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ETAT DES LIEU

Section 2 Des espaces insulaires vulnérables par nature

Le milieu insulaire est un espace fragile du fait des caractéristiques propres aux îles. Comment le caractère insulaire des espaces étudiés leur confère-il une vulnérabilité spécifique ? De quelle façon les activités anthropiques aggravent-elles cette vulnérabilité ?

2-1 Spécificités des milieux insulaires :

Les spécificités des milieux insulaires sont classées selon qu’elles dépendent du caractère insulaire et (ou) littoral des espaces étudiés.

2-1-1 propres à leur qualité d’îles

L’île ne ressemble à aucune autre forme spatiale, et les facteurs lui conférant son originalité en font un espace vulnérable face à la montée des eaux.

La vulnérabilité insulaire est directement liée à la situation géographique et à la spécificité des milieux physiques étudiés. Dans le cadre du travail réalisé, la vulnérabilité résulte d’abord de la position d’isolement de Wallis & Futuna, Mayotte et Lifou par rapport aux continents et en moindre mesure, aux autres îles.

En effet, Wallis et Futuna sont situées à 400 km à l’ouest des îles Samoa, à plus de 2 000 km de la Nouvelle Calédonie, à 3 200 km de la Polynésie et à 19 500 km de la métropole (BO CNRS, 2010). Lifou se situe à plus de 150 km de Nouméa et à 18 000 km de la métropole (BO CNRS, 2010). Enfin, Mayotte se trouve à environ 300 km de Madagascar, à 1 400 km de La Réunion et à plus de 8 000 km de la métropole. Elle est la moins isolée des trois ensembles insulaires étudiés (BO CNRS, 2010), dispersés à l’échelle de deux océans (Indien et Pacifique). Cet isolement rend particulièrement vulnérable ces espaces en cas de montée brutale des eaux (fortes tempêtes ou tsunamis).

Les îles étudiées sont reliées aux autres îles régionales et à la métropole par bateau et par avion. La liaison aérienne entre Nouméa et Wallis & Futuna s’effectue trois fois par semaine par la compagnie Aircalin, et entre les îles de Wallis et Futuna (situées à 240 km l’une de l’autre), 3 à 4 fois par jour (Aircalin, 2010). Il n’existe plus de liaison par bateau pour les voyageurs, mais uniquement pour les marchandises. Lifou est desservie 3 à 5 fois par jour, tous les jours, à partir de Nouméa sur la compagnie Air Calédonie (Air Calédonie, 2010). Nouméa est reliée à la métropole via Sydney, Singapour, Tokyo, Osaka, La Réunion et Séoul

à une fréquence de 2 à 7 vols hebdomadaires (Aircalin, 2010). Le Betico relie Nouméa et Lifou par voie maritime plusieurs fois par semaine (Betico, 2010). La desserte entre Mayotte et La Réunion s’effectue par la compagnie Air Austral deux fois par jour.

En cas de mauvaises conditions climatiques ou de phénomènes climatiques exceptionnels, ces entités insulaires peuvent donc se retrouver coupées de l’extérieur et repliées sur elles-mêmes et c’est en ce sens que l’isolement est un facteur important du risque sur les espaces étudiés. Par ailleurs, leur difficulté d’accès et de communication ne permet pas d’assurer la viabilité économique à ces petits espaces insulaires qui dépendent massivement des flux financiers en provenance de la métropole. Leur position d’isolement, combinée à des ressources limitées, aboutit à une situation de dépendance économique vis-à-vis des importations (Huetz de Lemps, 1987) en provenance notamment de la métropole. La métropole finance, certes, ces ensembles insulaires et en génère quelques bénéfices. Le principal est certainement lié à la situation stratégique de ces espaces insulaires et à la ZEE (Zone Economique Exclusive), parfois très vaste, qu’ils couvrent, permettent à la France de renforcer son influence océanique. Ces îles luttent contre le confinement qui les pousse à la mise en place d’une toile de communication avec la métropole et les autres outre-mers (Bonnemaison, 1991). Cette forte dépendance économique avec la métropole leur interdit, sur fonds propres traditionnels, des réponses adaptées quand des évènements graves viennent fragiliser leur espace littoral. Il leur faut attendre l’aide extérieure.

Leur petite taille (soit une superficie de 75,64 km² pour Wallis, 63 km² pour Futuna, 374 km² pour Mayotte et 1 207,1 km² pour Lifou), les rend également vulnérables. Un tsunami est susceptible d’inonder la partie basse d’une île et une montée des eaux sur le long terme liée au réchauffement de la planète pourrait faire disparaître la partie basse ou la totalité de certains espaces de ces îles, jusqu’au prochain cycle glaciaire (tels les îlots de la barrière récifale à Wallis).

Le relief permet de classer les îles en deux types : les îles hautes et les îles basses. Wallis et Lifou appartiennent plutôt à celui des îles basses tandis que Mayotte et Futuna sont des îles hautes. L’altitude maximum à Wallis, île de forme ovale de 8 km de large sur 15 km de long, atteint 151 m au mont Lulu. Lifou ne dépasse pas les 120 m au pic Nga et mesure 60 km de long sur 35 de large.

Futuna, aux fortes pentes et aux espaces plats limités, possède une forme allongée de 5 km de large sur 20 de long. Son plus haut sommet culmine à 524 m au mont Puke. Alofi au sud-est de Futuna, culmine à 417 m.

Mayotte est composée de deux îles : Grande Terre (40 km sur 20 km) et Petite Terre (15 km²), séparées par un bras de mer de 2,8 km de large (Fontaine, 1995).

Le plus haut sommet de Grande Terre atteint 653 m au mont Benara.

Cette typologie est donc à relativiser dans le cadre d’une problématique sur la montée des eaux. En effet, on entend généralement par îles basse des atolls de 4 à 5 m de hauteur comme ceux que l’on trouve aux Tuamotu en Polynésie. Avec respectivement 120 et 150 m pour les altitudes maximales à Lifou et Wallis, ces îles ne sont pas réellement basses. En effet, en cas de montée du niveau des océans de quelques mètres, tout Wallis ou tout Lifou ne sera pas submergé ! Lifou est un atoll soulevé, tandis que Wallis est une île de faible à moyenne altitude caractérisée par des motus enserrant l’île qui eux, ne dépassent pas les 4 mètres d’altitude. Ce sont ces motus qui seront les premiers concernés par la montée des eaux.

La petite taille de ces îles associée à la pression démographique forte exercée sur la bande côtière et à des dégradations accélérées de l’environnement (du fait de la petitesse de ces espaces) constituent des facteurs aggravant leur vulnérabilité. Comme les aléas que représentent les tempêtes cycloniques et tsunamis sont forts, le risque lié à la montée de l’eau sur l’espace littoral est élevé pour les populations qui l’habitent.

Le thème de l’urbanisation de la bande côtière sera développé dans la sous-section suivante, mais nous pouvons dire que malgré le faible nombre actuel d’habitants à Wallis & Futuna (14 967 hab.) et Lifou (10 320 hab.), leur concentration sur la bande littorale fragilise le milieu littoral. Nous verrons que ces insulaires n’ont pas toujours habité sur les côtes et que le peuplement de ces îles a changé au fil des siècles. On trouvera peut-être dans ces faits des voies pour résoudre les problèmes recensés aujourd’hui.

En résumé, et de façon plus générale, les espaces insulaires sont fragiles, plus vulnérables aux phénomènes climatiques exceptionnels (cyclones, tempêtes tropicales, surplus ou manque de pluie, El Nino) et aux conséquences des phénomènes sismiques (tremblements de terre, tsunamis...) que les continents où il est plus aisé de maîtriser et de revaloriser rapidement un espace après la manifestation d’une catastrophe (Doumenge, 1987). L’isolement de l’île a pour effets des conséquences irréversibles de la catastrophe avec un très long processus de régénération du milieu physique.

L’île n’est pas un espace figé, ses limites et sa forme évoluent, elle change de taille de par le jeu des marées, les variations du niveau marin... (Brigand, 1995). Les îles se font et se défont au fil des siècles de façon naturelle jusqu’à présent ; mais l’action de l’homme et le changement climatique ajoutent leurs effets à ce phénomène naturel (Brigand, 1995). De nombreux scientifiques prédisent la disparition des îles (les îles basses) dans les 50 prochaines années du fait de la montée des eaux des océans ; mais il ne faut pas oublier de préciser que d’autres apparaîtront à partir de péninsules et de collines côtières actuelles (Depraetere, David, 2008). Quelles sont les spécificités inhérentes au caractère littoral des espaces étudiés ?

2-1-2 propres à leur littoralité

L’étude porte sur les îles, plus précisément sur leurs littoraux, premiers espaces susceptibles d’être touchés par la montée des eaux.

Le littoral est un espace à la frontière des mondes marins et terrestres, à la fois interface, « espace dont la spécificité résulte d’un fait de nature ... au contact entre l’hydrosphère marine et la lithosphère émergée », et rupture (Corlay, 1995). Ce géosystème, qui traduit la relation homme-nature chère aux géographes, manifeste des interactions multiples et complexes des deux principaux éléments qui le composent (Wackerman, 1998), l’écosystème et le sociosystème, eux-mêmes fortement liés et dont les sous-éléments interagissent.

Les géographes qui s’y sont intéressés d’un point de vue physique ou humain, tels André Guilcher, Roland Paskoff et Alain Miossec - pour ne citer que les plus connus - ont contribué à l’étude du littoral en tant qu’ensemble géomorphologique complexe, mais également en tant qu’œkoumène. Ils se sont aussi intéressés aux limites de cet espace, à sa mise en valeur et à sa gestion intégrée dans un contexte de développement durable.

En tant qu’espace délimité, le littoral en général peut être défini selon des critères objectifs et subjectifs ; objectifs, tels les caractéristiques paysagères, géomorphologiques, économiques et juridiques, subjectifs par le vécu, la perception et les représentations de ceux qui y vivent (Tab.15). La définition des littoraux tropicaux des îles étudiées est spécifique, en ce sens que la limite paysagère et juridique entre littoral et intérieur des terres est parfois floue. En effet, en particulier sur les îles basses, le paysage est sensiblement homogène avec une topographie faible, une végétation uniforme et, parfois, seule la présence d’habitations ou

de routes permet de définir ce que l’on entend par espace littoral (exemples à Lifou et Wallis). La loi littoral n’est appliquée ni à Wallis & Futuna, ni à Lifou, contrairement à Mayotte et un grand vide juridique relatif au littoral persiste dans ces régions.

Le littoral tropical se définit plus aisément en fonction de critères géomorphologiques et surtout subjectifs avec une dualité entre populations du bord de mer et populations de l’intérieur dont les pratiques spatiales sont sensiblement différentes et les perceptions, propres (cf. partie II).

Tab. 15 - Tableau de classification des critères définissant le littoral

OBJECTIFS (PHYSIQUES) SUBJECTIFS

(SOCIOLOGIQUES)

paysager géomorphologique économique juridique vécu Perçu/représenté

Changement de la nature à l’approche du rivage, espace avec la mer pour horizon, présence de falaises ou de sable, végétation différente.

Espace qui s’étend des plus basses mers aux plus hautes,

Influencé par les forces marines, Avec un profil géomorphologique bien précis en fonction du type de relief en place (côte basse ou haute). Activités spécifiques liées à la présence de la mer, notamment la pêche, le tourisme... Les 50 pas géométriques, la loi littoral du 30 janvier 1986 avec le littoral délimité en fonction des limites administratives des communes bordières (uniquement à Mayotte). Populations qui vivent sur les littoraux depuis des générations, Usages et pratiques du littoral spécifiques (pêche, baignade, ramassage de coquillages...)

Sens en éveil avec l’odeur de l’iode, Ambiance différente, plus douce par rapport à l’intérieur des terres, représentations mentales, relatives à l’imaginaire. D’après Corlay, 1995

Réalisation et conception : Bantos S., 2009

La combinaison de ces critères physiques et sociologiques permet de préciser les limites du littoral tropical, mais il reste encore impossible de fixer précisément celles-ci car le littoral est un « espace à géométrie variable » (Corlay, 1995 et Bavoux, 1998), instable, à court terme avec le phénomène des marées, à long terme avec la montée du niveau des océans (Bavoux, 1998) et qui « traduit l’état de la relation société-espace et son évolution » (Corlay, 1995).

Le littoral est un espace compartimenté, composé d’un avant-pays côté mer (le trait de côte et la mer côtière), d’une bande littorale (ou plaine côtière) et d’un arrière-pays côté terre (arrière pays continental).

Dans les petites îles, la zone d’influence du littoral peut cependant continuer au-delà de cet arrière pays terrestre, et parfois être généralisée à l’ensemble de l’espace insulaire. A noter un fait assez amusant : lorsqu’on se place au centre de l’une de ces îles, on aperçoit de part et d’autre, à distance variable, la mer qui entoure des portions terrestres. Le littoral est partout ! Quoi qu’il en soit, dans le cadre de notre étude, le littoral sera délimité dans sa partie marine par la limite du récif, frangeant ou barrière, et dans sa partie terrestre, par les tarodières.

Cette limite est fixée en fonction de deux facteurs : les caractéristiques du milieu physique, avec la présence d’un dénivelé entre la plaine littorale et les tarodières, et les usages, avec la mise en culture d’espaces terrestres qui n’appartiennent plus au domaine littoral.

La route joue, pour les îliens, un rôle de rupture entre littoral et intérieur des terres, même si géomorphologiquement cette portion terrestre se situe au niveau de la plaine littorale, voire dans l’arrière-pays littoral. Cette délimitation locale de l’espace littoral n’a pas été écartée et sera intégrée dans la partie II, fondée sur les résultats des enquêtes dans lesquelles la question a été posée.

Les limites à adopter ont été discutées dans une équipe pluridisciplinaire : géographes, géophysiciens et sociologues, chaque scientifique argumentant sur les bases de sa discipline. Les limites retenues dans le cadre de cette étude ont donc été décidées d’un commun accord, mais en ayant conscience des limites des limites...

Pour résumer, le littoral se définit comme étant à la fois interface et rupture, espace dynamique et évolutif aux limites floues, paysage fragile et de plus en plus fragilisé en raison des caractéristiques de son milieu physique, des pressions anthropiques et naturelles exercées. C’est en partie pour cela qu’il a été retenu comme espace de référence de notre étude. L’étude des formes d’adaptation face aux risques climatiques et aux conséquences des tsunamis dans les petits espaces insulaires est pertinente dans le cadre de ces espaces, les littoraux, les plus fortement menacés en termes de temporalité et d’intensité. Ils sont en première ligne face aux phénomènes climatiques exceptionnels, aux tremblements de terre et aux tsunamis associés. Ils constituent ainsi des espaces de gestion prioritaires.

Ces espaces insulaires sont marqués par la diversité physique de leurs milieux littoraux composés de plages, de dunes, de falaises et de zones marécageuses qui portent quelquefois des mangroves, formations végétales appartenant à l’entité géographique des marais maritimes (BRGM, 2003) et écosystème fragile caractéristique des littoraux tropicaux. A Wallis, le paysage littoral est composé de côtes vaseuses, sableuses, artificialisées et d’îlots de mangroves localisés au sud-ouest (entre la pointe Mua et Malaetoli) et sur la côte ouest (entre Ahoa et Utulea) de l’île dans des anses vaseuses (ministère de l’Ecologie, 2004). La mangrove est en cours de réhabilitation sur la côte est (planche 3).

A Mayotte, le paysage des côtes mahoraises est contrasté (planche 4). Il est composé de baies sableuses (soit 22 % du linéaire côtier cf. Fig. 23 et Tab.16), de caps rocheux et de presqu’îles comme la pointe Saziley (Fontaine, 1995). La mangrove est également très présente à Mayotte sur 76 km, soit 29 % du littoral (cf. Fig. 22 et Tab. 16). On en observe deux types, celui des estuaires des fonds de baies, dans les anses où débouchent des cours d’eau, et les mangroves littorales dites de front de mer qui forment une ceinture parallèle au rivage (BRGM, 2003).

Tab. 16 - Répartition des différents types de côtes à Mayotte Type de côtes Linéaire côtier (km) Part du littoral (%)

côtes rocheuses 110 41 côtes sableuses 58 22 côtes vaseuses 76 29 côtes artificialisées 21 8 Total 265 100 D’après : BRGM, 2003

Fig. 22 - Carte de localisation des plages à Mayotte

D’après : DAF, 2006 et le fonds de carte de Duval C., 2010 Réalisation et conception : Bantos S., 2010

Fig. 23 - Carte de localisation de la mangrove à Mayotte

D’après : DAF, 2006 et le fonds de carte de Duval C., 2010 Réalisation et conception : Bantos S., 2010