• Aucun résultat trouvé

Deuxième Partie : Le droit des brevets de sa création à la Première moitié du 20 ème siècle

I / Les textes de base des droits de brevets canadien, français et états-uniens

Le Canada n’étant devenu un État que relativement tardivement par rapport à la France et les États-Unis, dans un premier temps, nous n’étudierons que ces deux pays.

1. Système américain et système français, opposition sur l’origine du droit de

propriété intellectuelle sur l’invention

Avec la Révolution française, le raisonnement sur le droit de propriété intellectuelle sur un brevet va évoluer dans le sens de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Désormais la protection sur l’invention ne sera plus dénommée un privilège car ce mot rappelle trop fortement l’ancien régime. La modification n’est pas limitée seulement au mot mais aussi à l’idée qui est derrière. Là où auparavant la protection était une concession du roi, de l’État à l’inventeur, désormais et dans le respect de la ligne de pensée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est une propriété naturelle que l’inventeur a sur son invention

L’assemblée nationale, considérant que toute idée nouvelle dont la manifestation ou le développement peut devenir utile à la société, appartient primitivement à celui qui l’a conçue et que ce serait attaquer les droits de l’homme dans leur essence, que de ne pas regarder une

découverte industrielle comme la propriété de son auteur…130

130 M. Lepec et al, Recueil Général des Lois, Décrets, Ordonnances, etc. Depuis le mois de

Juin 1789 jusqu’au mois d’Août 1830, 1839, Tome Premier, Paris, Administration du

Cette modification qui peut sembler sans importance marque pourtant un changement important sur la manière d’appréhender le brevet. En effet, désormais le brevet perd son statut de droit conféré par l’État, c’est un droit de propriété naturel que l’inventeur possède sur son invention et l’État n’a que pour rôle d’acter cette propriété et de la protéger.

Pour ce qui est des États-Unis en revanche, et bien que cela puisse paraitre surprenant en raison de leur position vis-à-vis de la propriété, la propriété intellectuelle et le brevet ne seront pas vus comme un droit naturel, mais comme un droit concédé par la société à l’inventeur. C’est par le premier Patent Act de 1790 que les États-Unis, à la suite de leur déclaration d’indépendance, vont se doter d’un système de brevet unifié. Cependant, cette différence d’approche par rapport à la France, ne se trouve pas dans le texte. Pour la trouver, il faut se tourner vers Thomas Jefferson, l’une des trois personnes qui examinaient les demandes de brevet qui avait ainsi écrit

les inventions ne peuvent être par nature un objet de propriété. La société peut concéder un droit exclusif sur les fruits qui en résultent, pour encourager les hommes dans la recherche d’idées pouvant être de quelque utilité, mais que la société concède ou non un tel droit dépend de son bon vouloir, sans que quiconque puisse revendiquer ou s’en plaindre […] celui qui reçoit de moi une idée, reçoit un savoir sans affaiblir le mien ; comme celui qui allume sa chandelle à la mienne reçoit la lumière sans atténuer la mienne131.

131 Alain Beltran, Sophie Chauveau et Gabriel Galvez-Behar, Supra note 126 aux p 49 et

2. La place de l’utilitarisme dans la loi Française et États-Unienne

2.1. Dans les textes d’origine de 1790 et 1791

Malgré la modification vue précédemment en droit français avec le changement de vision sur le droit de propriété intellectuelle qui est vu comme un droit naturel, l’éthique utilitariste reste bien présente dans le droit des brevets. En effet, dès le préambule du Décret relatif aux auteurs de découvertes

utiles, il est rappelé qu’il est aussi de l’intérêt de l’État et de la société de délivrer

un brevet.

Considérant en même temps combien le défaut d’une déclaration positive et authentique de cette vérité peut avoir contribué jusqu’à présent à décourager l’industrie française, en occasionnant l’émigration de plusieurs artistes distingués, et en faisant passer à l’étranger un grand nombre d’inventions nouvelles, dont cet empire aurait dû tirer les premiers avantages132

Il n’y a pas un simple rappel de l’utilitarisme dans le préambule. En effet, parmi les articles on en retrouve également plusieurs qui répondent à une éthique utilitariste. Ainsi, l’article 3, en disposant que l’importateur d’une invention étrangère pourra bénéficier de la même protection que s’il en était l’inventeur, « Quiconque apportera le premier en France une découverte étrangère jouira des mêmes avantages que s’il en était l’inventeur »133, réalise

clairement une entorse aux principes de propriété des droits de la personne énoncé dans le préambule, au nom de l’intérêt national, on peut donc dire ici que nous sommes face à un utilitarisme national, ce qui est recherché c’est l’intérêt de l’État français. Le raisonnement utilitariste se limite aux frontières françaises.

132 Ibid.

133 Décret relatif aux auteurs de découvertes utiles, dans Recueil général des lois, décrets,

ordonnances, etc, Depuis le mois de juin 1789 jusqu’au mois d’août 1830, à la p 473, en ligne <https://cutt.ly/CtRAV3>.

C’est cependant l’article 16 qui est le plus révélateur de la place toujours importante accordée à l’utilitarisme dans la délivrance du brevet. Cet article dispose de plusieurs exceptions qui privent un inventeur de son droit de propriété sur son brevet.

1° Tout inventeur convaincu d’avoir, en donnant sa description, recélé ses moyens d’exécution, sera déchu de sa patente. – 2° Tout inventeur convaincu de s’être servi, dans sa fabrication, de moyens secrets qui n’auraient point été détaillés dans sa description, ou dont il n’aurait pas donné sa déclaration pour les faire ajouter à ceux énoncés dans sa description, sera déchu de sa patente. – 3° Tout inventeur ou se disant tel, qui sera convaincu d’avoir obtenu une patente pour des découvertes déjà consignées et décrites dans des ouvrages imprimés et publiés, sera déchu de sa patente. – 4° Tout inventeur qui, dans l’espace de deux à compter de sa patente, n’aura point mis sa découverte en activité, et qui n’aura point justifié les raisons de son inaction, sera déchu de sa patente. – 5° Tout inventeur qui, après avoir obtenu une patente en France, sera convaincu d’en avoir pris une pour le même objet en pays étranger, sera déchu de sa patente. – 6° Enfin, tout acquéreur du droit d’exercer une découverte énoncée dans une patente, sera soumis aux mêmes obligations que l’inventeur ; et s’il y contrevient, la patente sera révoquée, la découverte publiée, et l’usage en deviendra libre dans tout le royaume134.

Ainsi, pour citer les dispositions les plus marquées par l’utilitarisme, si un inventeur venait à garder cacher des éléments de son invention, s’il ne mettait pas à exécution son invention sous une durée de deux ans ou bien s’il allait, après avoir protégé son invention en France, la protéger à l’étranger se voyait retirer sa protection conférée par le brevet.

Ces dispositions sont la mise en pratique de l’utilitarisme, en effet, dans le cas des éléments gardés cachés dans le brevet, si l’inventeur agi ainsi, alors il ne permet pas de remplir l’effet qui est attendu du brevet, à savoir, la transmission et la diffusion de la connaissance et du progrès de manière à profiter à la société. Cela est d’ailleurs précisé dans le texte états-uniens135,

nous verrons cela un peu plus en détail dans la partie sur la jurisprudence et la doctrine. En ce qui concerne l’absence de mise en application de l’invention,

134 Ibid à la p 476. 135 Voir note 135.

l’objectif par cette disposition est tout simplement de ne pas laisser une invention, une revendication de propriété acceptée par l’État ne pas produire de bénéfice à ce dernier. Bien que dans le préambule il soit précisé que cette propriété intellectuelle soit un droit naturel, l’État doit malgré tout trouver un intérêt à certifier cette propriété, « la loi veut une exploitation réelle et non un simulacre d'exploitation; elle ne permet pas que le privilège accordé à l'inventeur soit, entre ses mains, une concession stérile pour l'industrie, une valeur perdue pour la société »136. Enfin, pour le dernier cas de déchéance du

brevet, l’objectif est tout simplement que l’invention ne s’échappe pas du pays en étant brevetée ailleurs. En empêchant l’invention d’être brevetée ailleurs qu’en France, et en limitant de ce fait le droit de propriété, l’objectif est d’inciter, voire de forcer l’inventeur à mettre en application son invention en France.

Le premier Patent Act des États-Unis n’est pas non plus en reste vis-à- vis de la place de l’utilitarisme. On retrouve d’ailleurs des éléments similaires au texte français. Ainsi, même si le texte ne précise pas directement que le système des brevets est là dans l’intérêt de la société et de l’État, on peut voir à l’article 6 que s’il est démontré que le détenteur du brevet cache des informations sur l’invention ou bien en rajoute de manière à tromper le public afin de garder une partie de son invention secrète, il est possible de lui retirer le brevet137, en effet, l’objectif est que le public ait « l’entier bénéfice [de

l’invention ndlr] après l’expiration du brevet »138.

Le texte américain cependant diffère de la vision française sur la question de l’importation d’une invention étrangère. En effet, là où la France permettait de faire breveter une invention issue de l’étranger, même si on n’en était pas l’inventeur, et ce dans une optique utilitariste, les États-Unis ont choisi de ne pas accorder cette possibilité. Par l’article 5, il est en effet possible de faire

136 Etienne Blanc, L’inventeur breveté Code des inventions et des perfectionnements, 1845

Paris, Cosse et Delamotte et Joubert, Libraire, à la p 39.

137 The Patent Act of 1790, en ligne : <https://fraser.stlouisfed.org/title/5734>. 138 Ibid.

supprimer un brevet s’il est démontré que le détenteur du brevet n’est pas le premier inventeur. De la même manière ils n’avaient pas mis en place d’interdiction de breveter l’invention à l’étranger après l’avoir fait brevetée aux États-Unis. Ce choix de ne pas offrir de protection pour les inventions importées depuis l’étranger ne peut être expliqué avec certitude, et de ce fait, il n’est pas évident d’identifier le raisonnement éthique qui y est associé. Nous pouvons cependant essayer, ainsi, cette décision pourrait s’expliquer du fait de l’opposition des artisans et fabricants. Ces derniers se seraient opposés à cette possibilité car elle les aurait forcés à faire breveter des inventions qui, autrement, seraient gratuites139. Ainsi, ici, le fondement ne serait peut-être plus

trop utilitariste mais probablement plutôt égoïste. En effet, l’accent aurait plutôt été mis sur les besoins des fabricants en opposition à celui de la société qui aurait pu bénéficier d’une telle disposition en attirant des technologies et procédés de fabrication étrangers140.

2.2. Dans les nouveaux textes de 1844 et 1836

En 1844, la France va moderniser sa loi sur les brevets. La première différence à noter avec le décret de 1791 est qu’il n’y a désormais plus de préambule au début du texte permettant d’énoncer l’esprit de la loi.

En matière éthique, il n’y a que peu de modifications à noter. La première des modifications à souligner concerne le brevetage à l’étranger. La disposition qui interdisait au détenteur d’un brevet français d’aller déposer un brevet à l’étranger n’existe plus. En revanche, par l’article 32 3° « Le breveté qui aura introduit en France des objets fabriqués en pays étranger et semblables à ceux

139 Craig Allen Nard, The Law of Patents, 2016, New-York, Wolters Kluwer, à la p 41. 140 Ibid (les défenseurs de la possibilité de breveté des inventions importées de l’étranger,

tels que Georges Washington ou bien Alexander Hamilton, soutenaient l’idée qu’une telle mesure encouragerait l’importation d’invention étrangères).

qui sont garantis par son brevet » se verra supprimé son brevet141. Suite aux

revendications concernant cette disposition de sa loi, la France a modifié sa disposition, mais cherche tout de même à s’assurer que le brevet produise bien des effets bénéfiques dans son territoire. En effet, par cette disposition, elle veut s’assurer que les créations issues du brevet soient bien réalisées en France et non à l’étranger et que, de ce fait, cela profite à un autre État. Ainsi, la France reste dans une optique utilitariste nationale, mais qui est cependant plus modérée et qui prend en compte la globalisation et la mondialisation de la propriété intellectuelle. Les idées doivent circuler, et avoir une disposition trop stricte viendrait à être contreproductif. En effet, limiter l’inventeur à un seul pays ou breveter son invention pourrait désinciter ces derniers à déposer un brevet en France.

La deuxième modification à noter est l’apparition à l’article 30 4° de l’impossibilité de breveter une invention si elle est « reconnue contraire à l'ordre ou à la sûreté publique, aux bonnes mœurs ou aux lois du royaume, sans préjudice, dans ce cas et dans celui du paragraphe précédent, des peines qui pourraient être encourues pour la fabrication ou le débit d'objets prohibés »142.

Cette disposition est relativement explicite vis-à-vis de la place accordée à l’éthique. Cependant, il faut noter ici que nous ne sommes plus uniquement face à de l’éthique utilitariste, ou du moins une éthique utilitariste un peu plus avancée. Comme nous le verrons plus tard dans ce travail, avec cette disposition, nous commençons à diversifier les éléments éthiques dans le droit des brevets en y incorporant ce qui pourrait se rapprocher à de l’éthique des valeurs. En insérant la possibilité de refuser de breveter une invention sur le motif de sa contrariété aux bonnes mœurs on vient en effet faire appel à des valeurs et non plus simplement à un impératif d’intérêt national. Cette disposition, comme nous le verrons par la suite, est difficilement applicable du

141 Etienne Blanc, Supra note 135 à la p 237. 142 Etienne Blanc, Supra note 135 à la p 235.

fait de la difficulté à identifier les éléments moraux à respecter. En effet, quand il est fait appel à des valeurs, il peut arriver que plusieurs valeurs s’opposent, et dans ce cas, il peut être ardu de décider quelle valeur doit prévaloir. Cet arbitrage peut être encore plus compliqué quand on se positionne dans un cadre d’éthique relativiste, comme nous l’avions vu dans le chapitre préliminaire.

En ce qui concerne les États-Unis, le Patent Act de 1836 est surtout venu moderniser le texte original de 1790 en le complétant d’un point de vue technique. Sur l’aspect éthique, bien que les modifications soient légères elles nous semblent malgré tout importantes, notamment sur la formulation. En effet, les dispositions du texte de 1790 énonçant les possibilités d’une abrogation d’un brevet dans le cas où celui-ci aurait été obtenu par des informations frauduleuses ou bien si le détenteur du brevet, dans la description de son brevet avait rajouté ou bien caché des informations dans le but d’empêcher la réalisation de son invention se voient modifiées. Tout est regroupé dans un seul article, l’article 13143. Désormais, il n’est plus spécifié

directement qu’il est possible d’abroger un brevet. En effet, le texte dispose simplement que désormais, dans le cas où le détenteur du brevet a omis des informations sur la description de son invention, sans avoir d’intention frauduleuse ou trompeuse144, alors il lui est possible de corriger son brevet pour

que celui reste valide :

whenever any patent which has heretofore been granted, shall be inoperative, or invalid, by reason of a defective or insufficient description or specification, or by reason of the patentee claiming in his specification as his own invention, more than he had or shall have a right to claim as new; if the error has, or shall have arisen by inadvertency, accident, or mistake, and without any fraudulent or deceptive intention, it shall be lawful for the Commissioner, upon the surrender to him of such patent, and the payment of the further duty of fifteen dollars, to cause a new

143 The Patent Act of 1836, en ligne : <

https://patentlyo.com/media/docs/2008/03/Patent_Act_of_1836.pdf>.

patent to be issued to the said inventor, for the same invention, for the residue of the period then unexpired for which the original patent was granted, in accordance with the patentee's corrected description and specification145

Selon cette disposition, d’un point de vue technique il est implicitement prévu l’annulation du brevet, cependant, il est tout à fait possible au détenteur du brevet, s’il est de bonne foi, d’obtenir un nouveau brevet pour la durée restante du brevet initial. Cependant, l’article n’évoque pas le cas du détenteur de brevet qui serait de mauvaise foi. Si nous suivons la logique du texte, alors ce dernier ne devrait pas avoir la possibilité de déposer un nouveau brevet pour la durée restante du brevet initial146.

Le Canada de son côté n’acquiert son indépendance et sa stabilité qu’à partir de 1867 et c’est en 1869 que nait le premier Patent Act canadien. Bien que celui-ci soit plus tardif que les textes français et états-uniens, il est intéressant d’en parler dès maintenant car il est très fortement inspiré du Patent Act de 1836 des États-Unis. De la même manière, le tout premier texte canadien ayant trait aux brevets remonte à 1824, avant l’unification. C’était un texte du bas Canada intitulé “Un acte pour promouvoir le progrès des arts utiles dans la province”147. Tout comme le texte de 1869, celui-ci aussi était basé sur

le texte de son voisin du Sud, les États-Unis148.

Bien que pour la majeure partie des dispositions mises en place par le Patent Act de 1869, nommé Acte concernant les Brevets d’Inventions, on retrouve les dispositions du Patent Act des États-Unis de 1836, pour ce qui est de l’éthique, force est de reconnaitre que le texte canadien va plutôt chercher son inspiration du côté de la France que sur son voisin du Sud. En effet, la seule disposition que le texte canadien a en commun avec le texte états-uniens

145 Ibid.

146 (N’ayant pu trouver de jurisprudence se prononçant sur la question nous ne pouvons

que supposer).

147 Acte pour encourager le progress des arts utiles, 4 Geo. 4, ch. 25, 1824

148 Margaret Coleman, « The Canadian Patent Office from Its Beginnings to 1900 » dans

Bulletin of the Association for Preservation Technology, Vol. 8, No. 3, 1976, Association for

se trouve à l’article 27 qui dispose qu’un brevet sera nul si le demandeur a rajouté des informations ou bien en a omis dans son brevet et ce, dans le but de tromper149. Cependant, et à la différence du texte des États-Unis, il n’est pas

spécifié dans l’article que cette disposition a pour but de préserver l’intérêt utilitariste du brevet.

Le brevet sera nul, si la requête ou la déclaration de l’impétrant contient quelque allégation importante qui soit fausse, ou si la spécification et les dessins contiennent plus ou moins qu’il ne sera nécessaire pour atteindre le but dans lequel on les fera, cette addition ou cette omission étant faite volontairement dans l’intention d’induire en erreur150

En revanche, on retrouve trois éléments qui s’inspirent du texte français. La première inspiration se trouve à l’article 6 du texte canadien qui dispose qu’il ne pourra être délivré de brevet pour une invention qui a pour objet des choses