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Captations photographiques et vidéo chez Gina Pane

Les dispositifs de captation peuvent être structurants de l’action, comme c’est le cas pour notre performance Disorder Screen Control, ou au contraire lui être extérieurs. Ainsi, les photographies des performances de Marina Abramovic et Yoko Ono ont valeur de document mais n’influencent pas le déroulement de la performance. Gina Pane pour sa part s’est tout particulièrement penchée sur cette question dans sa collaboration avec la photographe Françoise Masson.

9 Gina Pane, Lettre à un(e) inconnu(e), Paris, École nationale supérieure des beaux-arts 2012, p. 82.

10 Sophie Delpeux, Idem. pp. 31 et 34.

Figure 12 : Gina Pane, dessins

préparatoires de l’Azione sentimentale, 1973.

Figure 13 : Gina Pane, Azione sentimentale, photographies : Françoise Masson, 1973

R É F É R E N C E R É F É R E N C E

Réaliser une photographie, qui imposerait sans équivoque et par elle seule le sens dont le perfomer désire qu’elle soit chargée, apparaît comme inaccessible. Cependant Françoise Masson y a réussi. Par une étroite adhérence à la forme visuelle que j’envisage des gestes réalisés lors de l’action, Françoise a su en révéler le langage n’imposant aucune charge de sens arbitraire. L’expérience, l’intelligence, la sensibilité de Françoise Masson ont permis et rendu explicite une communication non linguistique et dévoilé que

deux subjectivités pouvaient coïncider.12

Elle consacre un texte à la comparaison entre deux types de captations qui peuvent être faites de son travail : les photographies de Françoise Masson d’une part et les video tapes de l’autre. Outre les questions de médium (temps continu ou temps arrêté), c’est une question de regard qui est mise en avant.

Contrairement aux prises de vues photographiques qui comportent une longue mise au point avec Françoise Masson, dans un temps qui précède l’action, afin que lors de la performance F. M. possède la connaissance nécessaire pour réaliser des documents qui contiennent la justesse de mon langage, la réalisation des vidéo tapes est aléatoire à mon contenu. C’est-à-dire que le cameraman ignore d’une part le déroulement de la pièce, le langage proprement dit du Body Art, la connaissance profonde de mes pensées directrices, etc.

De surplus, il se trouve dans un espace en dehors de mon champ essentiel, de mes attitudes (occupé constamment par la photographe). En aucun cas, ils ne peuvent reproduire le signifié et le signifiant de mon langage objectivement ; en se trouvant dans la même dimension que le spectateur, leur enregistrement se trouve assujetti à leur subjectivité, émotivité : réception, rejet, censure, projection, affectivité, etc. […]

L’originalité de ces vidéo tapes consiste dans la mise en jeu d’une interprétation qui conserve intacte la relation entre le performer et le public.

Disons que nous avons là un point de vue d’un spectateur.13

12 Gina Pane, Lettre à un(e) inconnu(e), op. cit. p. 12.

Figure 14 : Gina Pane, Action Fiction, dessins préparatoires et partition

extraits de Lettre à un(e) incnnnu(e), op. cit.

R É F É R E N C E R É F É R E N C E

Dans l’analyse des vidéo tapes en question, Gina Pane souligne les manifestations de la subjectivité du caméraman (qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme), perceptibles

dans les sursauts indiquant une émotion, les censures du cadrage. Au visionnement

de ces vidéos, « le spectateur se trouvera confronté au diagnostic du cameraman

vis-à-vis de la performance au lieu de se trouver en prise directe avec celle-ci14 ». Et de

conclure en insistant sur la place d’intermédiaire que prend la vidéo et la réécriture qu’elle induit.

La question d’un montage n’est pas abordée. L’accent est porté sur la captation elle-même et la vidéo finale, entière, comme trace d’un regard porté sur l’action. N’est pas abordée non plus celle du médium. Naïf ou collaboratif, c’est le regard derrière la

machine15 qui est mis en avant.

Dans un entretient avec Bernard Marcadé publié dans le catalogue de l’exposition Ceci n’est pas une photographie, Gina Pane décrit plus précisément la place de Françoise Masson et la relation qui se tisse, pendant la performance, entre la performer et la photographe :

La mise en scène de mon corps devant un public et la mise en scène du photographe se situaient en effet dans le même espace d’action. Le photographe ne se trouvait ni au bord ni dans le public. Ces photographies sont à l’opposé d’un constat. Ce n’est pas le photographe qui a fait la photographie, ni moi-même d’ailleurs, nous l’avons faite en quelque sorte tous les deux. Le photographe avait eu en sa possession une série de dessins qui lui permettaient d’effectuer certaines prises de vues. Pour ce qui est du

cadrage, tout était donc déjà défini.16

14 Ibid. p. 85.

15 Gina Pane utilise ce terme indistinctement pour la vidéo ou la photographie, aux antipodes d’une création résultant du « toucher de la main de l’artiste » mais ayant au contraire les qualités d’une « réalisation mécanique, anonyme, toutes les illusions sont bannies, l’émotion de l’apparence disparaît », ibid., p.42.

16 Bernard Marcadé, « Entretien avec Gina Pane », dans Ceci n’est pas une photographie, Bordeaux, FRAC Aquitaine, 1985 (l’entretien est réalisé en décembre 1984), p. 24.

Figure 15 : Gina Pane, dessin préparatoire pour l’action Death Control », galerie Diagramma, Foire de Bâle, juin 1974. Extrait de Lettre à un(e) incnnu(e), p. 152.

R É F É R E N C E

L’implication conjointe de la performer et de la photographe, dans un mouvement

convergeant, justifie l’emploi du terme de « réalisation partagée17. » La prise de vue

photographique n’est pas externe à la performance mais en est partie intégrante. La performance comme les photographies servent un même langage, une même action prédéterminée, dont les dessins préparatoires sont une première matérialisation. Le scénario de l’action est constitué par cette succession de dessins, dont ni l’action elle-même ni les photographies de l’action ne s’écartent. Dans son ouvrage consacrée à l’étude des rapports entre les performers et leur image, Sophie Delpeux qualifie d’

« ensemble d’images arrêtées18 » le scénario de la performance tout autant que sa

réalisation.

« Le geste est déjà image et l’action, par son déroulement – sa lenteur notamment –, semble se prêter aux contraintes de la fixation de cette

représentation19. »

Il n’y a plus là de distinction entre le scénario, l’action et les photographies finales. Les actions sont pensées comme mise en corps d’images d’abord jetées sur le papier.

La performance revient ici à « se manifester comme image vivante20. » Le corps de

Gina Pane est image, les performances sont la présentation de cette image à un public. Les photographies sont les empreintes de ces actions dans une stricte équivalence.