipe a décrit une série de 277 néoplasies intestinales développées par 205 patients atteints de MICI : 17 patients ont développé 27 néoplasies MSI (17/205, 8,3%). Dans cette étude, une association entre le développement de CCR MSI et la prise d’Aza, utilisée comme traitement d’entretien des MICI, n’a pas pu être mise en évidence (Svrcek et al., 2016).

Enfin, des études de notre équipe, menées in vivo chez la souris, ont permis de mettre en évidence une corrélation entre la prise d’Aza et le développement de tumeurs MSI. Une cohorte constituée de souris de phénotype Msh2+/+, Msh2+/- et Msh2-/- ont reçu de l’Aza ; alors qu’une cohorte contrôle n’a reçu aucun traitement. Les souris Msh2-/-, traitées ou non à l’Aza, développent des lymphomes MSI. Les souris MMR-compétentes Msh2+/+ et Msh2+/- contrôles sont asymptomatiques tandis que toutes les souris de même génotype traitées à l’Aza meurent prématurément. Alors que toutes les souris Msh2+/- développent des lymphomes MSI, les souris Msh2+/+ développent des lymphomes MSS. Chez les souris MSH2+/+, la cytotoxicité de l’Aza à la dose utilisée dans cette étude n’a pas permis de statuer sur le risque oncogénétique (Chalastanis et al., 2010). Ainsi, une deuxième étude a été menée avec des doses plus faibles. La dose la plus faible permet la survie prolongée des souris Msh2+/+ et est associée à l’émergence de lymphomes dans une fraction significative de souris (7/23), dont une (1/7) a développé un lymphome MSI. De la cyclosporine A, un immunosuppresseur

29 dont la signalisation est indépendante du système MMR, a été administrée en parallèle à des souris des trois génotypes. Ce traitement à la cyclosporine A n’entraîne pas d’augmentation de l’induction de lymphomes MSI, indiquant que l’Aza, contrairement à la cyclosporine A, conduit à un processus oncogénétique MSI chez la souris (Bodo et al., 2015).

2. Cancers induits par les agents méthylants

Les cancers MSI peuvent se développer dans un contexte d’immunosuppression et d’inflammation, associé ou non à une prise de thiopurine ; mais ils peuvent également se développer de façon secondaire à la suite d’un traitement chimiothérapeutique d’un premier cancer, utilisant notamment des agents méthylants.

Les LAM secondaires (liées à un traitement) présentent un phénotype MSI dans environ 50% des cas alors que la fréquence du phénotype MSI dans les LAM de novo est estimée à moins de 5%. Les thérapies mises en cause sont principalement la chimiothérapie et dans une moindre mesure les rayons (Karran et al., 2003). Il a également été observé qu’un polymorphisme dans le domaine de liaison à l’ADN de MSH2, susceptible de réduire l’efficacité du système MMR, est particulièrement associé aux LAM secondaires à une chimiothérapie avec un agent méthylant (Worrillow et al., 2003).

Un autre exemple est le traitement des gliomes par le témozolomide, un agent méthylant. Des mutations somatiques dans le gène MSH6 ont été mises en évidence dans des récidives de glioblastomes après traitement au témozolomide, alors que la tumeur primitive ne présentait pas ces anomalies. Cela suggère que les mutations de MSH6 permettent une résistance clinique au témozolomide (Cahill et al., 2007 ; Hunter et al., 2006).

Une étude de 2003 suggère que l’expansion clonale des cellules MMR-déficientes serait favorisée par un traitement aux agents méthylants. La moelle osseuse de souris irradiées est reconstituée avec un mélange de cellules Msh2-/- et Msh2+/+. Quand les souris sont traitées au témozolomide, la proportion de cellules MMR-déficientes est augmentée de façon significative. Par contre, en absence de pression de sélection, la proportion de cellules MMR-déficiente décroît au fur et à mesure des transplantations sérielles, démontrant par la même occasion le désavantage sélectif des cellules MMR-déficientes dans les conditions physiologiques normales (Reese et al., 2003).

Les cellules MMR-déficientes sont résistantes à certains agents de chimiothérapie mais la déficience du système MMR peut également être acquise pendant la chimiothérapie par des mutations sur les gènes MMR (Li, 2008). Ainsi le risque de la chimiothérapie est double. D’abord pour les patients avec des tumeurs MSI, pour qui le traitement va affecter seulement les cellules MMR-compétentes fortement réplicatives (telles que les cellules sanguines), ce qui va conduire à une forte toxicité sans

30 effet sur la tumeur. Ensuite, l’utilisation de ces agents peut sélectionner des cellules MMR-déficientes dans une tumeur par ailleurs MMR-compétente, ce qui peut provoquer des cancers secondaires MSI.

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Chapitre 3 : Syndromes génétiques prédisposant au