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Chapitre 1 : Mars, un objet d’intérêt exobiologique ?

2. Les minéraux présents ou susceptibles d’être présents sur Mars

2.3. Détermination de la minéralogie des météorites « martiennes » SNC

et al., 1996) entrent dans l’atmosphère terrestre et atterrissent à la surface de la Terre. Parmi celles qui ont été collectées, quelques très rares sont supposés d’origine martienne (Bogard and Johnson, 1983; Becker and Pepin, 1984; McSween, 1994; Marti et al., 1995). Lors d’impacts gigantesques ou obliques d’objets du système solaire avec la surface de Mars (Nyquist, 1983; Vickery and Melosh, 1987), l’énergie dégagée est parfois suffisante pour vaincre la force de gravitation de la planète et éjecter des morceaux de la croûte martienne dans le milieu interplanétaire. La plupart des morceaux éjectés se perdent dans le système solaire notamment sous l’influence gravitationnelle de Jupiter. Cependant des modèles numériques (Gladman and Burns, 1996; Gladman et al., 1996) prédisent qu’environ 5 % de ces morceaux tomberaient à la surface de la Terre. Les météorites martiennes sont appelées des SNC pour Shergottite (Inde), Nakhlite (Egypte), Chassignite (France), du nom des lieux de découvertes des trois premières météorites supposées martiennes (McSween, 1994). Quels sont les paramètres pris en compte par les scientifiques pour déterminer si une météorite est d’origine martienne ?

• Les météorites SNC se caractérisent par une composition isotopique de l’oxygène particulière. Cette composition et la richesse relative des différents isotopes de l’oxygène sont identiques dans toutes les SNC, et ils constituent une signature qui leur est propre (Clayton and Mayeda, 1983, 1986). De plus cette signature indique qu’elles proviennent d’un même corps parent (Clayton and Mayeda, 1986).

Tableau 9 : Composition isotopique de l’oxygène de différentes météorites SNC (Shergottite, Nakhlite, Chassignite) et d’eucrites (météorites pierreuses de la classe des achondrites et sont parmi les plus vieilles météorites connues du système solaire). Un excès de 16O est observé dans les eucrites, alors que les SNC sont appauvries en 16O par rapport aux eucrites. Source : (Clayton and Mayeda, 1983)

• Des mesures de leur âge de cristallisation par décroissance radioactive ont donné une datation comprise entre 180 et 1300 millions d’années (McSween, 1994) à l’exception d’une, ALH84001, qui aurait cristallisé il y a environ 4,5 milliards d’années (Jagoutz et al., 1994). Leur âge (exceptée pour ALH84001) est relativement faible par comparaison avec l’âge des météorites témoins (telle que l’eucrite Juvinas) de la formation du système solaire, entre 4,56 et 4,48 milliards d’années (Manhes et al., 1984). Toutefois l’âge de certaines de ces météorites (Zagami, Los Angeleset Shergotty) supposées provenir de Mars est débattu : elles seraient beaucoup plus anciennes et auraient été formés il y a environ 4 milliards d’années (Bouvier et al., 2005).

• Toutes les SNC sont des roches magmatiques ou volcaniques (McSween, 1994) cependant en regardant plus finement la matrice minérale, certains minéraux dans les fissures de la roche suggèrent une formation en présence d’eau liquide ce qui indique l’existence d’écoulements d’eau liquide sur le corps parent (Gooding, 1992; McKay et al., 1996; Bridges et al., 2001). La ceinture d’astéroïdes qui constitue la source principale de météorites dans le système solaire n’a pu fournir ces roches hydratées du fait que les astéroïdes ont une masse trop faible pour à la fois conserver une activité volcanique (Figure 30) et éventuellement de l’eau liquide pendant des milliards d’années (McSween, 1994).

Figure 30 : Relation entre la taille du corps planétaire et de la durée de l’activité volcanique. Les flèches indiquent l’histoire volcanique d’après le comptage des cratères des plaines volcaniques ou à partir de mesures de la datation par décroissance radioactive sur des échantillons. Le corps parent pour les météorites eucrites serait l’astéroïde 4 Vesta. La zone hachurée indique l’âge de cristallisation des météorites SNC (exceptée ALH84001) comprise entre 1,3 Ga et 180 Ma. Sources : (McSween, 1994)

• En procédant par élimination parmi les corps du système solaire : les planètes géantes gazeuses ne peuvent être les corps parents des SNC car elles n’ont pas de surface rocheuse, leurs satellites non plus car tout débris éjecté depuis leur surface dans l’espace serait attiré par la force gravitationnelle des planètes géantes autour desquelles ils gravitent. Les activités géologiques de Mercure et de la Lune ont cessé depuis plusieurs milliards d’années (McSween, 1985; McSween, 1994) ce qui est incompatible avec l’âge des SNC (Figure 30). Quant à Vénus, bien qu’il ait été suggéré que cette planète possède encore une activité volcanique, cette planète a une atmosphère trop dense et une gravité trop forte, empêchant l’échappement de débris. Reste donc Mars qui possède à la fois une gravité faible, une atmosphère ténue (Kliore et al., 1969), un passé supposé humide (Bibring et al., 2006) avec peut-être des épisodes d’eau liquide en surface ou en sous sol contemporains (Dickson et al., 2007) et une activité volcanique géologiquement encore récente, dont les dernières traces dateraient de moins de 10 millions d’années (Hartmann and Berman, 2000; Hartmann and Neukum, 2001).

• Le principal argument en faveur d’une origine martienne des SNC est venu de la découverte de la météorite EETA 79001 en Antarctique, en 1983 (Figure 31). Des analyses des gaz enfermés dans des inclusions de verre dans la matrice rocheuse de la météorite ont montré que l’abondance et la composition isotopique de ces gaz piégés et les mesures in situ des compositions atmosphériques sur Mars des atterrisseurs Viking ont une corrélation directe (Bogard and Johnson, 1983; Becker and Pepin, 1984; McSween, 1994). Cet accord remarquable est donc l’indice le plus important,

qui indiquerait que les météorites SNC proviennent de la surface de Mars. Ces résultats ont d’ailleurs été confirmés par l’étude des gaz emprisonnés dans la météorite Zagami (Marti et al., 1995).

Figure 31 : Comparaison de la

composition de l’atmosphère martienne au niveau du sol et des gaz piégés dans les inclusions de verre de la météorite shergottite EET79001. Cette corrélation est l’un des principaux arguments en faveur d’une origine martienne des météorites SNC. Source : (Pepin, 1991; McSween, 1994)

• Pour finir, les instruments du rover Opportunity ont permis de détecter et d’analyser une roche isolée, nommée Bounce (Figure 32), qui a la particularité d’être composée à presque 70% de pyroxènes (Klingelhöfer et al., 2004; Rieder et al., 2004; Squyres et al., 2004b). D’après les relevés effectués par la sonde Mars Odyssey, Bounce serait un débris provenant d’un cratère d’impact de 25 kilomètres situé à environ 75 kilomètres du site d’atterrissage du rover Opportunity (Christensen et al., 2001). Outre le fait que sa présence serait due au choc d’un corps du milieu interplanétaire capable d’éjecter des débris hors du champ gravitationnel de Mars, sa composition minéralogique très proches des météorites SNC laisse supposer que ces dernières ont bien une origine martienne.

Figure 32 : Image de la roche nommée Bounce, prise par la caméra Pancam du rover Opportunity. La composition de la roche Bounce est unique sur les sites d’atterrissage des rovers Opportunity et Spirit : l’instrument MIMOS II n’a détecté que des pyroxènes, ce qui rappelle la composition de certaines météorites SNC. Source : NASA

Par conséquent, en s’appuyant sur ces données et en supposant que les météorites SNC proviennent bien de la surface de Mars, elles sont d’une importance capitale pour l’étude scientifique martienne. En effet des analyses fines de leurs différentes propriétés apportent de précieux indices notamment sur l’évolution géochimique de la croûte martienne, l’âge des terrains dont elles sont issues, et la minéralogie de la surface de Mars. L’avantage principal de l’analyse de la composition minéralogique des météorites réside dans le fait de la très grande diversité d’instruments disponibles, capables d’effectuer des analyses précises et sensibles. De plus, le plupart de ces analyses sont actuellement technologiquement impossible à réaliser par les sondes envoyées à destination de Mars, en orbite ou in situ.

Seul un retour d’échantillons de surface martiens pourrait concurrencer la masse de données obtenues grâce à ces météorites car d’une part, seule une comparaison entre ces météorites et un échantillon de la surface de Mars conclurait de manière définitive sur leur origine martienne, et d’autre part, en supposant qu’elles proviennent de Mars, il est très difficile de déterminer le contexte de leurs formations, de leurs évolutions au cours de l’impact, ainsi que leurs lieux de provenances précis à la surface de Mars. Des observations depuis l’orbite martienne par les sondes spatiales ont tout juste permis de faire l’hypothèse que certaines d’entres elles sont issues des hauts plateaux cratérisés anciens de l’hémisphère sud, tandis que d’autres seraient des fragments des terrains plus jeunes des plaines du nord, en se basant sur l’âge des météorites, leurs compositions élémentaires et

minéralogique (Hamilton et al., 2003) et les cratères d’impact : les plus larges, témoins de chocs suffisamment violents (Vickery and Melosh, 1987) ou en « papillon » (ovales), témoins d’impacts obliques (Nyquist, 1983), capables d’expulser des morceaux de roches dans le milieu interplanétaire. De plus les météorites SNC sont toutes des roches ignées qui ne se sont peut être par formées en surface donc qui n’échantillonnent ni le sol, ni les roches sédimentaires récemment détectées. Mais en l’absence actuelle de projet de retour d’échantillons, les SNC risquent fort de rester durant les 10 ou 20 prochaines années la seule source d’échantillons de la surface de Mars.

Parmi les différents instruments capables de caractériser la minéralogie d’un échantillon, le Microscope Electronique à Transmission (MET) a été le plus utilisé pour l’étude des météorites SNC. Cette méthode présente l’avantage de fournir à la fois l’image et la minéralogie d’une lame mince d’un échantillon de roche. Les météorites SNC sont toutes des roches magmatiques ou volcaniques produites par cristallisation d’une lave (McSween, 1994) dont certaines sont proches de roches magmatiques ou volcaniques terrestres (en l’occurrence les basaltes). Deux groupes de minéraux ont été identifiés au sein de la matrice rocheuse et se différencient selon leurs processus de formation :

• le premier groupe concerne les minéraux formés lors de la cristallisation de la roche à partir d’un liquide silicaté (McSween, 1994). Les principaux minéraux identifiables sont l’olivine, les pyroxènes et les feldspaths (McSween, 1994). Les pyroxènes présents sont des clinopyroxènes tels que l’augite et la pigeonite, et des orthopyroxènes. Les feldspaths présents sont des feldspaths potassiques, plagioclases et alcalins. Certaines des météorites sont d’ailleurs quasiment monominérales telles que les météorites Chassignite composée à plus de 90% d’olivine (Floran et al., 1978), Shergotty composée à 70% de clinopyroxènes, augite et pigeonite (Smith and Hervig, 1979), ou encore ALH84001 composée à presque 100% d’orthopyroxènes (Mittlefehldt, 1994). Sont également présents du quartz, des oxydes notamment de fer tels que la magnétite, des sulfures tels que la pyrite et des phosphates tels que l’apatite mais aussi des minéraux hydratés tels que des amphiboles et des micas (McSween, 1994)

• le second groupe de minéraux détectés dans la matrice rocheuse des météorites SNC est issu de précipitations secondaires lors de la présence, probablement épisodique, d’eau liquide à travers les fissures des roches déjà constituées (Gooding, 1992; McKay et al., 1996; Bridges et al., 2001). Ces minéraux se sont formés soit à partir d’un fluide riche en éléments dissous qui ont précipité après évaporation soit à partir de l’altération des minéraux primaires de la roche par l’eau liquide (Gooding, 1992; Bridges et al., 2001). Ces minéraux formés en présence d’eau liquide sont des argiles telles que la smectite et l’illite, des oxydes de fer hydratés ou hydroxydes de fer telles que la goethite et la ferrihydrite, des sels telle que la halite, des sulfates tels que le gypse et l’epsomite et des carbonates telles que la calcite, la sidérite, la magnésite et la rhodochrosite (Gooding, 1992; Bridges et al., 2001). Dans le cas de la météorite ALH84001, la magnétite peut être rajoutée parmi les minéraux secondaires (McKay et al., 1996) bien que son origine soit encore ouverte à débat, il semble qu’elle provient d’une précipitation secondaire en présence d’eau liquide. De nombreuses analyses ont pu déterminer que ces minéraux secondaires ont bien été formés sur Mars, notamment en observant finement leurs interactions avec la matrice minérale primaire des météorites et en déterminant leur âge ou leur composition isotopique (C, H, O, S) (Gooding, 1992; Bridges et al., 2001). À ce titre les carbonates de la météorite ALH84001, qui représentent environ 1% du volume de la météorite, en sont un exemple parfait : les valeurs de leurs rapports isotopiques D/H sont trop élevées pour être d’origine terrestre (Boctor et al., 1998) mais certaines valeurs sont identiques à celles mesurées dans l’atmosphère de Mars. De plus l’âge des globules de carbonates serait d’environ 4 milliards d’années (Borg et al., 1999) ce qui est incompatible avec une contamination terrestre, en prenant en compte que le temps de séjour de cette météorite en Antarctique fut de 13000 ans (Gooding, 1992; McKay et al., 1996)

La composition minéralogique des météorites SNC est donc dominée par une origine volcanique ou magmatique. Des processus secondaires de précipitation ou de dissolution/précipitation, en présence d’eau liquide ont induit la formation de minéraux secondaires en plus faible quantité. Par conséquent, cette composition est en accord avec les données collectées par les sondes in situ ou en orbite autour de Mars.