Études de chercheurs sur La Poste française

De nombreux chercheurs issus de disciplines diverses ont réalisé des études sur La Poste sur différents sujets. Dès les années 1990, Bertaux-Wiame (1999) constate une relative négativité de la dimension sexuée à La Poste, et cela grâce à la mixité de l’espace de travail et au recrutement non sexué des agents. L’auteure se demande cependant dans quelle mesure les rapports sociaux de sexe peuvent être mis à l’œuvre dans des situations où ils sont très peu visibles, et les risques que cela peut engendrer. Elle va même plus loin en se demandant si La Poste ne serait pas un lieu où la domination masculine n’existerait plus. Samzun (2007), à l’inverse, montre que cette domination masculine est toujours présente. Il spécifie que le concours s’est ouvert aux femmes en 1974 à la suite d’une pénurie de main-d’œuvre liée au vieillissement de la population des facteurs. Ceux-ci ont alors perçu cette arrivée comme inconcevable, et ce pour deux raisons. Ils craignaient tout d’abord que les femmes ne mettent en évidence les pratiques peu admises de la profession, mais ils pensaient également que laisser une femme seule dans une rue constituait une transgression. Même si le métier est actuellement considéré comme mixte, la domination masculine est toujours présente, et les femmes ont dû se faire une place dans un métier masculin.

D’autres chercheurs se sont intéressés plus spécifiquement aux conditions de travail des facteurs et des factrices. Clot, Scheller, Caroly, Millanvoye, & Volkoff (2000) ont montré l’existence de stratégies, consciente ou non, de contournement et de compensation de la part des agents, pour arriver à réaliser une tâche. Ils ont analysé à la fois les travaux intérieurs et les travaux extérieurs et ont mis en évidence les nombreux gestes répétitifs lors du travail de tri

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général. En effet, selon les auteurs, les agents effectuent un mouvement du poignet toutes les deux secondes, ce qui équivaut à 4000 fois par jour travaillés. Parfois même, ces gestes répétitifs sont réalisés dans des positions en déséquilibre afin de suivre les cadences. Les auteurs évoquent ensuite les travaux extérieurs. Selon eux, le départ en tournée est vécu comme une libération, même si les conditions de travail sont parfois pénibles. En effet, ils ont observé lors de tournées à vélo que le franchissement de trottoirs provoque des secousses, que les factrices et les facteurs doivent avoir le cou en extension afin de bien visualiser l’itinéraire, les boîtes aux lettres et les obstacles. De plus, selon la taille de l'agent et le type de tournée, les facteurs ou les factrices peuvent adopter des postures délétères pour la santé. Les auteurs montrent alors que pour palier la pénibilité, les facteurs et les factrices se créent des marges de manœuvre. Demazière & Mercier (2003) développent toutes les caractéristiques du métier. Ils commencent par mettre en opposition deux visions du métier de facteur et de factrice. Ils exposent tout d’abord une première vision en lien avec la répétition des tâches, la manutention de charges lourdes ou la pénibilité physique du travail à l’extérieur qui se rapproche plus du secteur ouvrier. Puis ils évoquent une deuxième vision, plus en lien avec le contact avec le client, qui implique une activité de service et qui se rapproche plus des métiers de service. Après avoir développé cette opposition, les auteurs mettent en évidence l'idée que le travail des factrices et des facteurs est en lien direct avec leur tournée. La situation est effectivement très différente, que l'on distribue du courrier dans des immeubles où il y a des batteries de boîtes aux lettres, dans des maisons individuelles, dans des lotissements ou encore dans des rues piétonnes. Le moyen de locomotion peut en outre avoir une forte influence sur la tournée. Ce ne sont néanmoins pas seulement les caractéristiques territoriales et les moyens de locomotion qui vont générer des différences dans le travail des facteurs et des factrices, mais ce sont aussi les relations et les liens qu’ils tissent avec leurs clients. Pour éviter que les différences entre les tournées ne soient trop fortes, La Poste essaye d’égaliser la charge de travail en évaluant le temps nécessaire à la distribution du courrier pour chaque tournée. La plupart du temps, la dimension relationnelle est mise de côté et n'est pas prise en compte dans le calcul de la charge de travail, alors que pour la factrice et le facteur, elle est au cœur de son métier. Les auteurs évoquent aussi la vente des quartiers, point essentiel du métier des facteurs et des factrices, et plus particulièrement le fait que les personnes avec le plus d’ancienneté se retrouvent dans les situations les plus attrayantes et les plus jeunes sur les postes les plus difficiles, des postes de rouleur, souvent confrontés à des conditions de travail difficiles. Les auteurs mettent en exergue une forte ségrégation qui peut exister entre les titulaires et les non titulaires de tournées car pour tous les

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agents qu’ils ont rencontrés, être factrice ou facteur signifie avoir sa propre tournée. Il peut cependant y avoir une certaine forme d’entraide de la part des titulaires, qui tiennent un « cahier de tournée » contenant des informations facilitant le travail du rouleur et consignant des trucs et astuces sur sa tournée. Les nouveaux agents n’ont pas encore toutes les habiletés requises pour le métier de facteur et de factrice, qu’ils vont acquérir grâce à l’expérience. Ils risquent cependant d’être confrontés à des situations imprévisibles et parfois difficiles à gérer. Lors de la vente des quartiers, le rouleur peut se positionner sur plusieurs tournées afin « d’acheter » le plus rapidement possible une tournée. Il va essayer par la suite d’obtenir la tournée qu’il convoite depuis le début. Pour les factrices et les facteurs, les préférences de tournées peuvent diverger selon le moyen de locomotion, le type d’habitation, la durée de la journée de travail ou encore le volume des « étrennes ». En effet, certains facteurs et certaines factrices vont choisir d’acheter une tournée pour les bénéfices qu’ils vont faire avec la vente des calendriers. Pouvoir acquérir une tournée jugée bonne par le facteur ou la factrice est un enjeu central dans le déroulement de leur carrière. À partir de ce moment-là, le facteur ou la factrice va pouvoir aménager sa tournée comme il le souhaite, selon sa propre conception du métier.

Demazière & Mercier (2003) ont réalisé une étude assez complète permettant de comprendre le métier de factrice et de facteur, les enjeux qui l'entourent, et la manière dont il est organisé. D’autres chercheurs se sont plutôt intéressés aux conséquences sur la santé du métier de factrice et de facteur et plus particulièrement aux troubles musculo-squelettiques que ce métier peut engendrer. Berquez-Doise, Leroyer, Frimat, & Werhly (2002) ont réalisé une enquête pendant 6 mois sur 393 facteurs et factrices (114 femmes et 279 hommes) avec l’aide de médecins du travail de La Poste. Leurs résultats montrent que 46.3% des agents (182), dont 51.8% de femmes et 44.1% d’hommes, ont souffert de lombalgies au cours des douze derniers mois. Lorsque la douleur peut être en lien avec le travail, plusieurs origines sont évoquées : le levée de charge (57.7%), les faux mouvements (37.4%), le changement de temps (33.5%), les véhicules mal adaptés à l’activité postale (22.0%) et la position debout prolongée pendant le tri (24.2%). Les agents ayant des tournées en voiture et souffrant de lombalgies dénoncent pour 59.1% les montées et les descentes fréquentes du véhicule. Onze ans plus tard, Hocine et al. (2013) ont réalisé une étude sur les troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs. Ils ont bien précisé qu’à La Poste, les TMS constituent un enjeu majeur car cette pathologie représente pratiquement 90% des déclarations chez les agents du courrier et du colis. De plus, un tiers des agents ayant des troubles musculo-squelettiques doit être reclassé. Les auteurs ont montré que sur les 703 cas de troubles musculo-squelettiques, 45% touchent l’épaule, 24% le

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coude, 28% le poignet et 3% d’autres localisations. Selon eux, les 3 postes de travail associés à un risque élevé de troubles musculo-squelettiques sont le tri manuel, la distribution en vélo et le tri sur machine. Leur analyse montre que les femmes ont trois fois plus de risque de souffrir de troubles musculo-squelettiques que les hommes.

Cuvelier & Caroly (2011) se sont plutôt intéressées au processus de modernisation auquel La Poste fait face actuellement. Les auteures précisent que ce processus, engagé par La Poste pour faire face à la concurrence depuis le début des années 1990, a engendré des réorganisations du traitement du courrier, des délocalisations, des restructurations des plateformes de tri et une automatisation de la production. De fait, les opérateurs ont vu leur activité transformée, ils ont dû développer des compétences nouvelles, ce qui peut avoir un impact sur leur santé. Selon les auteures, toutes les personnes rencontrées décrivent ce métier comme un métier physique et difficile. Dubar, Demazière, Guardiola, & Mercier (2001) évoquaient déjà ce phénomène, tout en précisant que malgré la liberté générée par les travaux extérieurs, ceux-ci restent la partie la plus pénible du métier. Nous assistons aujourd'hui à un allongement du temps des travaux intérieurs, ce qui peut générer plus de pénibilité.

Toutes ces études sur La Poste française ont permis d'apporter soit des éléments nouveaux, soit la consolidation d’éléments déjà existants, ce qui nous aide dans la construction de notre problématique. Il est en outre enrichissant de s’intéresser aux études réalisées sur La Poste à l’étranger, afin de voir si des éléments nouveaux ou concordants intéressants sont avancés pour l’élaboration de notre problématique.