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Des dynamiques du politique évoquées seulement mezzo voce

Le premier registre de prise en compte des dynamiques du politique (au sens des politics) concerne tout d’abord le rôle des élus locaux, de leurs initiatives politiques, du leader- ship. Cette volonté politique est essentielle, nous dit l’évaluatrice du projet de Morlaix Communauté, et elle doit nécessairement préexister à la dynamique de coopération : « Sans cette volonté première, sans ce portage politique fort, aucune politique, si transversale soit- elle, ne peut s’ancrer de façon durable. » Cette implication politique présente cependant une autre facette importante au regard de la mobilisation des élus : en mettant en place l’expérimentation dans leur territoire, les élus ont une opportunité d’asseoir leur pouvoir et de gagner en légitimité politique. On peut faire l’hypothèse que ce phénomène est à l’œuvre dans le cas cité, où la coordination que l’intercommunalité pilote a tous les traits

12. Sur la définition de la notion de « changement d’échelle », voir : négrier E., 2011, « Échelles d’action publique », in PAsquier R.

et al. (dir.), Dictionnaire des politiques territoriales, Presses de Sciences Po, Paris, p. 195-200.

13. La notion de « politique » a plusieurs significations. La science politique distingue analytiquement – selon la terminologie anglo-saxonne – les polities, qui renvoient aux théories politiques sur l’organisation de la cité, les policies, qui renvoient à la conception et à la mise en œuvre de l’action publique et les politics, qui renvoient au jeu politique, au sens de la compétition politique et de ses déclinaisons gouvernementales, parlementaires ou encore administratives.

14. boisseAux S. et al., 2011, « Penser la territorialité des changements d’échelle », 5e Congrès international des associations

francophones de science politique, Bruxelles (Belgique), avril 2011.

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PERSPECTIVES

d’un instrument dit de soft power16, destiné à faire évoluer les élus des communes parties prenantes et à conférer in fine la compétence jeunesse à l’intercommunalité, comme le souligne la contribution : « La coordination permet de sensibiliser et d’informer les élus pour guider les choix politiques et aider à la prise des décisions. »

Le même processus d’investissement politique des élus est observable en Ardèche, même si, dans ce cas, il est permis de faire l’hypothèse que le conseil départemental chercherait plutôt à affirmer, sinon à conserver, sa prééminence sur les questions de jeunesse, notam- ment dans un contexte de développement des intercommunalités17.

L’intérêt du cas ardéchois tient aussi, et peut-être surtout, au fait qu’il apporte également un éclairage sur le recours à la territorialité, et sur son corollaire, l’identité territoriale, pour légitimer l’expérimentation. Le projet politique vise à créer « un territoire à ruralité positive », c’est-à-dire un territoire porteur de valeurs suscitant la cohésion : « Le territoire se démarque par l’affirmation de valeurs de solidarité, d’engagement, de coformation et d’innovation. » L’expérimentation est, ce faisant, au service de cette stratégie de singularisation territoriale18 : « Aujourd’hui l’enjeu est de passer d’un faire ensemble, basé sur une connaissance mutuelle des différentes cultures professionnelles, à la création d’une culture commune et partagée, bref à une identité de territoire. » De même, l’importance du territoire, de son histoire, de ses acteurs est aussi soulignée dans le projet de Morlaix Communauté : « Lorsqu’on les inter- roge sur la nature et le fonctionnement des réseaux mobilisés dans le cadre de [Jeunes en TTTrans], les maîtres d’ouvrage répondent de façon indifférenciée : la variable territoire a incontestablement un effet. » Ces propos corroborent plus largement les réflexions d’Anne- Cécile Douillet, d’Alain Faure et d’Emmanuel Négrier sur les liens entre action publique et territoire : « L’action publique, soulignent-ils, apparaît à la fois comme le produit et le producteur d’un territoire, c’est-à-dire d’une entité qui se distingue des autres par l’action collective qu’elle porte, laquelle peut éventuellement être associée à une identité19. » À rebours, ces éléments de culture politique locale faits de valeurs et de vision politique du territoire inscrite dans l’histoire, tout comme un capital d’apprentissage interinstitutionnel antérieur, sembleraient faire défaut sur l’agglomération bordelaise et peuvent expliquer, en partie, la difficulté de conduire le projet à l’échelle de la métropole. Cependant, d’autres facteurs explicatifs peuvent également être mobilisés, notamment ceux relevant des luttes de pouvoir à l’œuvre dans ce que les politistes appellent « les jeux sur les échelles20 ». Dans la contribution portant sur le projet bordelais, ces rapports de force sont ainsi directement soulignés : « Les coopérations se heurtent cependant à la difficulté des coopérations inter- communales. En effet, de par son implantation sur un pôle multimodal, le pôle territorial de coopération jeunesse (PTCJ) a vocation à être accessible à l’ensemble des jeunes de la rive droite ou de la métropole. Si le groupement d’intérêt public “Grand projet des Villes Rive Droite” est impliqué dans le projet au regard de son ambition de “transformer” l’image des

16. On pourrait aussi parler de puissance d’influence et de persuasion.

17. Le conseil départemental de l’Ardèche investit depuis près de vingt ans sur la jeunesse : il a notamment été actif dans l’organi- sation d’une manifestation annuelle, les « Rencontres nationales des professionnels et élus de la Jeunesse », aux côtés du conseil départemental de l’Allier et d’autres conseils départementaux.

18. C’est le cas aussi dans le projet « PRODIJ » à La Réunion. 19. Douillet et al., 2015, op. cit., p. 339.

20. Selon Stéphane Boisseaux, les jeux sur les échelles relèvent « d’une stratégie politique d’acteurs visant à provoquer inten- tionnellement des changements d’échelle ou à les exploiter lorsqu’ils se présentent, de manière à obtenir un positionnement politique et/ou économique plus favorable ». boisseAux S. et al., 2011, « Penser la territorialité des changements d’échelle »,

UNE TERRITORIALISATION « PAR LE HAUT » DES POLITIQUES DE JEUNESSE ? RETOURS SUR DES MISES EN RÉCIT D’EXPÉRIMENTATIONS

quartiers populaires, le portage politique des autres communes de la “Rive Droite” reste jusque-là limité. » L’interterritorialité21 semble donc, dans ce cas, relever d’un objectif de moyen, voire de long terme.

De la place des acteurs privés à la place des jeunes :