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Des implications pratiques propres à l’étang dombiste

Au vu de ces interprétations, législatives et jurisprudentielles, la question du statut juridique de l’étang dombiste peut éventuellement être problématique. En effet, la qualité d’étang peut avoir des incidences sur l’application ou non des réglementations sur la pêche et sur l’eau. L’étang dombiste étant exploité de façon alternative en évolage et en assec, la question est de savoir si, lorsqu’elle est en assec, cette dépression peut prétendre à cette qualification ou si elle demeure une simple étendue de terrain. Le caractère pérenne de la présence de l’eau dans cette dépression est donc déterminant dans sa qualification juridique. De la même manière qu’un cours d’eau est constitué d’un lit naturel à l’origine et rempli d’eau une majeure partie de

l’année116, la qualité d’étang pourrait être discutée pour les biens mis en assec avant d’être remis

en eau.

En outre, la question du statut juridique de l’étang en Dombes doit être liée à la question de sa perception juridique, sociale et environnementale. Constitue-t-il une nuisance au regard de

114 L’article L. 431-4 du Code de l’environnement classe les étangs parmi les eaux closes, leur restreignant l’application de la législation sur la pêche.

115 CA Bordeaux, 10 avril 2009, n° 07/04636.

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la santé publique ou un risque naturel justifiant que son exploitation soit étroitement encadrée par le droit ? À l’inverse, constitue-t-il un intérêt agricole et économique ou bien une richesse écologique nécessitant l’édiction d’un régime juridique protecteur ? Il apparaît que l’étang dombiste concentre l’ensemble de ces enjeux et fait l’objet de régimes juridiques divers dont les objectifs sont indépendants les uns des autres, voire contradictoires.

Le parallèle avec les qualités du cours d’eau trouve ici une limite pratique. Si l’on considère qu’un terrain à sec une majeure partie de l’année, ne constitue pas un étang, alors chaque cycle assec/évolage devrait voir intervenir une nouvelle autorisation administrative au titre de la loi sur l’eau à raison de la « création d’un plan d’eau ».

Un objet juridique est défini par son statut, qui lui-même détermine son régime. Or, l’objet « étang » semble échapper à l’analyse juridique ordinaire. La question se pose du statut juridique de l’étang en assec. On parle toujours d’étang alors même qu’il n’est plus rempli d’eau et ne répond donc pas aux critères de la définition scientifique généralement admise. La permanence du statut juridique vient donc pallier les risques liés à l’alternance fonctionnelle que connait l’étang. Le droit, et plus particulièrement le droit local, propre à un territoire déterminé, vient ici simplifier une situation factuelle complexe. Si, de façon générale, on peut affirmer que « le droit court après le fait »117, ajoutant des règles à la complexité des faits, l’application du droit local de la Dombes démontre son originalité et son pragmatisme en vue d’être le plus opérationnel possible. On ne peut pas exiger de la règle de ne pas être en phase avec son caractère fonctionnel. Cette configuration permet de justifier de s’affranchir des critères de la qualification par rapport à l’application du régime. La pérennité de ce statut entraîne ainsi, de la même manière qu’un bien du domaine public conserve son régime protecteur jusqu’à l’adoption d’un acte de déclassement, la permanence du régime applicable.

Considérer l’étang selon ce statut tout au long de son exploitation, en assec comme en

évolage, revient à maintenir artificiellement ce statut juridique afin de permettre la permanence de son régime. De ce fait, lorsqu’il n’est pas en eau, l’étang est à considérer comme un « étang en devenir », ou pour poursuivre le parallèle avec le domaine public, un étang virtuel. Ce maintien est justifié par la certitude du retour au statut d’étang en évolage. Le maintien de cette qualité d’étang permet de garantir la valeur du terrain et éventuellement la continuité d’une

convention de baillage ayant pour objet une exploitation contenant un étang118. Ce principe

117 DARCY G., « Élaborer la règle dans un système complexe », in DOAT M., Le GOFF J. et PEDROT Ph. (Dir.),

Droit et complexité, pour une nouvelle intelligence du droit vivant, PUR, 2007, p.16.

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constitue une protection pour le preneur à bail puisque le fait qu’il mette l’étang en assec ne porte pas atteinte à l’intégrité du bien, condition qui aurait été de nature à l’évincer de son droit

à bail119. Sur ce point, Truchelut retranscrit dans son ouvrage un certain nombre de réflexions

qui tendent à affirmer cette pérennisation du statut d’étang120. D’après l’auteur, les étangs

desséchés en application de la loi de 1856 sur la licitation des étangs puis remis en eau en application de la loi de 1901 sur la remise en eau des étangs, n’ont pas perdu la qualification juridique « d’étang ». Et ce, à une nuance près qu’est celle de la pérennisation des servitudes attachées à l’étang. Celles-ci ne doivent pas avoir été éteintes par une prescription trentenaire. Les parcelles laissées à nu par le desséchement de l’étang étaient par ailleurs, jusqu’en 1898 toujours soumises à l’impôt sur l’évolage. Une autre condition, et non des moindres, est également posée à la permanence du statut juridique de l’étang. Celui-ci ne doit pas avoir cessé d’exister. Selon l’auteur, cette condition ne pose aucune difficulté puisqu’il s’agirait, par les effets de la loi de 1856, d’une mise en « assec légal ». En d’autres termes, c’est bien un artifice juridique qui permet de faire perdurer un statut juridique afin d’en faire profiter le régime à une parcelle de terrain.

Ainsi, le droit précède le fait, sans pour autant remettre en cause l’usage de cet état de fait. Un étang asséché peut donc être utilisé à des fins agricoles ou à toute autre fin sans pour autant remettre nécessairement en cause son statut d’étang, de façon à permettre sa remise en eau et son usage piscicole ou cynégétique. Il s’agit d’une anticipation juridique, d’un décalage temporel permettant la pérennisation du statut et du régime de l’étang, indépendamment des éléments factuels qui excluent l’application de la définition de l’étang.

Le droit commun intègre les étangs ainsi définis au sein de la catégorie des eaux closes, par opposition aux eaux libres. Cette identification est reprise par le Code de l’environnement qui exclue les eaux closes d’une partie des dispositions de la loi sur la pêche. Ces eaux closes sont, aux termes de l’article L. 431-4 du Code de l’environnement, « les fossés, canaux, étangs, réservoirs et autres plans d'eau dans lesquels le poisson ne peut passer naturellement »121. Cependant, une interrogation peut subsister quant à la qualification d’eaux closes concernant les eaux de vidanges des étangs. La pratique traditionnelle de Dombes veut que les étangs soient notamment alimentés par les eaux s’écoulant d’un étang supérieur ou par le ruissellement des

immobiliers 2012, n° spécial, p. 62.

119 Code rural et de la pêche maritime, art. L. 411-31.

120 TRUCHELUT A. 1904, p. 365-366.

121 Article L. 431-4 du code de l’environnement précité, issu de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques.

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eaux dans des fossés d’alimentation. Concernant les fossés, l’article L. 431-4 du Code de l’environnement est clair en ce qu’il applique le même statut aux fossés qu’aux étangs. Il s’agit d’eaux closes qui circulent, en circuit clos dans le sens où la faune piscicole en demeure prisonnière. De plus, le caractère artificiel tant des étangs que des fossés qui les alimentent tend à confirmer cette analyse jurisprudentielle, par opposition à la définition des eaux libres et plus

particulièrement des cours d’eau. La loi dite « Biodiversité » de 2016122 définit les cours d’eau

comme « un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année »123. À l’évidence, le régime juridique des eaux libres ne peut s’appliquer aux étangs. Toutefois, il est des circonstances dans lesquelles ce régime pourrait avoir une influence sur leur gestion. C’est le cas de l’application du régime des cours d’eau aux fossés de vidange ou d’alimentation de ces étangs. Pour autant, la majorité de ces fossés sont artificiels, sont alimentés par les eaux de pluie ou de ruissellement et sont à sec une grande partie de l’année. Ce régime juridique ne semble pas remettre en cause

le statut d’eaux closes attribué aux étangs124.

Finalement, la meilleure définition donnée à l’étang en Dombes, et celle permettant son effectivité juridique et la permanence de son régime, est peut-être celle donnée par

l’Encyclopédie de Diderot au XVIIIème siècle. En effet, les caractéristiques principales de cet

ouvrage sont son artificialité et son caractère d’outil agricole. Qu’il soit en assec ou en évolage, le propre de l’étang est d’être un outil fonctionnel créé par l’homme avec l’objectif d’une exploitation agricole optimale. La permanence de son statut et de son régime juridique s’explique alors par son usage. Quel qu’il soit, cet usage est agricole. Pendant la seconde moitié

du XIXème siècle, l’assèchement des étangs était motivé par la volonté de mettre les parcelles

en culture afin de nourrir les populations locales. Dans le cycle d’exploitation normal de l’étang, celui-ci est mis en assec, là encore, pour être mis en culture. En tout état de cause, l’étang fait l’objet d’un travail par l’homme, ce qui en fait une terre exploitée en tout temps. Bien que l’on puisse donner une définition et donc un statut juridique pérenne de l’étang, son régime continue d’interroger sur certains aspects pratiques. La question se pose de savoir, dans le cadre de certaines activités ou certaines politiques publiques, s’il convient de prendre en considération

l’étang en eau seulement, ou bien en eau et en assec. C’est ce droit d’usage, démembré de la

122 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, JORF n°0184 du 9 août 2016.

123 Article L. 215-7-1 du Code de l’environnement.

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propriété principale qui serait ainsi susceptible d’être remis en cause. Si l’on peine à définir l’objet juridique que constitue l’étang, la difficulté n’est pas moindre lorsqu’il s’agit d’identifier les usages dont il fait l’objet, ainsi que la nature du droit qui les organise.

III. La nature du droit local en question

D’un point de vue pratique, les notions d’usage et de coutume ne recouvrent pas les mêmes réalités que dans le sens usité par la doctrine juridique. Une utilisation indifférenciée des deux notions est faite, sans pour autant en appréhender les subtilités juridiques et ce qu’elles recouvrent en droit. Face à cet écueil, Vanessa Manceron, constatant la confusion qui existe entre ces termes pour les acteurs locaux, choisit de donner une définition plus sociologique que juridique dans sa thèse en ethnologie. À son sens, l’usage doit être entendu comme « une pratique effective qui peut dans certains cas devenir coutumière ou légale »125. De toute évidence, le constat pratique que l’on peut faire aujourd’hui est le même. Les occupants de la Dombes, propriétaires, exploitants d’étangs, fermiers, chasseurs ou agriculteurs, ont conscience de l’existence de règles, plus ou moins explicites qu’il convient de respecter. Au sens strict, l’usage s’adresse aux propriétaires d’étangs et leurs ayant-droits mais affecte également ceux qui détiennent un droit d’usage sur le bien qui fait l’objet de cette gestion traditionnelle. Il contraint donc l’exercice du droit de chasse et l’ensemble des utilisations de l’eau sur ce territoire. Pour l’ensemble de ces individus, il est tantôt question « des usages » ou « de la coutume », mais plus généralement, il est question du « Truchelut ». Il convient toutefois de préciser ce que l’on entend par le terme d’usage au sens strictement juridique du terme (A), avant de qualifier l’ensemble des règles de gestion locales de l’eau afin d’envisager l’intérêt de leur pérennisation (B).

A. Usages et pratiques, un écueil terminologique à éviter

En droit, l’usage peut revêtir plusieurs sens que l’on utilise de façon récurrente lorsque l’on analyse l’exploitation coutumière d’une ressource. L’analyse du droit spécifique de la région de la Dombes revient à observer la constitution d’une source de droit spontané, de la pratique à

125 MANCERON V., op. cit., p. 9.

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la coutume, en passant par l’usage. Ce dernier peut faire référence au mode d’utilisation du bien en question (1), ou bien à la source de droit qu’elle est susceptible d’engendrer (2).