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ETAT DES LIEU

Section 1- Contexte thématique et institutionnel de la recherche

Qu’entend-t-on par adaptation ? Quels sont les enjeux de l’adaptation et dans quel contexte institutionnel et pratique la recherche s’inscrit-elle ?

1-1 De l’atténuation à l’adaptation

Le terme atténuation est employé lorsqu’il est question d’atténuer l’amplitude du réchauffement, et le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) le définit comme « une intervention anthropique pour réduire les sources ou augmenter les puits de gaz à effet de serre » (GIEC). L’atténuation, introduite à la conférence de Rio en 1992, devient dans le protocole de Kyoto en 1997, un engagement juridique avec les limites d’émission de gaz à effet de serre imposées aux pays les plus pollueurs.

Dix ans plus tard, ce sont 181 pays qui ratifient le protocole et s’inscrivent ainsi dans une stratégie d’atténuation à l’échelle planétaire avec la UNFCCC (United Nations Framework Convention on Climate Change). L’adaptation n’y est mentionnée que succinctement et on y parle d’adaptation des écosystèmes naturels et non des sociétés humaines. Il en est de même dans le protocole de Kyoto (Tabeaud, 2010).

Cette tendance consistant à privilégier l’atténuation à l’adaptation se confirme dans les rapports du GIEC. Les rapports du groupe I (changements scientifiques) et III (atténuation du changement climatique) sont axés sur l’aspect physique des changements climatiques. Le groupe II est censé traiter de l’adaptation, mais en réalité, il évalue les impacts, surtout d’un point de vue économique, et très peu d’un point de vue social. Les sciences impliquées sont essentiellement les sciences dites dures et l’économie. Il manque cependant une entrée des sciences humaines et sociales pour une véritable pluridisciplinarité traitant des questions de l’adaptation des sociétés humaines à ces changements (Tabeaud, 2009).

L’atténuation se trouve confrontée à un double problème résultant de l’incertitude qui pèse encore. On ne sait pas en effet, si ce sont les gaz à effet de serre qui renforcent le réchauffement ou si c’est le réchauffement qui augmente la teneur en gaz à effet de serre de l’atmosphère. De plus, la modélisation offre des prévisions encore approximatives avec des échelles bien trop larges. Un affinement des modèles permettrait une meilleure anticipation des mesures d’atténuation et d’adaptation (Tabeaud, 2009).

Nous verrons dans la dernière section du chapitre 2 que la question du climat est complexe, en raison de la multiplicité des éléments à prendre en compte dans le système climat et que les explications des causes du réchauffement actuel restent ouvertes, de même que ses impacts.

Dans l’adaptation, il n’est plus question de réduire les sources de gaz à effet de serre, mais « d’ajuster les systèmes naturels ou humains face à un nouvel environnement ou un environnement changeant... afin d’atténuer les effets néfastes ou d’exploiter des opportunités bénéfiques » (GIEC), ou encore ce sont les changements que les personnes, les entreprises ou les gouvernements encourent pour réduire les dommages (ou augmenter les bénéfices) des changements climatiques (Mansanet-Bataller, 2010).

Le rapport Stern a mis en avant la problématique de l’adaptation, montrant que les coûts des changements climatiques augmenteront en cas de non planification, et sans objectif de l’adaptation. A l’échelle européenne, l’AEE (Agence Européenne pour l’Environnement) a élaboré un livret vert sur l’adaptation au changement climatique en Europe en 2007, des échelles européennes aux échelles locales (Tabeaud, 2010).

Le semi échec des négociations à Copenhague a permis à l’adaptation d’émerger sur la scène internationale. Moins ambitieuse que l’atténuation, qui s’inscrit sur une échelle globale de temps long (50 à 100 ans), l’adaptation est probablement plus réaliste, s’appliquant localement et jouant sur des échelles de temps plus restreintes (de quelques mois à quelques années) (Tabeaud, 2010).

La science se doit de travailler conjointement sur ces deux concepts car « les deux manières d’agir sont compatibles puisqu’elles ne s’inscrivent ni aux mêmes échelles de temps, ni aux mêmes échelles spatiales » (Tabeaud, 2010).

L’acclimatation, terme introduit par Martine Tabeaud dans les questions relatives au climat1, a l’avantage de combiner les notions d’atténuation et d’adaptation. Le terme acclimatation fait référence aux « processus de survie des groupes humains2 soumis à des changements propres ou à des crises » (Tabeaud, 2009) comme c’est le cas actuellement avec les changements climatiques.

1 dans « S’acclimater aux changements durant le XXIe siècle » et dans « l’acclimatation au changement

climatique ou la redécouverte des acteurs et des territoires »

1-2 Les enjeux de l’adaptation

Les enjeux de l’adaptation sont présentés ci-après en trois catégories : les enjeux de type humain et environnemental, économique et géopolitique et enfin, socio-culturel.

1-2-1 Enjeux humains et environnementaux

- enjeu en vies humaines : Le risque a baissé (en données relatives) au fil du temps grâce à la délimitation de zones à risques (le fruit de l’expérience, en regard des désordres passés) puis, plus récemment, grâce à la mise en place de systèmes d’alerte météorologiques. Cependant, dans les îles, le risque associé à la montée des eaux (sur des échelles de temps très différentes) menace toujours les habitants concentrés sur la bande littorale, où l’habitat s’inscrit souvent de façon anarchique sur le bord de mer. Les tsunamis associés aux séismes, qui n’émargent pas directement à la problématique du changement climatique, peuvent entraîner une montée des eaux très brutale et, de ce fait, ils ont été intégrés aux questionnements de ce travail de thèse. Ce sont des phénomènes sans conteste beaucoup plus difficiles à prévoir que les cyclones et tempêtes tropicales car associés à des temps de réponses très brefs. La mise en place de systèmes d’alerte spécifiques à ce risque est récente et découle d’une prise de conscience associée aux graves évènements de ces dernières années. En regard de l’aléa tsunami, le risque de victimes potentielles est élevé sur tous les espaces insulaires étudiés dans ce mémoire, non parce qu’il n’existe pas de possibilité de repli à l’intérieur des terres, mais parce que la plus grande partie de la population vit à proximité du trait de côte et que les procédures d’alerte, et surtout de sensibilisation à ces alertes, ne sont pas encore parfaitement opérationnelles.

- enjeux sanitaires : en cas de cyclone et (ou) de tsunami, les inondations et les stagnations d’eau qui en résulteront favoriseront le risque épidémiologique, susceptible d’augmenter avec l’extension de la dengue, la fièvre jaune et le paludisme. De même, dans le contexte du réchauffement, si précipitations et températures augmentent, le climat plus humide et chaud favorisera la prolifération de moustiques. Enfin, les bactéries atteignant le système digestif se développeront d’autant plus rapidement dans un environnement plus humide.

- enjeux pour la sauvegarde des écosystèmes notamment des mangroves et des récifs coralliens dans les îles. Ces deux écosystèmes servent de rempart en cas de montée des eaux.

Il faut les protéger car leurs ressources sont limitées et épuisables à terme et, dans le cas des mangroves, en planter massivement pour privilégier des réponses « naturelles » et non invasives à la montée des eaux.

Enjeu également pour la biodiversité avec une faune et une flore, en particulier sous-marine riche, dans les quatre îles étudiées.

- enjeu en matière d’intégration des sociétés dites traditionnelles, garant d’une gestion pertinente des ressources naturelles, dans la protection des écosystèmes et dans les stratégies d’adaptation. Comment efficacement intégrer ces sociétés dont le niveau d’information reste pour le moment assez limité dans toutes les îles étudiées ? Par l’information et la sensibilisation.

1-2-2 Enjeux économiques et géopolitiques

- enjeu pour repenser le système économique : revoir les modes de production est l’occasion de contenir la dépendance vis-à-vis des importations car, en cas de catastrophe naturelle et de dégradation des ports et des pistes d’aéroport, les îles seront isolées et les îliens devront vivre, pour un temps, en autarcie. Comme des potentialités locales existent, il faut évaluer les coûts- bénéfices. Cela relancerait l’emploi local, fortement touché par le chômage, en particulier celui des jeunes.

- enjeu pour les énergies renouvelables : les îles étudiées bénéficient de conditions climatiques optimales pour le développement d’énergies renouvelables, qui peuvent participer à relancer l’économie locale, telles l’énergie solaire, les vents, les précipitations, l’eau de mer... Développer le secteur des énergies renouvelables constitue une formidable opportunité en matière d’innovation.

- enjeux du point de vue des coûts : l’enjeu est de limiter le coût de cette montée des eaux. Plus les mesures d’adaptation à la montée des eaux seront prises tôt et en amont, moins ce coût sera élevé. Par exemple, si les populations et leurs activités sont peu à peu déplacées vers l’intérieur des terres, lors d’un cyclone ou d’un tsunami, les dommages en bord de mer seront moindres. Pour le récent cyclone qui a touché Futuna et Wallis en mars 2010, le coût des dommages est considérable car les Futuniens sont concentrés sur la bande littorale qui a subi

terme, le constat est le même : les mesures anticipées en permettront une meilleure programmation des mesures de gestion.

- enjeu pour les assureurs : permettre à tous d’être assurés, ce qui n’est pas le cas dans les espaces étudiés, et augmenter les cotisations des personnes informées du danger mais qui construisent en zones à risque. En somme, assurer intelligemment.

- enjeu en matière de sécurité intérieure : la montée des eaux et le déplacement probable des populations va inévitablement provoquer des conflits surtout dans le domaine du foncier. Nous verrons dans le chapitre 3 que le foncier n’est pas cadastré et que foncier et coutume sont intimement liés. Ce sont les locaux qui se partagent les terres et cela a toujours provoqué de nombreux conflits fonciers. En cas de déplacement des populations, le problème risque de s’amplifier.

- enjeu pour l’outre-mer français : la mise en place de stratégies d’adaptation cohérentes et efficaces exige d’intégrer les contextes culturels propres aux différents ensembles régionaux. Il faut un tronc commun avec de grandes lignes directrices, puis des plans locaux d’adaptation mettant en avant la gouvernance locale de chaque île, en phase avec les territoires concernés. Il faut un outre-mer fort et solidaire pour réussir les négociations.

- enjeu politique : dans des espaces comme la Nouvelle Calédonie, avec un territoire de plus en plus autonome, les stratégies d’adaptation de l’outre-mer seront peut-être plus difficiles à mener, les négociations, probablement plus longues. A Mayotte qui va devenir DOM (Département d’Outre-mer), c’est l’inverse, le rattachement en tant que département est susceptible de faciliter les mesures décidées par le ministère de l’Outre-mer si les populations participent aux discussions.

- enjeu aussi pour les réfugiés climatiques : en cas d’échec des mesures d’adaptation locale, il faudra déplacer les gens hors de leur île. Ils deviendront alors réfugiés climatiques mais pour aller où ? Les éventuels réfugiés des petites îles de l’outre-mer français viendront sur les îles principales (la Nouvelle Calédonie pour Wallis et Futuna et Lifou et La Réunion pour Mayotte) ou en métropole, mais cela créera forcément des déséquilibres et pour les territoires d’accueil et pour les peuples déplacés.

1-2-3 Enjeux socio-culturels

- enjeu pour les sociétés de sauvegarder leurs traditions, leurs savoirs, leur identité et leur coutume. Créer de nouveaux aménagements (digues) ou déplacer des populations peut provoquer des modifications profondes dans les habitudes et les usages des territoires. Les référentiels changent, surtout dans des sociétés océaniennes proches de la mer.

- enjeu pour intégrer les traditions et les coutumes dans les stratégies d’adaptation pour que celles-ci soient acceptées par les populations locales. C’est tout l’objet de ce mémoire, évaluer leur perception des risques et des savoirs pour les intégrer aux mesures.

- enjeu pour l’information et l’éducation car certaines activités traditionnelles, extractions de sable, pêche à la dynamite..., dégradent l’environnement. Il faut passer par les chefferies de droit coutumier et par l’école pour informer les populations des effets négatifs de ces activités, en théorie interdites mais, dans la pratique, très souvent menées.

- enjeu social car les effets de la montée des eaux provoqueront des conflits sociaux avec, d’un côté, des personnes qui auront les moyens de se prémunir de la montée des eaux, et de l’autre, les plus pauvres. C’est une nécessité pour l’Etat de mettre en place des aides pour que les plus défavorisés puissent eux aussi faire face au risque de montée des eaux.

L’aléa montée des eaux couplé aux enjeux présentés font de la montée des eaux un risque auquel les insulaires devront s’adapter. Dans quel cadre mettre en place les politiques de l’adaptation ?

1-3 L’adaptation dans l’outre-mer : une priorité des politiques environnementales

La recherche s’inscrit dans le contexte global de l’adaptation aux changements climatiques dans l’outre-mer français, plus particulièrement en amont du travail qui va être mené dans le cadre du futur Thème d’Intérêt Transversal (TIT) « Adaptation aux changements climatiques » de l’IFRECOR. Le plan d’action 2006-2010 de l’IFRECOR a pour objectif sur le long terme d’« anticiper les phénomènes induits sur les milieux récifaux et écosystèmes associés et les littoraux par les changements climatiques, en intégrant dans les plans de

gestion à moyen et long terme, les mesures préventives nécessaires pour limiter les incidences sur les écosystèmes concernés et les activités locales » (Allenbach, 2009).

L’actuel TIT « Changements climatiques » a pour but la prise en compte des changements dans les milieux récifaux marins et les écosystèmes associés, mais aussi sur les littoraux. Dans sa phase actuelle, conduite à l’aide des indicateurs mis en place (température de l’eau de mer en surface, état de santé des récifs coralliens, acidification des océans et suivi du trait de côte), le TIT participe à la préfiguration des mesures d’adaptation à prévoir. La mesure des paramètres « Evolution du niveau de la mer » et « Evènements météorologiques exceptionnels » complète les indicateurs actuels du TIT Changement climatique. Chaque Collectivité d’Outre-mer (COM) doit être dotée, à la fin 2010, d’observatoires consacrés au suivi d’indicateurs du changement climatique. Un centre de gestion des données, implanté à l’Université de Nouvelle Calédonie, recueillera les données provenant de l’ensemble des Collectivités d’Outre-mer et les transmettra à l’ONERC (Observatoire National sur les Effets du Réchauffement Climatique) (IFRECOR, 2010).

Les espaces étudiés dans cette thèse sont tous dotés d’un écosystème récifal et entrent directement dans le périmètre objectif de l’IFRECOR. L’étude menée est fondée sur la perception des sociétés et complète ainsi les indicateurs « physiques » adoptés par l’IFRECOR et l’ONERC. Ce travail se veut un outil complémentaire aux travaux existants. La recherche est effectuée alors que le plan national d’adaptation au changement climatique, en cours d’élaboration, doit sortir en 2011. Le rapport du groupe de réflexion sur le TIT « Adaptation aux changements climatiques » de l’IFRECOR a été remis aux membres du comité permanent, en juin 2010, en vue de l’élaboration du plan national d’action IFRECOR 2011-2015. Ce dernier doit être conceptualisé au cours du second semestre de l’année 2010 et acté à la fin de cette même année. Le thème de recherche du mémoire de thèse est donc parfaitement en phase avec des objectifs pratiques et concrets.

Parmi les terrains décrits dans le cadre de ce mémoire se trouve, par ailleurs, l’archipel de Wallis & Futuna que l’Université de la Nouvelle Calédonie (UNC) et le PPME-EA 3325, (Pôle pluridisciplinaire de la Matière et de l’Environnement) dirigé par M. ALLENBACH, co-directeur de thèse, étudient dans le cadre de deux programmes de recherche de l’IFRECOR et du ministère de l’Outre-mer. Les problématiques de ces programmes sont axées sur le changement climatique et la gestion intégrée du domaine littoral face au changement climatique. C’est au sein de ces programmes gérés par des conventions passées entre le

service de l’environnement de Wallis et Futuna et l’UNC que j’ai mené mon travail de terrain sur cet archipel.

Les enjeux de l’adaptation, à l’échelle des espaces étudiés, sont divers et touchent une variété de domaines, de l’environnement au culturel en passant par l’économie, la politique... La problématique du potentiel d’adaptation des sociétés des outre-mers développée dans ce travail, s’inscrit en complémentarité des actions de l’IFRECOR et les complète même en développant une analyse territoriale et sociale de l’adaptation.

Section 2 - Des marges de la France d’outre-mer : des géosystèmes