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2. Chapitre 2

2.2. Description détaillée de la CuAAC

2.2.1. Etude mécanistique

Le cuivre est un métal de transition doté de propriétés uniques tels que des potentiels rédox bas : 0.159 V pour Cu2+/Cu+ et 0.520 V pour Cu+/Cu0,un effet de « rétro-donation » faible, une tendance à former des agrégats polynucléaires, un échange rapide au sein de sa sphère de coordination et une possibilité de réaliser à la fois des liaisons σ et π 36. Ceci lui confère une réactivité lui permettant de catalyser des réactions impossibles à conduire avec les autres métaux de transition Ag(I), Pd(0/II), Pt(II), Au(I/III), Hg(II). C’est notamment valable pour la cycloaddition d’alcyne terminal et d’azoture donnant accès aux 1,2,3-triazole-1,4-disubstitués

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. Cependant, ces mêmes propriétés induisent, dans le milieu réactionnel, un équilibre dynamique entre plusieurs espèces réactives dont l’identité et la nucléarité sont difficiles à identifier. Pour cette raison, le mécanisme de la CuAAC a été particulièrement difficile à élucider. Dans ce contexte, plusieurs études mécanistiques (étude computationnelle, étude cinétique, caractérisation d’intermédiaires réactionnels, enrichissement isotopique) ont été réalisées.

37 a) Première proposition mécanistique :

Des calculs de DFT (théorie des fonctionnelles de la densité) ont permis d’élaborer une première approche mécanistique. La mesure des barrières énergétiques indique que, contrairement à la cycloaddition 1,3-dipolaire thermale qui est concertée, la CuAAC se déroule pas à pas 35. Pour décrire ce mécanisme, nous prenons comme exemples l’alcyne A et l’azoture B (Figures 10 et 11).La première étape consiste à échanger un ligand de type « L » dans la sphère de coordination du CuI et à complexer l’alcyne A ; complexe I (Figure 10). Ceci diminue le pKa du proton acétylénique de 10 unités facilitant la déprotonation et la formation de l’acétylure de Cuivre II. La nécessité de déprotoner l’alcyne pour former la liaison σ C-Cu explique l’utilisation exclusive d’alcynes terminaux.

Figure 10 : Formation de l'acétylure de cuivre

L’étape suivante se présente comme un deuxième échange dans la sphère de coordination du cuivre conduisant à une coordination avec l’azoture B, (III, Figure 11). Cette coordination induit une activation nucléophile au niveau de l’alcyne et une activation électrophile au niveau de l’azoture, de façon concomitante. Ceci conduit à la formation de la première liaison C-N avec l’atome d’azote, ce qui génère le métallacyle à six chainons IV caractérisé par une haute contrainte stérique et un degré d’oxydation de III pour le cuivre. Le relâchement de cette tension cyclique est énergétiquement favorable. Il conduit au CuI-triazolyle V, un intermédiaire clé qui a pu être isolé dans le cas d’azotures organiques présentant un encombrement stérique 37. Le produit désiré est enfin obtenu par proto-décupration. L’atome de cuivre, étant sous l’état d’oxydation (I), est à nouveau engagé dans la même suite réactionnelle ce qui fournit un cycle catalytique (Figure 11).

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Figure 11 : Premier cycle catalytique proposé pour la CuAAC

b) Proposition mécanistique revisitée :

La première approche mécanistique a été revisitée à travers des études cinétiques montrant une dépendance de second-ordre par rapport à la concentration du catalyseur 38, ce qui suggérait, en dépit de la non homogénéité du profil cinétique, la présence d’un acétylure de cuivre di-nucléraire. Cette proposition a été confortée par de nouveaux calculs DFT qui ont mis en évidence une baisse de l’énergie d’activation en faisant intervenir un deuxième noyau cuivreux 39,40. Par ailleurs, des investigations autour de complexes acétylures de cuivre polynucléaires (et en particulier tétra-nucléaires) ont montré que ces derniers étaient moins favorables que les bi-nucléaires 40. Pour appuyer ces résultats, des expériences ont été réalisées par le groupe de Fokin en 2013 41. L’une d’elles consistait à mettre en présence un acétylure de cuivre stable préalablement préparé et une quantité stœchiométrique d’azoture en y additionnant ou non un catalyseur cuivreux supplémentaire. Dans le premier cas, une conversion totale a été observée, tandis que dans le deuxième la réaction n’a pas eu lieu.

39 L’ensemble de ces éléments met en évidence l’implication de deux noyaux cuivreux dans le mécanisme réactionnel de la CuAAC (Figure 12).

Dans cette mise à jour mécanistique, le premier catalyseur forme l’acétylure (I, Figure 10) via une liaison σ. En s’associant à l’acétylure de cuivre par une liaison π, le deuxième noyau cuivreux stabilise le premier par effet donneur (II, Figure 12). Après la formation de la liaison C-N (III), la charge négative de l’atome d’azote 3 est stabilisée par les deux noyaux cuivreux qui, à ce stade, peuvent s’échanger entre eux (IV). S’ensuit la formation de la deuxième liaison C-N générant le Cu-triazolyle V. Enfin, par proto-décupration, le produit désiré est obtenu accompagné du complexe cuivreux. Ce dernier est alors réinjecté dans le cycle catalytique représenté ci-dessous (Figure 12).

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2.2.2. Le couple catalytique CuI-Ligand

Les potentiels redox du Cuivre [0.159 V pour Cu2+/Cu+ et 0.520 V pour Cu+/Cu0]témoignent de l’instabilité thermodynamique du CuI qui peut facilement s’oxyder en CuII ou se dismuter en Cu0 et CuII. Par conséquent, son utilisation requiert des conditions inertes. Pour s’affranchir de cette contrainte, la CuAAC s’appuie sur la réduction in situ du CuII en CuI grâce à l’action de l’ascorbate de sodium. Bien que cette méthode soit efficace, elle a montré certaines limitations. Sur un plan synthétique, le système CuII/ascorbate échoue à catalyser la formation des 1,2,3-triazoles 1,4-disubstitués pour certains substrats tels que les azotures fluoro-alkyles 42. Sur un plan applicatif, le système CuII-ascorbate s’est révélé inefficace dans le cadre de la bio-conjugaison pour trois raisons. La première est en rapport avec l’aérobie des milieux biologiques : comme dans ces conditions le CuI généré s’oxyde rapidement, une plus grande quantité de CuII et d’agent réducteur est nécessaire. Or, les sels réducteurs tels que l’ascorbate de sodium peuvent interagir avec les protéines chaines induisant des altérations au niveau de la structure de l’ADN 43. La deuxième raison est d’ordre cinétique : la CuAAC catalysée par le système de Sharpless n’est pas compatible avec la cinétique requise pour la conjugaison en milieu biologique. Enfin, la troisième raison est en rapport avec la toxicité du cuivre en milieu cellulaire 44. Pour circonvenir ces limitations, des travaux se sont inspirés de l’activité catalytique des métallo-enzymes qui font intervenir le CuI en lui fournissant un environnement de coordination adapté 45,46,47. Pour mimer cette enveloppe de protection, il a été proposé l’utilisation de ligands pouvant :

Stabiliser l’état d’oxydation + I pour éviter l’oxydation et la dis-mutation.

Protéger la sphère de coordination du cuivre pour éviter la formation de complexes polynucléaires (agrégats) inactifs tout en permettant à l’azoture d’y accéder.

Offrir une bonne densité électronique au cuivre pour une meilleure réactivité sans perturber son état d’oxydation.

Grâce à son caractère acide de Lewis intermédiaire mou-dur à légèrement mou, le cuivre est potentiellement compatible avec différents types de ligands. Ainsi, un large panel de ligands a été investigué. Cependant, ces travaux ont été réalisés dans des conditions réactionnelles très différentes les unes des autres, ce qui a compliqué la comparaison des résultats obtenus. On peut, néanmoins, définir deux classes de ligands en se basant sur leur caractère donneur.

41 a) Ligands mous :

Cette classe inclut une variété de ligands tels que les phosphines, nitriles, guanidines, imines, thiols, halogènes. Elle est subdivisée en deux sous-classes. La première est caractérisée par une labilité prononcée et donc une protection marginale de la sphère de coordination du Cuivre (ex : halogène). La deuxième se distingue par une liaison forte avec le Cuivre, ce qui inhibe l’activité de ce dernier (ex : nitrile 48). Dans les deux cas, ces ligands ne sont pas assez favorables à la réaction.

b) Ligands durs :

Cette classe est dominée par les amines qui sont largement utilisées en raison de leur double fonction base-ligand. Le caractère basique aide à la déprotonation (surtout dans les solvants organiques) tandis que son potentiel chélateur prévient la formation d’agrégats, facilite la coordination de l’azoture au cuivre et favorise la solubilité du complexe. On peut citer plusieurs exemples d’amines tertiaires fréquemment utilisées telles que la triéthylamine, la N,N-diisopropyléthylamine, la 2,6-lutidine, etc. La TBTA (tris(benzyltriazolyl)méthylamine) (Figure 13) 46 est particulièrement intéressante pour des applications de bio-conjugaison 49. Son efficacité est attribuée à son caractère à la fois mou (faible potentiel de liaison de ses « bras ») et dur (effet donneur de l’atome d’azote central).

Figure 13 : Structure de TBTA