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4.3.3 ) Densité numérique de bulles contre densité de cristaux

Afin de caractériser l’effet de la densité numérique des cristaux de magnétite dans le liquide sur la nucléation des bulles, j’ai fait le choix de travailler sur 2 compositions rhyolitiques différentes. Les verres de départ de composition Güney Dag présentent une densité numérique "efficace" de cristaux de magnétite relativement faible : nXL ≈ 300 mm-3. Je rappelle que la densité efficace est la densité numérique de cristaux suffisamment distants les uns des autres pour agir comme des sites de nucléation indépendants. Les verres de départ ATHO sont plus riches en fer (Tableau II-1) et se distinguent par une multitude de petits cristaux de magnétite distribués de manière uniforme : nXL ≈ 1,86⋅105 mm-3 (Figure IV-6). Fortuitement, il apparaît que les trois séries d’expériences réalisées avec ces deux compositions illustrent trois cas de figures très différents en ce qui concerne la relation entre le nombre de cristaux, nXL, et le nombre de bulles en régime stationnaire, nSTAT : (i)

nXL >> nSTAT pour la série ATHO ; (ii) nXL ≈ nSTAT pour la série GDMgt à 27.8 kPa/s ; et (iii)

nXL << nSTAT pour la série GDMgt à 1000 kPa/s.

(1) Série ATHO : nXL >> nSTAT. Dans la série ATHO, il y a un découplage indiscutable entre le nombre de bulles et le nombre de cristaux (Figure IV-19) : la densité numérique de bulles en régime stationnaire (2800 mm-3) est inférieure d'environ deux ordres de grandeur à nXL.

Figure IV-26. Densités numériques de bulles en fonction de la pression dans le système rhyolite-magnétite-H2O : (a) obsidienne Güney Dag ; (b) obsidienne ATHO. Les observations expérimentales (cercles : 1000 kPa/s ; triangles : 27.8 kPa/s ; symbole vides : absence de nucléation) sont comparées aux prévisions théoriques (traits épais, continus pour 1000 kPa/s et tiretés pour 27.8 kPa/s). Les courbes théoriques sont composées de deux segments : (i) le segment à forte pente à droite correspond à l'événement de nucléation tel qu'il est prévu par la théorie classique de nucléation ; et (ii) le segment horizontal correspond au régime stationnaire en n3D calculé avec l'équation III.16 (Toramaru, 2006). Nous considérons que, du fait du volume de nos échantillons, la nucléation n’est pas détectable en dessous de n3D = 1 mm-3 (zone grisée).

Qualitativement, le système semble donc fonctionner conformément au modèle de Toramaru (1995, 2006), même s'il n'y a pas un bon accord quantitatif entre les densités numériques de bulles théoriques et expérimentales. La cinétique de dégazage est le résultat de la compétition entre trois principaux processus : (i) la décompression qui tend à augmenter le degré de sursaturation en eau dans le liquide ; (ii) la croissance diffusive des bulles qui a l'effet inverse ; et (iii) la nucléation des bulles qui a pour effet de réduire la distance moyenne entre les bulles et donc la distance caractéristique de diffusion des molécules d'eau. Au cours de la décompression, le nombre de bulles augmente d’abord rapidement, ce qui se traduit par une diminution de la distance que doivent parcourir les molécules d’eau pour "nourrir" les bulles. Lorsque cette distance est assez courte, la diffusion vers les bulles en cours de croissance est suffisamment efficace pour maintenir le degré de sursaturation en eau dans le liquide en dessous de la valeur requise pour la nucléation des bulles, d’où l’arrêt de la nucléation. Dans le cas de la série ATHO, on constate que la nucléation s’arrête alors que seulement 1-2 % de la totalité des sites de nucléation disponibles ont été utilisés. Là encore, j’insiste sur le fait que l’arrêt de la nucléation ne signifie pas que la teneur en eau dans le liquide a partout atteint la valeur d’équilibre : elle est simplement partout ≤ 0.5-0.6 % pds, la valeur requise pour la nucléation des bulles dans la série ATHO.

(2) Série GDMgt à 1000 kPa/s : nXL << nSTAT. Dans cette série, on observe d'abord une phase transitoire avec nucléation hétérogène des bulles, à PL ≈ 185 MPa. Cependant, compte tenu du taux de décompression élevé, le nombre maximum de bulles qui peuvent être formées par nucléation hétérogène, ≈ 300 mm-3, n'est pas suffisant pour empêcher une augmentation importante du degré de sursaturation en eau dans le liquide loin des bulles. Au cours de la décompression, on voit donc la nucléation gagner progressivement l’ensemble de l’échantillon jusqu'à produire à PL ≤ 150 MPa une distribution uniforme des bulles avec une densité numérique stationnaire de 13400 mm-3. Malheureusement, nous n'avons pas pu identifier avec certitude le mécanisme de nucléation à l'origine de cette très forte densité numérique de bulles : nucléation homogène, comme le suggère l'absence de microcristaux de magnétite au contact de la très grande majorité des bulles, versus nucléation hétérogène, plus en accord avec les très faibles degrés de sursaturation impliqués (30-40 MPa). On envisage, à titre d’hypothèse de travail, que l’élimination de la phase de fusion à haute température (T = 1000°C) dans la préparation des verres de départ a permis la persistance dans le bain magmatique d’amorces cristallines ou d’autres formes d’hétérogénéités à l’échelle

microscopique : on aurait donc une forme de nucléation hétérogène mais sans substrats visibles macroscopiquement.

(3) Série GDMgt à 27.8 kPa/s : nXL ≈ nSTAT. Dans cette série, la densité numérique de bulles atteint une valeur stationnaire égale à 270 mm-3 dès PL = 179.6 MPa. On s’est appuyé sur cette valeur pour estimer la densité numérique de cristaux dans les verres de départ des séries GDMgt : nXL ≈ 300 mm-3 (Cf. section IV.1.1.3). Dans l’échantillon trempé à 140 MPa, la sursaturation moyenne en eau loin des bulles (∆CH2O ), 0.5 % pds, est supérieure à la valeur critique requise pour la nucléation hétérogène : 0.15 % pds. Les zones les plus sursaturées en eau doivent être dépourvues de cristaux de magnétite, ce qui expliquerait l’absence de nucléation malgré des valeurs de ∆CH2O > 0.15 % pds. On peut donc conclure que dans cette série, et dans celle-ci seulement, la densité numérique de bulles est contrôlée par la densité numérique de cristaux. Compte tenu du taux de décompression relativement lent, les degrés de sursaturation qui sont atteints loin des bulles restent modestes et ne sont pas suffisants pour activer un mécanisme autre que la nucléation hétérogène sur les cristaux de magnétite : c’est une différence fondamentale avec la série à 1000 kPa/s.