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Les séances photos ont été conçues, mises en scène et vécues comme des cérémonies visant à provoquer l’apparition d’une image. Les acteurs présents, modèle, photographe, assistants (maquilleur, coiffeur), les objets (à commencer par la sculpture, puis le matériel du studio) ont chacun assumé une fonction dans le but commun de permettre cette apparition. L’ensemble de la série a été réalisé en six séances. Chacune a répété et affiné un ensemble d’actions réalisées par les différents participants. Cette forme-temps était déclinée de la séance photo en studio. Pourtant, séance après séance, nous avons, avec le photographe et au résultat des images produites, pu identifier des modalités plus propices que d’autres à permettre l’apparition de l’image recherchée. La séance photo est devenue un ensemble d’opérations permettant de transposer en photographie une image mentale, déjà formalisée sous la forme de dessin.

Ce dessin rejoignait le dessein en présidant à la composition générale, depuis l’orientation des corps l’un par rapport à l’autre jusqu’à l’agencement spécifique des mèches de cheveux et autres éléments additionnels. Le dessin s’est fait partition ou programme. Non pas en décrivant les actions à réaliser mais par ce qu’il induisait, pour chaque métier mobilisé, un ensemble d’opérations qui, sans être détaillées, étaient pourtant nécessaires à la réalisation de l’image. Ainsi, le maquilleur a unifié le teint, appliqué les ocres, cuivre et or empruntés à la palette de référence (voir page ci-contre). Le coiffeur a tissé les mèches d’une perruque à l’autre. Le photographe a construit la lumière pour faire disparaître le cyclo dans un arrière-plan le plus

Figure 10 : Le Toucher de l’Avatar croquis et schémas préparatoires aux photographies de la série, crayon, feutres et encre de Chine sur papier Moleskin, 2011.

uniforme possible, afin que la figure se détache. Le dessin-partition n’a pas dicté les conditions de sa réalisation mais s ‘est érigé comme modèle.

Cette fonction de partition a particulièrement été opérante pour les deux images de la série reposant sur une composition en cocon tissé d’une tête à l’autre (cf. page précédente). Le dessin-partition était suffisamment explicite et relevait d’une évidence. Toutes les actions nécessaires se sont coordonnées pour permettre son incarnation, le temps de la pose, et sa saisie par l’appareil. Il n’en a pas été de même pour toutes les déclinaisons de la série. L’évidence de la composition a laissé place, pour certains dessins, à des esquisses plus difficiles à matérialiser. Les mèches de cheveux reliées à un hors-champ ont particulièrement alourdi les séances. En ont résulté des images plus ternes (dans l’expression du visage), difficilement saisissables (par la complexité de la composition) ou simplement figées, ayant perdu la dynamique du croquis initial. À ces dessins manquaient des informations. Ils avaient besoin d’un complément, d’un appareillage, d’un décorum ou d’une notice pour être mis en scène. Ces dessins n’étaient pas auto-suffisants pour commander à leur matérialisation, au contraire des dessins-programmes des deux photographies retenues.

Cette série de photographies se rapproche des tableaux vivants, action for camera de Carolee Schneemann et autres collaborations de performers avec des photographes, qu’il s’agisse de Gina Pane avec Françoise Masson, ou des mises en scènes de Rudolf Schwarzkogler. Dans son ouvrage consacré à la question du rapport du performer à son image, Sophie Delpeux mentionne le protocole invariable de Schwarzkogler : absence de public, un seul modèle, interventions toujours très mesurées, un seul photographe. L’enjeu de la collaboration est de « produire une iconographie qui soit aussi proche que possible de l’image mentale qu’il [Schwarzkogler] en a, délivrée par

le script de l’action8 ». L’analyse du processus de collaboration de Gina Pane et

Françoise Masson renforce cette idée. Partition de l’action et de sa captation sont intimement liées. Les dessins et recherches de compositions révèlent un long travail préparatoire, afin dit-elle « que lors de la performance, F. M. possède la connaissance

Figure 11 : Le Toucher de l’avatar, assemblage de dessins préparatoires, en bas à droite : palette de référence. Technique mixte sur papiers, 40x60 cm (détail), 2012.

nécessaire pour réaliser des documents qui contiennent la justesse de mon langage9 ». Gina Pane comme Carolee Schneemann établissent une équivalence entre leur corps et ses représentations, leur corps est comparable directement à d’autres corps peints. Il s’agit avant tout de se manifester comme une image vivante. Le glissement d’un médium à l’autre pour Schneemann propose une contiguïté entre peinture et photographie, reposant sur « la figure d’un peintre photographe qui s’installe comme sujet, mais aussi comme objet de l’œuvre. […] Il s’agit pour elle de se voir peindre,

peignant et peinte10 ». La démarche de ces performers travaille de la peinture à la

photographie, de la peinture à la performance. « L’action est une peinture qui a

grandit au-dehors de la surface11 » dit Otto Mülh.

Les médiums additionnels, photographie et dessin, inscrivent l’éphémère de la performance dans une autre temporalité : documentation et archivage pour l’une, anticipation de forme pour l’autre. Pour ce qui nous concerne, outre son rôle de partition, le dessin a assumé une autre fonction après la réalisation des performances et installation en interaction avec la plateforme Second Life. D’autres dessins, postérieurs aux performances, ont été réalisés pour tenter de cartographier, après-coup, le territoire mixte, mêlant espace tangible et espace numérique, exploré pendant la performance. Ces dessins cherchent à tisser le lien, construire le sens entre les différents documents produits. Il refermait la parenthèse ouverte avec les dessins-partitions.