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le silicium fortement compensé

IV.2.3.2. Désécrantage des impuretés dopantes

Dans le silicium non compensé, le nuage de porteurs de charge majoritaires est suffisamment dense pour atténuer l’influence électrostatique d’un dopant ionisé sur son entourage (on parle d’écrantage par les porteurs de charge). En revanche, lorsque l’on compense le dopage, p0

devient plus faible que la densité d’impuretés dopantes majoritaires, qui sont alors moins efficacement écrantées. En parallèle, les impuretés dopantes minoritaires introduites ne sont pas écrantées par les porteurs, puisque la densité de porteurs minoritaires, seuls susceptibles d’assurer un écrantage, reste très faible (très inférieure à la concentration intrinsèque). Dans le silicium fortement compensé, ce sont probablement les impuretés dopantes majoritaires qui assure l’écrantage des impuretés dopantes minoritaires, et vice-versa. Dans ces conditions, les écrantages réalisés sont probablement bien moins efficaces que dans le silicium non compensé, où ce sont des charges mobiles en forte concentration qui opèrent. Par conséquent, l’influence électrostatique des impuretés dopantes sur les porteurs de charge est susceptible d’être accrue dans le silicium compensé, conduisant à une possible réduction des µ.

Récemment, B. Lim a fait appel à ce mécanisme pour décrire qualitativement les réductions de µmaj observées dans le silicium compensé [LIM11]. Nous discutons ici la possibilité que ce mécanisme explique nos observations.

Le potentiel écranté V induit par une impureté dopante simplement ionisée à une distance r s’exprime par [KWON06]:

exp( ) 4 ) ( 0 D Si r r q r V λ ε πε × = IV-2

Cette expression n’est valable que lorsque V<<kT/q. Elle diffère du potentiel crée dans le vide par le terme en exponentielle, qui traduit l’écrantage. λD est la longueur de Debye. A faible niveau d’injection (cas des mesures de µ), λD est liée à p0 par :

0 20 p q kT Si D

ε

ε

λ

= IV-3

Figure 74 : Variations du potentiel V créé par un atome de bore ionisé avec la distance r à cet atome. Deux siliciums avec [B]=1017 cm-3 sont traités, dont l’un est compensé par [P]=9×1016 cm-3. T=300 K.

L’effet de la compensation des dopants sur le profil de V est illustré sur la Figure 74. En rouge est montré le cas d’un silicium non compensé avec [B]=p0=1017 cm-3 (l’ionisation incomplète, très faible à ce niveau de dopage, est négligée). En noir est représenté le cas du même silicium, cette fois compensé avec [P]=9×1016 cm-3.

La compensation des dopants conduit à une augmentation importante de V à un r donné, d’autant plus que r est grand. Par exemple, à r=20 nm, le potentiel créé par une impureté dopante est 3 fois plus important dans le silicium compensé que dans le silicium non compensé. Cette augmentation de V avec K est susceptible de conduire à une diffusion accrue des porteurs de charge dans le silicium compensé.

Expérimentalement, la diffusion accrue par les impuretés dopantes dans le silicium compensé peut être décelée à basse température, où l’influence des phonons est négligeable. Dans cette optique, nous avons découpé une plaquette « mini-cellules » en 100 échantillons de 1×1 cm². Des mesures par effet Hall en température ont ensuite été effectuées sur les échantillons de la diagonale, dont la résistivité varie de 0,3 Ω.cm (K~7) à 6,6 Ω.cm (K~70). Le schéma adopté pour la découpe et la numérotation est montré sur la Figure 75 a). Les variations de µHall en température pour ces échantillons sont regroupées sur la Figure 75 b). L’échantillon p6 a été cassé, tandis que l’échantillon p10 (le plus compensé) présentait quelques portions de type n et a donc conduit à des résultats inexploitables.

Figure 75 : a) Découpe des échantillons sur la diagonale et numérotation b) Variations de µHall en température pour les différents échantillons (type p).

Les mesures de la Figure 75 montrent clairement deux régimes dans la variation de µHall. A basse température, un mécanisme de diffusion virulent, lié aux impuretés dopantes et/ou à la compensation du dopage, limite µHall. Lorsque la température augmente, la diffusion par les phonons augmente en intensité. Au-delà de 300 K, µHall est limitée par les phonons principalement, et les courbes semblent tendre vers une même asymptote (au moins pour les p1 p5). Le basculement entre les deux mécanismes est repérable sur chaque courbe par un pic de µHall.

Dans nos échantillons, µmaj est limitée par les phonons (µph,h), par les impuretés ionisées incluant les effets de désécrantage (µii) et par un mécanisme éventuel de diffusion des porteurs lié à la compensation (µcomp).

Alors, en supposant la règle de Matthiessen valide, on peut écrire µmaj de la manière suivante: 1 . ,

1

1

1

+

+

=

comp ii h ph maj

µ

µ

µ

µ

IV-4

Ou encore, en regroupant le mécanisme de diffusion par les impuretés ionisées et le mécanisme éventuel lié à la compensation sous le terme µii+comp.,

1 . ,

1

1

+

+

=

comp ii h ph maj

µ

µ

µ

IV-5

Afin de tenter de préciser la nature du mécanisme responsable des réductions prononcées de µ, il est judicieux d’étudier l’évolution de µii+comp. avec T et de comparer ces variations avec celles de µii uniquement, prédites par le modèle de Brooks-Herring présenté au chapitre I (I-37). Dans cette optique, nous avons au préalable transformé les données de µHall en µmaj avec rH=0,71. Dans un deuxième temps, nous avons retiré la contribution des phonons (µph,h) à la mobilité totale µmaj, à l’aide de la loi de Matthiessen et de l’expression de µph,h donnée au chapitre I (I-35). Cette procédure permet d’obtenir les variations de µii+comp. avec T.

Les variations avec T de µii+comp. sont montrées sur la Figure 76 pour tous les échantillons de la diagonale. La zone grisée correspond aux variations extrêmes de µii prédites par l’expression de Brooks-Herring (I-37). Les bornes de cette zone ont été calculées à partir des compositions des échantillons p1 (borne supérieure) et p9 (borne inférieure). A partir des valeurs de [B] et [P] obtenues par GDMS, les valeurs de [B-], [P+] et p0, nécessaires à l’utilisation de l’expression de Brooks-Herring, ont été calculées en fonction de T à l’aide de l’équation de neutralité et des statistiques de Fermi-Dirac, comme expliqué au chapitre I et détaillé au chapitre VI.

Figure 76 : Variations avec la température (T) de la mobilité limitée par les impuretés ionisées (µii) pour les échantillons de la plaquette « mini-cellules » 1 (en traits+symboles). Ces variations sont calculées à partir des valeurs de mobilité expérimentales en soustrayant l’effet des phonons. La zone grisée correspond aux variations extrêmes prédites par l’expression de Brooks-Heering. Les bornes de cette zone correspondent aux échantillons p1 (borne supérieure) et p9 (borne inférieure). La mobilité limitée par les phonons (µph,h) est également montrée.

Pour tous les échantillons, µii+comp. expérimentale est significativement inférieure aux prédictions de µii. A température ambiante, les prédictions de µii surestiment les valeurs expérimentales de µii+comp d’un facteur 2 pour les échantillons à faibles K, tandis que la

surestimation atteint un facteur 10 pour les échantillons à plus forts K. Le modèle supposé prendre en compte le désécrantage ne permet pas de rendre compte qualitativement des valeurs expérimentales. Ce constat à lui seul ne permet cependant pas de conclure quant au mécanisme responsable des chutes de µ.

Cependant, de manière plus significative, il est intéressant de constater la similitude qu’il existe entre les dynamiques des courbes prédites pour µii et les courbes expérimentales de µii+comp. Cette similitude laisse penser que c’est effectivement l’interaction avec les impuretés ionisées qui limite µmaj, mais que l’amplitude de ce mécanisme est fortement sous-estimée par le modèle de Brooks-Herring. Il est probable que le désécrantage des impuretés dopantes soit insuffisamment pris en compte dans le modèle de Brooks-Herring, ce qui expliquerait l’échec de ce modèle à prédire les µ dans le silicium compensé. Ceci est en accord avec les explications avancées par B. Lim [LIM11]. Toutefois, ces premiers résultats doivent être considérés avec précaution. Notamment, plusieurs travaux antérieurs ont fait mention de valeurs de µ erronées suite à l’utilisation de la loi de Matthiessen [FISTUL69] [DEBYE59]. De plus, on ne peut pas exclure l’intervention d’un autre mécanisme dont la signature serait similaire à celles des impuretés ionisées sur la courbe µmaj=f(T). Des études complémentaires, notamment théoriques, sont nécessaires pour préciser l’implication du désécrantage des impuretés ionisées dans les réductions de µ observées dans le silicium compensé.

IV.2.3.3.Diffusion des porteurs par les

inhomogénéités du potentiel électrique

A. Shik suggère qu’à forts degrés de compensation, le silicium compensé contiendrait un fort désordre électrostatique, se traduisant par d’importantes variations du potentiel interne, à une échelle comparable à celle du libre parcours moyen des porteurs de charge. Si ces variations de potentiel sont supérieures ou égales au potentiel thermique kT/q, alors les porteurs de charge doivent emprunter des trajectoires tortueuses afin d’éviter les zones à fort potentiel [SHIK95]. Il pourrait alors en résulter une diminution significative des µ.

Dans un silicium à fort K, il est même probable que le désordre soit tel que des zones de type n apparaissent dans un matériau globalement de type p (ou vice-versa). Alors, les zones de charge d’espace entourant ces inclusions pourraient constituer des centres diffusants additionnels et

conduire à des réductions de µ. Ce mécanisme a par exemple été invoqué pour expliquer des réductions de µ dans l’indium-sélénium [SAVITSKII00].

Afin de se faire une idée du désordre électrostatique présent dans le silicium à fort K, nous avons amené une plaquette similaire à la plaquette 1 ([B]=7,2×1014 cm-3) à très fort K, par activation des DT. Une cartographie de la longueur de diffusion (LD) a ensuite été effectuée par LBIC à haute résolution spatiale (~100 µm).

Concernant la préparation de l’échantillon, une couche d’aluminium de 200 nm a été déposée par évaporation sous vide en face arrière puis recuite à 500°C pendant quelques minutes afin de former un contact ohmique. En face avant, une couche transparente d’aluminium de 9 nm a été déposée, également par évaporation sous vide, dans le but de constituer une structure de collecte des minoritaires. Cette structure n’est efficace que sur le silicium de type p. Enfin, une goutte de laque d’argent a été déposée sur la couche d’aluminium en face avant afin d’assurer un bon contact électrique avec la pointe de mesure.

Figure 77 : Cartographie en longueur de diffusion d'une plaquette Cz-Si (diamètre 4’’) amenée à un K extrêmement élevé par activation des DT. Les zones blanches sont des zones de type n.

La cartographie présentée sur la Figure 77 révèle clairement la présence d’inhomogénéités à grande échelle des propriétés de transport. Les variations de LD montrent un motif circulaire, d’une taille caractéristique de l’ordre du millimètre. Ces formes géométriques sont regroupées sous le

terme générique de « swirls » [TAN85]. Ces variations sont probablement liées aux répartitions spatiales non homogènes du bore et des DT (et donc de l’oxygène interstitiel), qui conduisent à de fortes variations du potentiel électrique.

Le matériau peut même devenir de type n à des positions privilégiées. Ces zones sont montrées en blanc et correspondent à des positions où LD n’a pas pu être déterminée. Puisqu’elles sont entourées de zones de charge d’espace, les régions de type n pourraient introduire un mécanisme de diffusion additionnel des porteurs. Néanmoins, la taille de ces zones excède de plusieurs ordres de grandeur le libre parcours moyen des porteurs (de l’ordre de la dizaine ou centaine de nanomètres), et ne devraient donc avoir qu’un effet minime sur les µ [SHIK95].

Des mesures AFM (Microscopie à Force Atomique) complémentaires ont été effectuées sur cette plaquette par G. Brémond de l’INL dans le but de détecter des inhomogénéitiés du type de conductivité à l’échelle nanométrique. Malgré des mesures répétées, de telles zones n’ont pas pu être mises en évidence expérimentalement. Ce constat peut s’expliquer soit par l’absence de ces inhomogénéités, soit par le contraste trop faible de la densité de porteurs de charge entre les zones de type p et celles de type n.

Si l’étude expérimentale a montré ses limites, la simulation permet toutefois d’estimer la probabilité d’existence de zones où le potentiel électrostatique est très perturbé, qui sont susceptibles d’altérer les µ.

Dans cette optique, les répartitions spatiales du potentiel interne ont été simulées pour deux silicium, l’un compensé, l’autre non, à l’aide d’un code développé sur Matlab. Le premier silicium, non compensé, est dopé au bore avec [B]=1,5×1016 cm-3. Le second, compensé, présente en plus une teneur en phosphore de [P]=1,49×1016 cm-3 (K= 300). Pour les deux siliciums, la répartition spatiale des impuretés dopantes est générée de manière aléatoire. Le potentiel créé par chaque atome de bore est calculé à l’aide de l’expression d’un potentiel écrantée (cf. équation IV-2). Pour le phosphore, non écranté par les porteurs de charge, l’expression classique q/(4π×εSi×εr×r) est utilisée. Les atomes de bore et de phosphore sont répartis sur les trois dimensions de l’espace dans une fenêtre de simulation qui comportant 1000 atomes de bore. Ensuite, la contribution de toutes les impuretés au potentiel électrique est calculée en chaque point de l’espace (maillage 100×100×100). La Figure 78 montre les cartographies de potentiel obtenues sur une tranche à mi-hauteur du volume de simulation, dans le cas du silicium non compensé (à gauche) et compensé (à droite).

Figure 78 : Variations spatiales du potentiel électrostatique pour un silicium non compensé (à gauche) et compensé (K=300, à droite). Le désordre électrostatique dans le silicium compensé est tel que la trajectoire des

porteurs de charge est susceptible d’être affectée, réduisant ainsi la µ globale.

Les variations de potentiel restent très faibles devant le potentiel thermique dans le silicium dopé uniquement au bore (à gauche). Au contraire, l’ajout d’atomes de phosphore non écrantés entraîne l’apparition de fluctuations bien plus importantes, dont l’amplitude excède par endroit le potentiel thermique, et dont la taille caractéristique est de l’ordre du libre parcours moyen des porteurs. Ces variations ont donc les caractéristiques adéquates (amplitude, taille caractéristique) pour diffuser les porteurs de charge. Notons également que l’augmentation de la température, qui conduit à un potentiel thermique plus élevé, devrait conduire à une augmentation de la mobilité, ce qui est en accord avec les mesures présentées sur la Figure 76. Néanmoins, des confirmations expérimentales supplémentaires devront être apportées pour valider ou invalider cette hypothèse de travail.

IV.2.4.Influence de la réduction des