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De la demande initiale aux questions de recherche, à la problématique et à la proposition

PARTIE III : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE ET HYPOTHÈSES SOUTENUES

1. De la demande initiale aux questions de recherche, à la problématique et à la proposition

à la proposition d’un modèle

En 2012, la directrice des ressources humaines de la branche Courrier ainsi que la responsable prévention, en accord avec la CNSST, se questionnent sur l’absentéisme et la pénibilité. À cette époque, le taux d’absentéisme de cette branche se situe entre 6% et 7%. La branche Courrier de La Poste reconnaît que « pour le personnel féminin », des « augmentations de réduction d’aptitudes, de stress, de RPS étaient constatées » et souhaite traiter le sujet en l’appréhendant autrement : « l’absentéisme au regard du genre ». La DRH et la responsable prévention font donc appel à l’Anact et expriment leur souhait de travailler en collaboration avec un laboratoire de recherche. Lors de mon master 2, un stage réalisé à l’Anact a permis de récolter de nombreux éléments, à la fois grâce à une analyse issue des systèmes d’information de La Poste sur l’absentéisme selon le sexe et d’autres variables au niveau national et au niveau de la DSCC, mais aussi grâce à des entretiens exploratoires avec des managers, des préventeurs et des syndicats afin de prendre en compte leurs attentes et leurs points de vue sur le sujet, à savoir « pourquoi les femmes sont plus absentes que les hommes ?».

En plus de ces premières informations récoltées, d’autres éléments ont permis le cheminement de notre questionnement. Le métier de facteur était à l'origine un métier exclusivement masculin. Le concours a été ouvert aux femmes en 1970, et actuellement, on compte quasiment autant de femmes que d’hommes (en 2016, 46% de femmes dans la branche Courrier). L’arrivée des femmes dans le métier s’est faite quasiment sans heurts, malgré quelques pratiques sexistes qui ont existé et perdurent parfois encore. Cependant, le changement n’a pas nécessairement été pensé en prenant en considération l’arrivée des femmes, qui ont dû se faire une place dans un métier masculin. L’organisation a été construite sur des normes masculines (Acker, 1990), pour un agent « normal » c’est-à-dire plutôt un homme autour de 30 ans. La branche Courrier, qui est devenue la branche Service-Courrier-Colis en 2014, a signé en juillet 2015 un « accord social relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes de La Poste ». Cet accord comporte de nombreuses bonnes intentions, mais se limite au périmètre des ressources humaines (recrutement et mixité emploi, rémunération, temps

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partiel…). Il n'inclut aucun élément sur l’organisation du travail. L’hypothèse consiste à dire que l’organisation serait construite pour un salarié moyen, dans une approche égalitaire, et pourrait donc créer des inégalités si elle ne prend pas en compte tous les éléments. Selon Bouville (2014), ce sont principalement une organisation du travail et des conditions sexuées qui expliquent des différences d’absentéisme entre les femmes et les hommes. Pour l'auteur, il serait intéressant de mener une étude dans une organisation mixte. La partie théorique a permis de se rendre compte qu’il existait de nombreuses études sur les différences entre les femmes et les hommes au travail. Cependant les chercheurs se sont plus particulièrement intéressés aux métiers féminins. Il existe quelques études sur les métiers où les femmes et les hommes ont le même intitulé d’emploi mais où les auteurs ont mis en évidence que les femmes et les hommes ne sont pas affectés aux mêmes activités (Byrnes et al., 1999; Fortino, 2009; Laperrière et al., 2006; Løkke et al., 2006; Mastekaasa & Melsom, 2014; Messing, 1996; Morrongiello et al., 2000; Voss et al., 2001). Cette thèse se propose d’observer les différences entre les femmes et les hommes dans un même métier et surtout qui réalisent les mêmes tâches. Certes, nous disposons de beaucoup de données avec les travaux de la DARES, mais il s’agit surtout des données chiffrées, et non pas de données précises sur le métier. En effet, les seules données statistiques, ne permettent pas d’approfondir l’analyse. Ce travail de thèse permet donc d’aller creuser plus en détail sur un métier avec un effectif assez important. La Poste est certes un cas parmi tant d’autres, mais il peut nous permettre de comprendre comment se construit la différenciation au sein d’un même métier. Le rapport de la Cour des comptes (Cour des comptes, 2016) met en exergue les taux d’absentéisme élevés pour les facteurs et les factrices (7,6 % en 2014) et la hausse de ce taux depuis 2010 (+7%). Ce rapport montre que l’absentéisme est coûteux pour l’entreprise et qu’il s'élève à un montant de 243 millions d’euros par an pour la distribution, une somme plus élevée que le coût de l’ensemble des véhicules utilisés par La Poste. Toujours selon ce rapport, un jour d’absence en moins par an et par facteur ou par factrice permettrait d’économiser environ 20 millions d’euros. La question de recherche que nous nous posons consiste à s'interroger sur la manière dont un métier devenu progressivement mixte peut générer des inégalités de santé entre les femmes et les hommes en raison de son organisation du travail, de son évolution économique ainsi que de ses éléments relatifs au contexte psychosocial.

Considérant l’organisation de travail, le contexte socio-économique et le contexte psychosocial comme des éléments essentiels à la construction de la santé des femmes et des hommes au travail, nous posons la problématique suivante : l’absentéisme différencié des

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femmes et des hommes est a priori la conséquence de certains aspects de l’organisation du travail non pensés suffisamment en amont prenant en compte toutes les caractéristiques des femmes et des hommes. Cependant, l’évolution économique de l’activité ainsi que le contexte psychosocial peuvent également constituer des éléments explicatifs de cet absentéisme.

Cette problématique issue de nos lectures et des éléments relatifs à la reformulation de la demande nous a permis de construire une proposition de modélisation des causes différenciées de l’absentéisme des femmes et des hommes (cf. ci-dessous). Notre clef d’entrée, qui représente aussi une conséquence, réside dans l’absentéisme différencié des femmes et des hommes. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, plusieurs études mettent en évidence que même si les femmes prennent mieux soin de leur santé que les hommes et sont plus conscientes de leurs conditions physiques que les hommes (Fried et al., 2002), elles sont plus absentes (Inan, 2013; Løkke et al., 2006; Mastekaasa & Melsom, 2014; Parent-Thirion, 2012; VandenHeuvel & Wooden, 1995). Cet absentéisme est lié au fait que les effets du travail sur la santé sont différents pour les femmes et les hommes. Les femmes sont plus touchées par les TMS que les hommes (Kilbom & Messing, 1998; Laberge & Caroly, 2016; Mauroux, 2016; Probst & Salerno, 2016) et les maladies professionnelles des femmes ont augmenté entre 2001 et 2014 de +158,3% contre +82,5% pour les hommes (Chappert & Therry, 2016). Les effets du travail sur la santé sont différents pour les femmes et les hommes parce que leurs conditions de travail peuvent être différentes (Leroyer, 2016; Mauroux, 2016; Messing, 2000; Vézina et al., 2016). Les différences de conditions de travail peuvent tout d’abord s'expliquer par une organisation du travail pensée sur des normes masculines en raison d’un héritage historique (Acker, 1990; Britton, 2000; Dugré, 2003; Gonik, Cardia-Voneche, Bastard, & Von Allmen, 1998). Cela peut avoir des répercussions sur les horaires qui ne sont pas les mêmes pour les femmes et les hommes (Enquête Conditions de travail de la DARES, 2013) et qui peuvent avoir un impact direct sur l’articulation des temps la division du travail (Cunha et al., 2014). L’organisation du travail construite sur des normes masculines a favorisé la division du travail et la répartition des tâches. En effet, les emplois et les tâches sont sexuées (Fortino, 2002; Le Feuvre, 2008; Maruani & Chantal, 1989; Ruault, 2015; Westberg, 1998) même à l’intérieur d’une profession similaire (Fortino, 2009; Fransson-Hall et al., 1995; Laperrière et al., 2006; Messing et al., 1994). Enfin cette organisation du travail s’appuie sur du matériel construit sur des moyennes ne prenant pas en compte la différence des sexes sachant que les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes caractéristiques biologiques que ce soit au niveau de la taille ou de la force physique (Chamberland et al., 1997; Côté, 2012; Kilbom & Messing, 1998; Laubach,

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1976; Messing, 2004; Plamondon et al., 2012). Cette différence de conditions de travail entre les femmes et les hommes peut également être causée par un contexte socio-économique qui renvoie à une évolution de l’activité (Algava, 2014; Davezies, 2004; Kieselbach, 2009; Paillé, 2012), et plus précisément à des réorganisations fréquentes (Cuvelier & Caroly, 2011) qui provoque plus d’anxiété pour les femmes (Parent-Thirion, 2012), une baisse du nombre de courriers et une hausse de celui des colis (Cour des comptes d’après données ARCEP et La Poste, 2016) ainsi que le développement de nouveaux services pour pallier cette baisse. La différence de conditions de travail des femmes et des hommes s'explique enfin par le contexte psychosocial. Tout d’abord parce que les femmes dédient plus de temps que les hommes au travail domestique ce qui peut engendrer une fatigue et un stress supplémentaire (Champagne et al., 2015; Fagan, 2015; Hall, 1992; Messing, 2010; Messing et al., 2016; Miranda, 2011). Ensuite parce que les femmes et les hommes n’ont pas le même rapport au travail (Baudelot & Gollac, 2003; Galerand & Kergoat, 2008; Méda & Vendramin, 2013) et les hommes prennent plus de risques que les femmes (Byrnes et al., 1999; Hill et al., 2000; Molinier, 2000). Enfin, comme le concours n’a été ouvert aux femmes que plus tardivement, l’entrée dans le métier peut être différente.

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