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LA CARTOGRAPHIE DES INCIDENCES (CDI), UN OUTIL DE PILOTAGE DE LA POLITIQUE JEUNESSE EN PICARDIE MARITIME

Liliane Londeix-Marissal,consultante T3P Conseil, Dominique Parsy, délégué de la Fédération natio- nale des FRANCAS

Le programme d’investissements d’avenir en faveur de la jeunesse de Picardie maritime, « Like l’ave- nir », a été initié par le syndicat mixte Baie de Somme 3 Vallées, qui en est le maître d’ouvrage, et par le conseil régional de Picardie. La Région avait en effet engagé, depuis 2010, une dynamique partenariale pour élaborer un projet éducatif régional global pour les jeunes Picards.

Cette expérience partenariale avait permis de mesurer à quel point la mise en place de nouvelles relations entre les acteurs était une condition préalable à l’élaboration et mise en œuvre d’actions innovantes et efficientes. C’est ce qui a conduit à proposer la cartographie des incidences (CDI) pour piloter le programme « Like l’avenir ».

La CDI, outil de pilotage et d’évaluation des relations entre acteurs

Contrairement à d’autres méthodes, la cartographie des incidences n’est pas fondée sur un système de relations de cause à effet. Elle part du postulat qu’il est difficile d’attribuer l’impact d’une action qui mobilise plusieurs acteurs à l’un d’entre eux et que les changements sont le produit de nombreuses interactions. La CDI permet donc aux partenaires d’un programme, grâce à des outils simples et en quelques étapes, de se doter d’une feuille de route, de mesurer ensemble les progrès accomplis et de changer durablement leurs pratiques. Selon le Centre de recherches pour le développement interna- tional qui l’a mise au point, c’est une « approche intégrée de planification, de suivi et d’évaluation ». La CDI repose sur une analogie faite avec la cartographie qui permet de se situer sur un parcours, entre un point de départ et un point d’arrivée, sans qu’il y ait de chemin unique entre les deux. Elle a été conçue initialement pour piloter et évaluer des programmes de coopération internationale mais elle est aujourd’hui déployée dans d’autres champs, en particulier pour des projets éducatifs de territoire.

Les marqueurs de progrès, indicateurs de la méthode, ne concernent donc pas directement la satisfac- tion des besoins des bénéficiaires du programme. Ils mesurent les modifications de comportement des partenaires. La méthode s’intéresse aux changements durables dans les relations sociales des acteurs à partir d’objectifs fixés par eux pour améliorer leur collaboration et atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Elle se décompose en trois phases :

– la définition des intentions lors d’ateliers collectifs. On y définit une vision d’avenir, un chemin pour y parvenir, les principaux partenaires concernés et les marqueurs de progrès qui pourraient résulter d’une modification des relations entre partenaires. Le fonctionnement au consensus permet de fonder une communauté d’action entre tous les partenaires ;

– le suivi des incidences et des résultats par la tenue de « journaux » et un engagement de l’équipe projet pour améliorer ses pratiques organisationnelles grâce à une grille stratégique ;

– la planification/préparation de l’évaluation (élaboration des questionnements, recensement des données nécessaires).

POLITIQUES DE JEUNESSE DANS L’AGGLOMÉRATION BORDELAISE : RENFORCER ET RÉINVENTER LES COOPÉRATIONS TERRITORIALES

Schéma. Les trois stades de la cartographie des incidences

SUIVI DES INCIDENCES ET DU RENDEMENT

ÉTAPE 8 : Priorités du suivi ÉTAPE 9 : Journal des incidences ÉTAPE 10 : Journal des stratégies ÉTAPE 11 : Journal du rendement

PLANIFICATION DE L’ÉVALUATION

ÉTAPE 12 : Plan d’évaluation

DÉFINITION DES INTENTIONS

ÉTAPE 1 : Vision

ÉTAPE 2 : Mission

ÉTAPE 3 : Partenaires limitrophes

ÉTAPE 4 : Incidences visées

ÉTAPE 5 : Marqueurs de progrès

ÉTAPE 6 : Grilles stratégiques

ÉTAPE 7 : Pratiques organisationnelles

Source : eArl S. et al., 2002, La cartographie des incidences, Centre de recherches pour le déve-

loppement international, Ottawa (Canada).

Pour le PIA « Like l’avenir », la CDI, outil d’animation du partenariat, de management de la qualité et du changement, a été pensée comme complémentaire aux autres missions d’évaluation, avec un objectif spécifique : mesurer, pour les pérenniser, les changements positifs dans la coopération entre les acteurs du territoire mobilisés en faveur de la jeunesse.

Une mise en œuvre difficile en plusieurs phases

Les FRANCAS de Picardie ont mis en place et animé la démarche, dès mars 2016, avec l’appui d’un chercheur de l‘université de Louvain, d’abord dans l’objectif de former les membres du comité technique de « Like l’avenir » à la méthode*. Cela devait permettre une mise en œuvre effective de la phase de suivi des incidences en 2017.

Le premier atelier consacré à l’élaboration de la vision commune a été très mobilisateur. Les ateliers suivants, qui s’attachaient à définir les « partenaires limitrophes » et « les marqueurs de progrès », ont été plus difficiles pour deux raisons principales : ce n’était pas nécessairement les mêmes personnes qui participaient aux travaux, d’une séance à l’autre, et le sens général de la démarche s’est parfois perdu ; les concepts semblaient plus complexes que le travail sur la vision commune, plus fédérateur et moins « technique ». Face à ce manque d’intérêt des chefs de projet, il a été décidé de reprendre le travail, avant la fin de la première phase du programme, au sein d’un groupe plus restreint. Le bilan de première phase a mis en évidence le manque d’appropriation de la CDI par les équipes projet. La faible participation à la deuxième formation, organisée en janvier 2018, a conduit à proposer un rendez-vous à chaque chef de projet. L’objectif était de l’aider à formaliser, pour son action, les diffé- rentes étapes de la « définition des intentions » : quelle est la mission de l’action pour cette deuxième phase du PIA ? Quels sont les partenaires limitrophes « stratégiques » pour l’atteinte des objectifs ? Quelles sont les incidences visées dans le comportement de chacun de ces partenaires ? Quels mar- queurs de progrès permettraient d’objectiver les changements ? >>>>

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PRATIQUES • ANALYSES

Les rendez-vous d’une heure trente à deux heures ont été l’occasion :

– de recadrer la mission de l’action, c’est-à-dire ce en quoi elle va concrètement contribuer à la mise en œuvre du programme ;

– de redéfinir des objectifs plus réalistes pour les deux ans restants du programme ;

– d’articuler et d’échelonner les projets constitutifs de l’action pour la deuxième phase, en relation avec l’expérience de la première ;

– de faire apparaître des opportunités de travail en commun avec d’autres partenaires du PIA ; – d’interpeller les chefs de projet sur leurs pratiques de travail et sur ce qu’ils attendaient des relations

avec leurs partenaires.

La plupart des chefs de projet se sont positionnés comme « observateurs » des incidences. Il leur appar- tient donc, pour chaque partenaire, de remplir le journal des incidences qui reprend les marqueurs de progrès afin de constater, ou non, les changements. Les périodes d’observation sont variables avec

a minima une remontée des observations par semestre pour une synthèse au niveau du programme.

Notre analyse après six mois de mise en pratique du « suivi des incidences »

En novembre 2018 : seuls cinq chefs de projet ont renvoyé des journaux d’observation remplis sur les onze qui avaient finalisé la rédaction des marqueurs de progrès.

Les chefs de projet avaient été incités à partager avec leurs partenaires limitrophes les marqueurs de progrès qu’ils avaient définis, afin que l’amélioration des collaborations soit le fruit d’une réflexion commune. Cela ne s’est pas fait. Pourtant des échanges sur les attentes des uns par rapport aux autres, et réciproquement, auraient sans doute permis de relancer la dynamique de coopération et favoriser l’émergence de nouveaux projets communs.

Un nouveau projet a vu le jour, impliquant la quasi-totalité des maîtres d’ouvrage du PIA : l’organisa- tion d’un festival, par et pour les jeunes, le 6 juillet 2019. Il semblerait qu’il s’agisse d’une nouvelle opportunité offerte aux partenaires du projet pour observer les pratiques de coopération, en parta- geant les attentes des uns par rapport aux autres, lors de réunions régulières.

Nos conclusions

Les concepts de la CDI peuvent paraître compliqués au regard du vocabulaire, des différentes étapes de la phase de définition des intentions… mais un travail collectif permet une appropriation assez facile de la démarche.

En revanche, la prise de recul qu’implique la CDI sur le quotidien du travail semble plus difficile. Par ailleurs, ce n’est pas simple de s’engager dans une méthode de travail qui demande aux acteurs de se dire librement ce qui devrait être modifié dans les pratiques mises en œuvre par chacune et chacun. Cela impose de savoir comprendre et décrire les changements attendus dans les postures et comporte- ments de ses partenaires, mais aussi de faire évoluer ses propres « formes d’agir » pour faire advenir une pensée et une construction collectives.

La démarche engagée nécessitait aussi de mettre les jeunes en position d’acteurs et non plus de sujets bénéficiaires des actions. La résistance a donc pu s’exprimer face aux pratiques réflexives qu’implique la CDI, mais aussi face aux changements de paradigme qu’impose le travail coopératif entre acteurs et avec les jeunes.

* Les FRANCAS d’Alsace accompagnés de l’université de Louvain animaient depuis 2014 le projet éducatif de Strasbourg avec la CDI.

Jeunes en TTTrans en Bretagne :