• Aucun résultat trouvé

La dévalorisation du droit lombard

Malgré la grande activité juridique de Frédéric II, que les Angevins ne rejetèrent pas puisque les Constitutiones Regni de l’empereur formaient un élément essen- tiel du jus proprium du Royaume, sans cesse enrichies de gloses par les juristes de l’université de Naples dans la première moitié du  siècle ², un effort singulier fut porté sur la définition de la place du droit romain dans l’équilibre des diffé- rents droits en vigueur. Rien de surprenant a priori : il faut se rappeler qu’en plein  siècle, Pietro Giannone n’hésitait pas à considérer que le droit lombard constituait encore la base du jus commune et que le droit romain n’était appliqué que de manière subsidiaire ³. Or, il apparaît évident que cette situation de plura- lité des sources normatives, quand bien même n’aurait-elle guère évolué entre les Souabes et les Angevins, suscite chez les juristes au service de ces derniers des appré- ciations nettement plus critiques. Il n’est pas question ici de mesurer les progrès réels d’une éventuelle romanisation des pratiques judiciaires, dont on sait qu’elle ne suit pas un courant linéaire ⁴ ; plutôt il importe de remarquer l’apparition d’un discours fermement anti-lombard chez les universitaires et les membres de l’entourage royal.

. Il est singulier que les juristes napolitains aient presque complètement négligé de se pencher sur le régime juridique de la Provence. Probablement, le caractère de terra imperii de la région devait- il laisser supposer que le droit romain y régnait sans concurrence. Pour un examen de la question, à partir d’un thème particulier, voir G. G, « ualitas illata per principatum tenentem. Droit nobiliaire en Provence angevine (- siècle) », dans N. C & J.-M. M (éd.), La

noblesse dans les territoires angevins, Rome, , p. -. L’auteur fait remarquer que les Angevins,

si actifs dans la législation féodale en Italie, n’ont pratiquement pas pris d’ordonnance parallèle pour la Provence (p. ). Du même, voir aussi « Arma legesque colo. L’État et le droit en Provence (- ) », dans L’État angevin, op. cit., p. -, qui contient d’importantes remarques sur les législations angevines de part et d’autre des Alpes.

. G. G, Il regno di Napoli. Il Mezzogiorno angioino e aragonese (-), Turin, , p. -. Il faut souligner que ni les constitutions impériales souabes, ni le droit lombard n’eurent droit de cité dans les programmes scolaires du studium napolitain qui se voulait un haut lieu de la civilistique romaine et un concurrent direct de Bologne ; tout au plus peut-on conjecturer des lectures « privées » de certains maîtres sur le Liber augustalis, telle celle de Marino De Caramanico, lequel ne fut jamais docteur régent : E. C, Il diritto nella storia medievale. II. Il basso Medioeo, Rome, ², p. .

. G. G, op. cit., p. .

. Pour un cas d’espèce révélateur de l’enchevêtrement des droits et de leur pérennité, voir P. D S, Romani, Longobardi e Normano-Franchi negla Puglia nei secoli -, Naples,

 D,    ...

Les juristes d’époque souabe avaient eu à se confronter au droit lombard et l’un des plus célèbres d’entre eux, Carlo De Tocco au début du  siècle, formé à l’école de Plaisance, mais qui rédigea sa glose à la Lombarda à Bénévent vers -, chercha à faire rentrer les principes du droit lombard dans ceux du droit romain, au motif que « leges legibus concordare promptum est ¹ » : une voie de conciliation donc. C’est avec Andrea Bonello (Andrea De Barulo), professeur de droit civil au

Studium de Naples entre  et  que prend naissance un genre caractéristique

de la culture juridique méridionale : le De differentia inter ius Longobardorum et

ius Romanorum ². Déjà alors que sous Frédéric II, le droit lombard se voyait recon-

naître le titre de droit commun à parité avec le droit romain (constitution Purita-

tem ³), Bonello commence dans la préface de son ouvrage à déplorer « que par une

coutume invétérée dans ce royaume de Sicile, celui-ci déroge au droit romain ». Il considère cependant que ce droit lombard n’est qu’un jus speciale aux regards de son concurrent. L’objectif est clairement, mais sereinement, de réduire le droit lombard à une anomalie résiduelle : une fois les differentiae entre celui-ci le droit romain éta- blies, il ne ferait aucun doute que les rémanences lombardes, réduites au statut de coutumes finiraient par tomber en désuétude : « Il sera superflu d’étudier le droit lombard puisque après avoir relevé tous les cas où ledit droit déroge au romain, un

jus commune demeurera ferme et immuable dans toutes les autres circonstances ⁴. »

. Voir aussi G. D’A, « Una falsa continuità : il diritto longobardo nell Mezzogiorno », dans Per Francesco Calasso. Studi degli allievi, Rome, , p. -.

. Carlo D T, In Leges Longobardorum, II, ,  gl. Quicumque. Voir aussi F. C,

Introduzione al diritto commune, Milan, , p. . Sur Carlo, voir la notice de G. D’A dans

le D.B.I., , , p. .

. Des informations sur sa vie dans le D.B.I., , s.v. Bonello, par F. L, , p. -. Voir aussi L. V, Della vita e delle opere di Andrea Bonello Da Barletta, reprint Jovene, Naples, .

. Constitutiones utriusque regni Sicilie, lib. I, tit. , Lyon, , p.  : « pure et sine aude, non

amore, non odio, non praece, non precio, nec timore, omnibus conquerentibus absque personarum excep- tione, prompto zelo justiciam ministrare curabunt secundum constitutiones nostras et in defectu earum consuetudines approbatas, ac demum secundum jura communia, Langobarda videlicet et romana ». Sur

l’application de ces lois lombardes, véritable quaestio vexata de l’historiographie juridique méridio- nale, voir F. C, « La const. “Puritatem” del Liber Augustalis e il diritto comune nel Regnum

Siciliae », dans Id., Introduzione al diritto comune, Milan, , p. -.

. Andrea D B, Commentaria in Longobardorum leges, dans Leges Longobardorum cum

argutissimis glosis Caroli de Tocco, Venise, , rééd. anast., Turin, , avec une préface de G. Astuti,

p.  : In Longobardorum leges, proemium : « et quasi superfluum erit in jure longobardo studere,

postquam notaverim casus omnes in quibus dictum ius longobardorum a iure Romano discordat, cum in caeteris aliis tamquam immutatum et firmum remaneat ius commune ». À remarquer que l’ouvrage dut

paraître à ce point intéressant qu’il fut attribué au  siècle à Bartole et même édité au  dans les œuvres de ce juriste : A. E, « Due trattati attribuiti a Bartolo : il De tabellionibus e Contrarietates

juris civilis romanorum et iuris longobardorum », dans Bartolo da Sassoferrato. Studi e documenti per il VI centenario, Pérouse, , II, p. -.

C       A... 

Pourtant, et de manière symptomatique, Andrea Bonello affirme avoir rédigé son ouvrage à la suite d’un épisode douloureux à ses yeux : en effet, il venait d’assister à un procès où s’opposaient un grand avocat napolitain et un vulgaire adocatellus ; or, alors que l’optimus adocatus avait prononcé sa plaidoirie à grand renfort d’allé- gations « romanistes », le petit avocat sorti de sous son manteau un exemplaire des lois lombardes qu’il tenait caché et opposa des contrarietates au droit romain telles que le grand avocat demeura igidus et verecundus et qu’il perdit la cause. C’est afin de remédier à cette déplorable situation que Bonello décida d’entrer en jeu par son traité ¹. En tout état de cause, l’université de Naples n’offrait pas de cours de droit lombard ; tout au plus, et à l’instar de ce qui se faisait à Bologne, se tenaient des leçons sur les Libri feudorum intégrées dans l’étude du Volumen ².

Il est difficile d’assigner en propre aux Angevins la volonté de « délombardiser » le jus regium, les preuves manquent à ce sujet. Mais on ne peut que constater cette émergence, concomitante de l’arrivée de la nouvelle dynastie, d’un filon qui va trou- ver un premier apogée avec Biagio da Morcone, dans une œuvre homonyme : De dif-

ferentiis inter ius Longobardorum et ius Romanorum, rédigée vers - ; formé

à Naples, puis appelé sous Robert consiliarium, capellanum et familiarem du roi ³, l’auteur dresse un tableau exhaustif des discordances entre les deux droits, tout en accordant une place suréminente au droit romain. Ni Bonello ni Biagio ne se lan- çaient dans une critique ad hoc du droit lombard : tous deux remarquaient cepen- dant la supériorité de la romanité juridique sur les restes encore vivaces des tradi- tions lombardes. C’était déjà une attitude indicative puisque après tout la Consti- tution Puritatem de Frédéric II plaçait, dans la hiérarchie des principes juridiques à appliquer, en première position le droit royal ou impérial, puis le droit lom- bard, enfin le romain ⁴. uoique ces deux derniers aient reçu l’appellation de jura

. Id. : « Vidi enim sepe magnos adocatos in iure Romano valde expertos verecundatos a minimis

adocatis ius Longobardorum scientibus. Et precipue nuper quadam die in foro contentioso manerem quidem optimus adocatus dum multa in iure Romano pro suo clientulo allegasset. Surrexit ex altera parte quidam adocatellus et ostendit ius Longobardorum in contrarium iudici quod subtus capam tene- bat absconsum. Et sic adocatellus in causa obtinuit. Nam in casu illo ius Long. Discordat a iure Romano. Ille autem magnus adocatus remansit igidus et verecundus videns se ab impari et tam de facili supera- tum. Et ius Romanum sibi non proderat allegare cum esset sibi contrarium Longobardum. Ex illa hora cepi in animo meo cogitare hoc opusculum. »

. À titre indicatif, voir Andrea D’I, In usibus feudorum, Lyon, , Prael. feud. n.  :

« tempore cuius non est memoria fuit hic liber [i.e. libri feudorum] in studiis generalibus lectus et glosatus per patres et maiores nostros sicut alii libri legales » ; G. D’A, Indagine sulla transazione nella dottrina intermedia con un appendice sulla scuola di Napoli, Milan, , p. .

. D.B.I., , , p.  : article de R. A.

. Sur les implications de cette hiérarchie, M. B, « Federico II, lo Studium a Napoli e il diritto comune nel Regnum », Rivista italiana di diritto comune, , , p. -. Sur la réalité de la hiérarchie (leges, statuts, coutumes) depuis les Normands jusqu’aux Aragonais, à l’échelle des villes, voir G. V, « Riflessioni sull’ordinamento cittadino del Mezzogiorno continentale », Ibid., p. -.

 D,    ...

communia, l’énoncé frédéricien plaçait le droit lombard avant le droit romain. Pour-

tant, à une époque voisine de Biagio da Morcone, plusieurs autres juristes de haut vol allaient tenir des propos nettement plus offensifs : il s’agit de Barthélémy de Capoue, d’Andrea D’Isernia et de Lucca De Penne, trois des intellectuels les plus féconds de la culture angevine, bien qu’il ne s’agisse pas exclusivement de juristes du Studium napolitain, mais plutôt de praticiens du droit au service des monarques (Barthélémy de Capoue, logothète du royaume, n’y a enseigné que peu de temps ; Lucca De Penne (c. -), malgré ses admirables Commentaires aux Trois der- niers livres du Code se verra toujours fermée la carrière académique, et exercera essentiellement des activités judiciaires (juge de la Magna Curia), Andrea D’Iser- nia était maître rational autant que doctor regens ¹).

Lucca De Penne est assurément un des auteurs les plus intéressants pour notre sujet : plus qu’un autre, Lucca s’est lancé dans le commentaire des Trois derniers livres du Codex, c’est-à-dire des livres qui portent sur les questions de droit public et qui ne furent guère commentés avant lui ² ; c’est ainsi que comme tous ses collègues, il eut à affronter cette question de la dualité des droits communs ³. Comment deux droits peuvent-ils être déclarés « jus commune » simultanément ? Si Frédéric a pris soin de hiérarchiser ainsi les droits, le droit romain mérite-t-il encore d’être appli-

. Sur les années d’enseignement, voir G. M. M, op. cit., p.  : Barthélémy enseigna de  à  ; Andrea D’Isernia de  à  ; l’enseignement de Luca de Penne n’est pas documenté par Monti.

. Ce n’est pas un hasard si Andrea Barulo écrivit aussi des Commentaria super tribus postremis

libris Codicis ; ces trois derniers du Code représentaient un bel exemple de textes de nature politique

que les juristes bolonais avaient quelque peu négligés jusqu’alors. La culture juridique des « Napoli- tains » à la fois formés à la rigueur scolastique et à la pratique judiciaire les orientait vers ces Tres Libri qui ouvraient les horizons du droit public. Par un singulier rapprochement, l’intérêt porté à ce droit public impérial trouvait un complément dans l’examen du droit féodal : par exemple, la question de l’emphythéose des terres fiscales pouvait se mettre en relation avec les tenures féodales. Ce n’est certai- nement pas par hasard que les traditions manuscrites de sources juridiques montrent que les Tres libri sont commentés (et « édités ») avec les Libri feudorum, et cela dès Pillio de Medici (fin  siècle), véritable instaurateur de l’étude du droit féodal dans le cursus universitaire : E. C, op. cit., p. -. Des remarques générales chez M. C, « Lucca Da Penne e i giuristi abruzzesi », dans Id., La monarchia meridionale. Istituzioni e dottrina giuridica dai Normanni ai Borboni, Rome, .

. L’ouvrage fut dédié au cardinal Pierre Roger, futur Grégoire XI ; voir la « Vie de Lucca » écrite par C rééditée par J. A en préface à son édition de Biagio di Morcone, de

Differentiis inter ius longobardorum et ius romanorum, Naples, , p. XLIX sq. L’ouvrage fut com-

mencé vers , à la demande d’un ami, Paolo Da Perugia : voir F. C, « Studi sul commento ai “Tres libri” di Luca Da Penne. La nascita e i metodi dell’opera », dans Id., Scritti, Annali di storia

del diritto, IX,  ( éd., Rivista di storia del diritto italiano, ), p. -, ici p. . Sur le per-

sonnage de Paolo Da Perugia, trait d’union entre l’encyclopédisme médiéval et l’humanisme naissant, voir F. G, « Paolo Da Perugia commentatore di Persio », dans Rendiconti dell’Istituto

C       A... 

qué dans le royaume ¹ ? Plusieurs juristes du royaume, d’après Lucca, n’hésiteraient pas à considérer que le droit romain est à mettre à la dernière place ². Ces assertions irritent notre juriste : « Longobardae non merentur leges dici, sed foeces ³. » Le légiti- misme du juriste, qui avait placé par dessus tout comme principe fondateur de l’har- monie sociale l’obéissance aux lois, est mis à mal. Condamner les lois lombardes, c’est condamner plusieurs constitutions impériales qui y faisaient recours. Mais il trouve un accommodement passager en constatant que dans les tribunaux (et Lucca connaît le problème de l’intérieur), on applique le droit lombard, mais générale- ment — et fort heureusement — priorité est donnée, notamment au tribunal de la Vicaria, au droit romain ⁴.

Il n’y a qu’un seul jus commune car par son nom même le droit lombard ne peut prétendre à autre chose qu’à un registre d’application spéciale. Il n’a pas plus d’importance que les lois de n’importe quelle tribu germanique, tel le jus Franco-

rum ⁵. Pire même, les lois lombardes et les lois franques différent entre elles sur des

sujets identiques alors que l’identité des matières aurait dû entraîner une identité du règlement juridique. Droit lombard et droit franc ne constituent que des droits spéciaux ; seul le droit romain mérite le nom de jus commune : pas même l’enga- gement d’une autorité législative, tel l’empereur, ne peut modifier le caractère d’un

jus speciale en jus commune ⁶. L’attribution d’une valeur universelle au droit s’appli-

quant à la totalité du monde civilisé relève de la romanité exclusivement. La délé- gitimation de l’héritage lombard passe alors par une reconstruction du passé lom- bard de l’Italie : ce peuple germanique a conquis la Péninsule more praedonum. Sans entrer dans le détail, il faut remarquer l’usage que fait de l’histoire notre auteur ;

. Lucca D P, Commentaria in tres libros Codicis, Lyon,  : « Romanae leges omnino

servandae sunt. [...] Videtur quod non [quia] Langobardae leges Romanis legibus veniunt praeferen- dae. » Voir W. U, e Medieval Idea of Law as represented by Lucas de Penna. A study in Fourteenth-Century Legal Scholarship, New York-Londres, , p. -.

. Parmi les juristes visés, il y a très certainement Andrea D’Isernia qui dans ses commentaires tant aux Libri feudorum qu’aux Constitutiones regni rappelle le caractère subalterne du droit romain face au droit lombard : voir In usus feudorum, Lyon, tit. uae sunt reg., n.  : « Ipsumque ius longobar-

dum praeponitur romano, ut dictum est » ; et Commentarii in Constitutiones Regni Sicilie (Ad Const. Dohanae de secretis, v. dohanae) : « Ius lombardum praefertur iuri romano in regno ».

. Id., C.XI, , I ( ?). Sans pouvoir démontrer une influence, ni même une connaissance par Lucca du théologien anglais Ralph Niger (fl.  ), il est surprenant de constater que ce dernier qualifiait aussi, dès la fin du  siècle, les lois lombardes de feces ! Voir L. S, « Codicis Iustiniani et Institutionum baiulus : Eine neue uelle zu Magister Pepo von Bologna », dans Ius commune, , , p. , qui cite Ralph Niger : « De fece igitur legis Lombarde et similium pravarum constitutionum

Alemanie et Anglie et Francie et aliorum regnorum, que non reguntur romano iure. »

. Ibid. : « Verius est, quod jus Longobardorum Romanis legibus non sit praeferendum, nisi eatenus,

quatenus et in illis locis, in quibus et inter illas personas, inter quas consuetudo illud admittit... et haec sententia plene matureque digesta semper observata fuit in curia vicariae regni. »

. Ibid. : « Patet esse singulare seu speciale, sicut jus Francorum. » . Ibid.

 D,    ...

cet usage est assurément à mettre en relation avec sa sensibilité humaniste, sensi- bilité visible également dans un travail très important mais resté inédit, le Com- mentaire à Valère Maxime ¹. Toujours est-il qu’il est impossible d’imaginer que le peuple plus proche de la nature bestiale qu’humaine, ignorant le cultus justiciae puisse se conformer aux règles juridiques de la civilisation. Recyclant un topos qui remonte à Orose, Lucca rappelle que personne ne doit obéir à ces lois en raison de la barbarie de ce peuple. Bref, c’est à bon droit que les lois lombardes sont dites lois des ânes ². A contrario, le droit romain est l’incarnation de la culture et de la raison. Plusieurs points fondent cette supériorité : l’universalité de la domination romaine, attestée par les Saintes Écritures elles-mêmes ³. Mobilisant des arguments tirés de Tite-Live, il justifie le développement de l’empire romain comme l’empire de la vertu. Il est impossible à un être de raison de s’opposer à la loi romaine. Le droit romain représente en quelque sorte la transformation de l’idée métaphysique de justice en réalité opératoire ⁴ : cette universalité, que les empereurs romains sont

. Le prologue a été récemment édité : M. M, Fides in rem pubblicam. Ambiguità e tec-

niche del diritto comune, Naples, , p. -. Voir Ibid. sur le goût des juristes méridionaux pour

l’auteur latin du premier siècle (outre Lucca Da Penne, Pietro Piccolo Da Monteforte s’est intéressé à lui).

. Ibid. : « regulariter asininum dicitur, licet sit tempore posterius. » Andrea D’I, dans les

Commentaria in usus Feudorum, Tit. uae sunt, § Si qua investitura, formule cette accusation, sans

toutefois y ajouter foi lui-même : « Merito dicunt multi illud ius esse asininum, carens ratione. » Dans l’ensemble pourtant, Andrea D’Isernia apparaît comme peu complaisant envers le droit romain, ce qui lui vaudra, à l’occasion, d’être dénoncé par Lucca De Penne. Voir sur ce thème L. P, Andrea

D’Isernia. Studio storico-giuridico, Naples, , p. -.

. Ibid. : « Romani principes uniersum orbem tenuerunt, ut patet ipsius divinae scripturae testimo-

nio Luc. . » Sur ce thème chez Lucca, voir aussi G. P, « Ratio publicae utilitatis, ratio status, und

“Staaträson” », dans Die Welt als Geschichte, XXI, , p. .

. Ibid. : « Sic ergo rationabiliter solum jus romanum dicitur jus commune, quod absque alia adjec-

tione prolatum simpliciter per excellentiam diciture jus civile [...] quod juste constringit hominum vitas et sanctissimum est et ab omnibus debet sciri [...] per imperatores quippe Romanos Deus humano generi leges distribuit, ut dicit beatus Augustinus. » L’idée d’un développement de l’empire romain sur la base

de la vertu et de la justice est un topos des romanistes. Déjà, dès le milieu du  siècle et l’anonyme traité uaestiones de iuris subtilitatibus, on pouvait lire : « Et ne hoc [imperium] violentiae tribuas aut

tiramnidi, sit tibi memoriae, quae Romannorum in victos clementia, in socios fides, in subiectos extiterit equabilitas et justicia [...] Lege divinae paginae scripturas, quarum testimonio docearis quae dicimus »

(H. F (éd.), Questiones de iuris subtilitatibus des Irnerius. Zur zweiten Säcularfeier der Unier-

sität zu Halle als Festschri ihrer Juristischen Fäcultat, Berlin, , I, -). À titre subsidiaire, est-ce

un simple hasard si ces Questiones constituent le premier témoignage d’une critique frontale des lois