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La dérégulation hormonale dans le CaP

6.1. Les androgènes

Dans le CaP, plusieurs des voies enzymatiques de la stéroïdogenèse sont altérées, et cela à différents stades de la maladie (Koh, Noda et al. 2002, Carnell, Smith et al. 2004, Ellem, Schmitt et al. 2004, Stanbrough, Bubley et al. 2006, Glen, Gan et al. 2008, Montgomery, Mostaghel et al. 2008, Martin, Patel et al. 2010, Audet-Walsh, Bellemare et al. 2011, Jernberg, Thysell et al. 2013).

Avec le processus tumoral des altérations d’expressions de gènes de la stéroïdogenèse ont été rapportées. C’est par exemple le cas de SRD5A1, HSD17B4, HSD17B5, dont l’expression des gènes est augmentée au niveau tumoral comparativement aux tissus sains tandis que l’expression des gènes HSD17B2 et SRD5A2 est diminuée (Figure 4) (Koh, Noda et al. 2002, Fung, Samara et al. 2006, Mostaghel and Nelson 2008, Rasiah, Gardiner-Garden et al. 2009, Dozmorov, Azzarello et al. 2010). Aussi, dans les stades plus avancés tels que les métastases, cette dérégulation semble affecter un plus grand nombre de gènes de la voie de synthèse. On note spécifiquement l’augmentation de l’expression des gènes HSD3B1, HSD17B3, HSD17B5, HSD17B6, HSD17B10 et SRD5A1 comparativement aux CaP localisés (Pfeiffer, Smit et al. 2011, Jernberg, Thysell et al. 2013).

Enfin, avec la progression du CaP, la voie de synthèse classique de formation des hormones actives est supplémentée par une voie alternative ou «backdoor pathway» (Auchus 2004, Fiandalo, Wilton et al. 2014). Cette dernière semble majoritairement empruntée chez les patients ayant subi une castration chimique et qui progressent dans les stades avancés. Pour preuve la plus forte expression de CYP17A1, initiant enzymatiquement cette voie alternative, qui est augmentée de 17 fois, ainsi que l’augmentation du gènes SDR5A1 ayant une plus forte affinité pour la prégnénolone (Montgomery, Mostaghel et al. 2008, Mostaghel and Nelson 2008, Mostaghel, Montgomery et al. 2009, Cai, Chen et al. 2011). D’autre part, l’expression de plusieurs gènes de la stéroïdogenèse est également modifiée dans les CRPC en comparaison avec les tumeurs primaires. C’est le cas des gènes permettant indirectement la synthèse de la DHT à partir des précurseurs surrénaliens tels que HSD17B5, HSD3B1, HSD3B2, HSD17B3 et CYP19A1 dont l’expression est augmentée ainsi que HSD17B2 et SRD5A2 dont l’expression diminue (Stanbrough, Bubley et al. 2006, Montgomery, Mostaghel et al.

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2008, Hofland, van Weerden et al. 2010, Mitsiades, Sung et al. 2012). L’implication des androgènes et de leur voie de synthèse semble évidente dans la progression tumorale.

En outre, l’équipe de Sharifi et al a pu montrer dans des cas de CRPC, la présence d’une mutation conduisant à un gain de fonction de l’enzyme hydroxy-déshydrogénase 3- -HSD1, qui est impliquée dans la formation de testostérone. Cette même étude a permis d’observer que les patients hétérozygotes porteurs de cette même mutation au niveau germinal, connaissent une perte de l’allèle non mutée (LOH-loss of heterozygoty) dans le tissu tumoral (Chang, Li et al. 2013). Tous ces mécanismes de résistance à la castration qui impliquent la synthèse de novo de DHT intratumorale permettent ainsi une activation continuelle du AR.

Toutes ces altérations tumorales constitueraient ainsi une potentielle voie d’échappement permettant l’activation de la voie androgénique dans un environnement faible en androgène (Mostaghel and Nelson 2008, Cai, Chen et al. 2011, Zahreddine and Borden 2013). Ceci est d’ailleurs illustré par le taux hormonal intraprostatique de testostérone, trois fois plus élevé dans les métastases que dans les CaP (Mitsiades, Sung et al. 2012).

Enfin, plus de 20 variants du AR ont été décrits à ce jour, dont la majorité ne possèdent pas la partie de liaison au ligand ou LBD (ou ligand binding domain) (Dehm and Tindall 2011). Les mécanismes conduisant à la formation des variants sont divers. On note par exemple des modifications post-traductionnelles, des réarrangements géniques, ou encore le splicing alternatif. La majorité des variants sont uniquement présents dans les stades avancés, mais certains le sont dès les stades localisés. C’est notamment le cas du variant AR-V7 qui a été associé au risque de BCR et de progression (Hu, Dunn et al. 2009). Dans les CRPC, les variants sont impliqués dans la progression tumorale, dans la résistance à la castration, et régulent des gènes différents de ceux induits par le transcrit canonique du AR (Wang, Li et al. 2009, Sun, Sprenger et al. 2010, Zhou, Bolton et al. 2015).

Toutes ces observations supposent donc que même au stade CRPC, la prostate demeure androgénosensible. Cette dépendance aux androgènes, même après l’évolution vers une tumeur CRPC, est d’ailleurs illustrée par l’efficacité de l’acétate d’abiratérone, un inhibiteur sélectif de l’enzyme CYP17A1 maintenant utilisé dans le traitement du CaP. Ce dernier bloque la synthèse des précurseurs des androgènes et des estrogènes, permettant d’améliorer la survie des patients atteints d’un CRPC (de Bono, Logothetis et al. 2011).

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6.2. Les estrogènes

Alors que le rôle des androgènes est largement décrit dans la croissance de la glande prostatique tumorale, les estrogènes sembleraient également mis en cause et suscitent de plus en plus l’attention (Muthusamy, Andersson et al. 2011). La découverte de marqueurs pronostiques, notamment par notre groupe, localisés dans les gènes codants pour les voies des estrogènes (CYP1B1, CYP19A1, HSD172, COMT et SULT2B1 etc.) supporte cette affirmation (Cussenot, Azzouzi et al. 2007, Audet-Walsh, Bellemare et al. 2012, Levesque, Huang et al. 2013, Levesque, Laverdiere et al. 2014). Également, une étude a démontré que le niveau circulant d’estrone-sulfate (E1-S), qui représente un réservoir pour la production d’estradiol (E2), est de 15% à 30% plus élevé chez les patients ayant un cancer agressif (Giton, de la Taille et al. 2008). D’autre part, chez les rongeurs, lorsque l’estradiol est administrée avec de la testostérone, l’incidence du CaP passe de 35-40 % à 90-100 % (Bosland, Ford et al. 1995). In vitro, l’exposition aux estrogènes influence la prolifération, induit la transformation néoplasique du tissu prostatique (Harkonen and Makela 2004, Bosland 2005, Ricke, McPherson et al. 2008, Cavalieri and Rogan 2013) et semblerait également agir sur la migration et la formation de colonies de cellules prostatiques cancéreuses (Yu, Shi et al. 2012, Treas, Tyagi et al. 2013).

Ainsi, les androgènes, les estrogènes et les métabolites estrogéniques, et très probablement le ratio entre ces hormones, seraient importants dans le développement et la progression du CaP. La connaissance du fonctionnement des enzymes du catabolisme dans le tissu prostatique tumoral pourrait permettre de comprendre une partie de ces régulations hormonales. En l’occurrence, l’enzyme UGT2B28, qui régule la biotransformation des estrogènes et des androgènes pourrait avoir un rôle clé dans l’équilibre de ces niveaux hormonaux. Néanmoins, à ce jour aucune étude n’a déterminé les différentes affinités d’UGT2B28 envers ses substrats estrogéniques et androgéniques. Cette détermination serait nécessaire pour potentiellement comprendre une partie de l’équilibre entre ces niveaux hormonaux dans le tissu prostatique.