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PARTIE II : CONTEXTE DE LA RECHERCHE – LE SECTEUR POSTAL

2. Synthèse des différentes études réalisées à La Poste ayant permis la construction de notre

2.1.1 Étude préliminaire réalisée avec l’Anact

Lors d’un stage de master 2 à l’Anact, une étude préliminaire a été réalisée entre février et juin 2013. En effet, comme nous l’évoquions dans l’introduction, la branche Courrier de La Poste et plus particulièrement la directrice des ressources humaines et la responsable de la prévention ont fait appel à l’Anact afin de comprendre l’Absentéisme au regard du genre. C’est la Commission Nationale Santé et Sécurité au Travail (CNSST), qui est une commission paritaire, qui a porté ce projet. Cette instance a souhaité comprendre pourquoi au cours de l'année 2012, alors que les facteurs et les factrices exercent les mêmes métiers, les femmes ont été absentes 6 jours de plus que les hommes. Cette demande est intervenue à la suite d’un

Rapport de la Commission du Grand Dialogue Qualité de Vie au Travail Poste de septembre 2012, réalisé par Jean Kaspar. Dans le chapitre 2.2 portant sur les « Indicateurs Santé et Sécurité au Travail », un taux d’absentéisme pour maladie de 5,92% pour l’ensemble de l’entreprise est évoqué. Ce chapitre précise que « ce phénomène s’explique en grande partie par l’augmentation de l’âge moyen des agents, mais qu’une analyse plus fine des données disponibles montre l’influence du poste tenu, du genre (24 jours d’absence par agent pour les femmes contre 18,6 pour les hommes) et du métier d’appartenance ». La CNSST a fait cette demande afin de considérer l'absentéisme d'une autre manière. Lors de cette commission, ses membres sont partis du constat partagé que « l’absentéisme n’est pas que de l’absentéisme pour maladie ». Ceux-ci avaient déjà mis en place un plan d’action sur l’absentéisme et sur les accidents de travail, sans résultats. Ils ont donc voulu tester d’autres façons d’appréhender le sujet, tout en précisant que leurs métiers sont très exposés et que, par conséquent il serait intéressant de regarder l’absentéisme différemment.

Ce projet Absentéisme au regard du genre poursuivait donc deux objectifs. Il s'agissait tout d’abord de comprendre de manière plus approfondie les causes de l’absentéisme au regard du genre, puis de faire de la CNSST un véritable lieu de travail sur cette thématique. L’Anact a proposé une étude préliminaire afin de réaliser un état des lieux des attentes des différents acteurs sur le sujet (managers, préventeurs, syndicats). Ceux-ci travaillaient au niveau national ou au niveau local dans le but de construire un processus partenarial d’étude et d’intervention de terrain plus affiné. Cette étude préliminaire a permis de dresser un premier état des lieux

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quantitatif et qualitatif. L'aspect quantitatif a été pris en compte à partir d'une analyse issue des systèmes d’information de l’entreprise sur l’absentéisme selon le sexe et à partir d’autres variables au niveau national et au niveau de la DSCC. L'aspect qualitatif a été abordé grâce à des entretiens avec des managers, des préventeurs et des syndicats, afin de prendre en compte leurs attentes et leurs points de vue sur le sujet. Onze entretiens ont été réalisés au niveau national et treize au niveau de la DSCC. Au niveau national, quatre ont été réalisés avec la filière management, trois avec la filière prévention et quatre avec les organisations syndicales. Pour la DSCC, il y a eu trois entretiens avec la filière management, cinq avec la filière prévention et cinq avec les organisations syndicales.

Pour répondre à la demande de l'entreprise, l'Anact a modélisé quatre grandes causes d'absentéisme pouvant être en lien avec le travail. Nous nous appuyons donc au départ sur ce modèle. Ce modèle s’inspire du modèle genre (Chappert, 2013; Chappert & Therry, 2016) testé depuis 2009 ; il est composé des quatre hypothèses « genre et conditions de travail » qui expliquent les écarts femmes-hommes en termes de santé : l’organisation du travail, les conditions d’emploi et de temps, les contraintes de travail, la gestion des parcours. L’organisation du travail est en lien avec la répartition sexuée des activités et des emplois due aux stéréotypes et aux conditions de certains emplois. Les conditions d’emploi mettent en évidence une exposition différenciée des femmes et des hommes aux contraintes temporelles du travail et du hors travail. Les contraintes de travail font référence à l’invisibilité des compétences, de la pénibilité et des risques, notamment pour les emplois à prédominance féminine. La gestion des parcours renvoie aux pratiques et critères de gestion des ressources humaines qui conduisent à des parcours différenciés pour les femmes et pour les hommes.

Pour le modèle de l’absentéisme, l’Anact a repéré quatre grandes causes qui s’emboîtent dans les précédentes: les contraintes de travail, l’organisation du travail, le management et les ressources humaines, et l’articulation des temps. De ces quatre grandes causes découlent quatre hypothèses. Les contraintes de travail prennent en compte les conditions et l’environnement matériels, l’ergonomie des postes et des équipements par rapport au sexe entre autres, la pénibilité physique, mentale et émotionnelle mais aussi l’usure professionnelle liée à l’âge et la durée d’exposition. L’organisation du travail inclue les exigences de rythmes, de cadences et d’objectifs, la variation de charge et de planning, la répartition des tâches au sein des équipes et la fréquence et les modalités des réorganisations. Le management et les ressources humaines incluent l’engagement au travail, les règles et la régulation managériale, les possibilités de développement professionnel et la politique d’absentéisme. L’articulation des temps prend en

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compte la variabilité et la prévisibilité des horaires, les enfants ou parents à charges, le cumul des activités (domestique, emploi...) et le trajet domicile travail.

L’analyse issue des systèmes d’information de l’entreprise sur l’absentéisme selon le sexe a permis de mettre en évidence le fait que, quels que soient le niveau (national ou DSCC), le statut, la tranche d’âge, la tranche d’ancienneté, la situation familiale ou le nombre d’enfants à charge, les femmes ont toujours un Jour d’Absence par Agent (JAA) plus élevé que celui des hommes. Elles sont également surreprésentées dans les accidents au niveau national comme au niveau de la DSCC. De même, elles sont nettement moins satisfaites que les hommes dans les enquêtes de satisfaction. Nous avons également pu constater quelques disparités entre les résultats au niveau national et au niveau de la DSCC. Le JAA des femmes ainsi que l’écart de JAA entre les hommes et les femmes est légèrement plus élevé au niveau de la DSCC qu’au niveau national. L’Absence de travail pour maladie (ATM) des femmes au niveau de la DSCC a une durée d’environ un jour de plus qu’au niveau national (ATM F DSCC : 19,10 ; ATM F national : 18,08). L’Absence longue maladie (ALM) a une durée de 1,72 jour de plus (ALM F DSCC : 7,98 ; ALM F national : 6,26). L’absence de travail pour accident (ATA) au niveau de la DSCC est légèrement inférieure qu'au niveau national (ATA F DSCC : 4,08 ; ATA F national : 4,96). Nous savons que l’ALM est souvent lié à l’âge et à l’usure professionnelle. Le JAA des femmes, que ce soit en fonction du statut, de l’âge, de l’ancienneté, de la situation familiale ou du nombre d’enfants à charge, est la plupart du temps légèrement supérieur à l'échelle de la DSCC comparativement à l'échelle nationale. Nous retrouvons aussi des disparités au niveau de l’enquête de satisfaction. En effet, les femmes sont plus satisfaites au niveau de la DSCC qu’au niveau national : il y a 28 items où les femmes sont plus satisfaites que les hommes contre 23 items au niveau national.

Lors des entretiens, plusieurs éléments ont été mis en exergue : tout d’abord les poids qui pouvaient être excessifs, particulièrement pour les femmes. Ces dernières peuvent en effet être amenées à porter des objets de 30kg alors que le Code du travail stipule qu’elles ne peuvent porter des objets de plus de 25kg1. Nous avons également remarqué au cours des entretiens un manque de prise en compte du genre dans la définition des normes ergonomiques, que ce soit pour les machines, les équipements de protection individuels, ou encore pour les moyens de locomotion, inadaptés aux femmes. Les tailles des machines sont standardisées et correspondent à la taille moyenne d’un homme. Certains interviewés disent aussi que les

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femmes sont davantage victimes d’agressions à caractère sexuel et d’incivilités. Les personnes interrogées ont en outre évoqué des cadences trop élevées, un manque de prise en compte du travail réel dans le calcul de la charge de travail, ce qui engendre de la surcharge. De ce fait, elles vont prendre des risques, ce qui peut provoquer des accidents. Le métier de factrice et de facteur implique de passer une grande partie de la journée de travail à l’extérieur. Cela exige par conséquent une bonne condition physique, tout en étant soumis aux intempéries, en n'ayant pas nécessairement accès à des sanitaires. Les personnes interrogées ont par ailleurs évoqué le nombre important d’agents ayant des restrictions d’aptitude et surtout le manque d’intégration dans l’organisation de ceux-ci. De plus, les réorganisations fréquentes provoquent des inquiétudes, de la méfiance mais aussi un sentiment d’insécurité, en particulier pour les femmes. Ces entretiens ont permis de mettre en évidence une forte pression des ressources humaines liée à la politique de présentéisme de l’entreprise, mais aussi un management en souffrance faisant parfois preuve de maladresse dans la communication avec les salariés. La règle de l’ancienneté est en outre très présente, que ce soit pour le choix des congés ou pour celui des tournées, ce qui peut pénaliser les femmes, présentes depuis moins longtemps dans l’entreprise. Les femmes perçoivent un manque d’équité dans la répartition des tournées et surtout dans la durée et la difficulté de celles-ci. Elles se retrouvent parfois même sur des positions de travail n’ayant pas grand intérêt. Les personnes interrogées ont largement évoqué la formation des agents nouveaux arrivants, qui de manière générale sont formés pendant trois jours avant de partir seuls en tournée. Selon ces personnes, le nombre de jours de formation est trop faible. Dans les entretiens, le cumul avec les exigences de la vie familiale a également été évoqué : les femmes réalisent une vraie double journée. Elles font leur tournée le matin et s’occupent des tâches domestiques et familiales l’après-midi. Les horaires de travail peuvent également poser problème, car les horaires matinaux sont plus ou moins favorables à la conciliation des temps. De plus, le fait de travailler six jours sur sept est très difficile, surtout pour les femmes : le métier est physique, et elles ont du mal à récupérer. Nombre d’entre elles se mettent à temps partiel pour tenir et ce, malgré la faible rémunération. La variabilité des tournées provoque de nombreuses difficultés chez les femmes, particulièrement pour la garde d’enfant.

Au cours des entretiens, nous avons recueilli plus de données au niveau local qu’au niveau national. Nous avons surtout obtenu des représentations moins stéréotypées à l'échelle de la DSCC. Cela peut s'expliquer par le fait qu’à ce niveau, les personnes interrogées sont beaucoup plus proches du terrain. Nous avons également remarqué des différences parmi les acteurs : les managers avaient moins d’éléments à donner que les préventeurs ou les syndicats.

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Lors de la restitution, que ce soit au niveau national ou au niveau de la DSCC, nous avons pu constater que les personnes interrogées n’avaient pas forcément conscience d’un absentéisme aussi élevé. Elles savaient que leur entreprise avait des taux d’absentéisme forts, mais ne connaissaient pas les écarts entre l’absentéisme des femmes et celui des hommes. Cela s’est surtout révélé au niveau national, probablement à cause de l’éloignement du terrain. Au niveau de la DSCC, les personnes étaient plus conscientes de ces chiffres, et notamment du fait que les femmes se mettent à temps partiel pour tenir face aux contraintes de travail.

Cette étude préliminaire nous a permis de faire ressortir plusieurs idées intéressantes permettant la construction de notre problématique. D’autres études déjà réalisées en France ont également contribué à la problématisation du sujet.