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G- La formation actuelle

2. Compétences et connaissances des internes

2.3. Dépistage : systématique ou sur points d’appel ?

La première interrogation concernant le dépistage des violences conjugales était celle de la réalisation, ou non, d’un dépistage systématique. Quasiment tous les internes rapportaient ne pas réaliser ce dépistage de façon systématique : « Si à un moment donné il n’y a pas de soucis… » (E2).

Le dépistage systématique n’était notamment pas réalisé lorsque le motif de consultation concernait un problème aigu : « si elles viennent pour une grippe ou pour une gastro, je vais pas forcément poser la question. » (E10). Un des interrogés ne réalisait pas de dépistage systématique mais en revanche n’hésitait pas à poser la question, même lorsque le motif de consultation initial était un problème aigu.

Ce dépistage systématique était vécu comme difficile à mettre en place, entre autres en lien avec le fait de ne pas être « à l’aise à poser la question comme ça » (E8). Une des interrogées évoquait un dépistage systématique moins fréquemment réalisé dans la position de remplaçant.

Chez d’autres, le dépistage n’est systématique que chez les nouveaux patients car cette première consultation est vécue comme dans une atmosphère de neutralité vis-à-vis de la patiente. Ce dépistage systématique réalisé auprès des nouveaux patients permettait, selon certains, de laisser une ouverture et une possibilité de discuter, de revenir même secondairement : « le but à ce moment c’est de se dire que le sujet est abordable en consultation et que le patient peut revenir » (E11).

Il peut tout de même être rapporté que, bien que ne réalisant pas un dépistage systématique, plusieurs internes réalisaient régulièrement, si ce n’est souvent, ce dépistage des violences conjugales : « je la pose quand même assez facilement la question. » (E3).

Les internes ont été interrogés sur les motifs de consultation qui pourraient les pousser à interroger l’existence de violences conjugales. Le dépistage le plus pratiqué n’était donc pas un dépistage systématique mais un dépistage sur points d’appels notamment physiques, perçu comme plus facile à réaliser : « je vois plein de bleus et tout, là j’aurais plus tilté. » (E4).

Bien évidemment la question était posée aux patientes venant spécifiquement pour faire réaliser un certificat de coups et blessures. Les consultations répétées, les plaintes « qui reviennent souvent, que je peux pas expliquer somatiquement » (E7). Parmi ces plaintes répétées, celles touchant la sphère génitale et gynécologique interpellaient particulièrement les internes.

Un autre motif de consultation amenant à poser les questions des violences est celui de l’asthénie et des troubles du sommeil : « Ça fait trois mois que je dors pas bien, je suis fatiguée » (E4).

Les patientes souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques ou simplement perçues comme en souffrance étaient également volontiers questionnées : « toujours chez quelqu’un qui vient pour un problème, heu, de dépression » (E2).

Certains profils de patientes incitaient les médecins à dépister ces violences. Il pouvait s’agir de personnes perçues comme fragiles ou sous emprise, celles ayant un trouble du rapport au corps ou encore « aux ados » (E12).

Pour d’autres, le contexte familial, la situation conjugale de la patiente, amènent à interroger ces violences. Il peut s’agir de patientes en conflit avec leurs enfants, de patientes ayant déjà subi des violences conjugales lors d’une union précédente ou vivant déjà une situation de conjugopathie sans violences déjà décrites : « C’est le suivi du patient : au fur et à mesure on commence à connaître le mari, on commence à connaître les enfants » (E11).

Plusieurs internes ont été interpellés par la présence systématique des enfants ou du conjoint lors des consultations pour la patiente y compris parfois pour motifs gynécologiques : « je trouve que l’un des premiers signes, c’est accompagnée par … toujours par son mari » (E8).

Les internes interrogés rapportaient dépister également lorsque « la consultation me semble plutôt sans … sans vraiment raison médicale » (E8).

Parfois, moins que le motif de consultation, c’est la durée de la consultation qui faisait réaliser ce dépistage. En effet le temps laissé libre par le traitement rapide du motif de consultation apparaissait comme propice pour ce dépistage.

Un praticien rapportait pouvoir réaliser ce dépistage suite à des éléments rapportés par des collègues « qui nous apprennent des choses dont les patients ont jamais voulu parler » (E11).

Lorsque la situation paraissait nécessiter un dépistage, les internes étaient interrogés sur la question utilisée afin de réaliser ce dépistage. Quasiment tous les internes utilisaient une question très générique interrogeant le vécu domicile : « Comment ça se passe à la maison ? » (E5). De nombreux praticiens posaient également directement la question de l’existence de violences ou de gestes vécus comme inappropriés, en précisant parfois les différents types de violences existant. Cette question était souvent posée au passé, évoquant la possibilité de violences passées : « Est-ce que vous avez déjà été violentée physiquement ou psychologiquement ? » (E8). Cette question, pour l’une des interrogées, avait été apprise lors du module A sur les conjugopathies et violences conjugales.

D’autres interrogeaient le vécu par rapport au travail, à la vie privée avec notamment des questions se rapportant aux enfants, à leur santé etc… A ce dépistage des violences conjugales s’ajoutait alors parfois celui des maltraitances infantiles.

La suite du dépistage variait selon les praticiens notamment selon la réaction de la patiente à la première question/ « Et si vraiment, si y a un malaise ou quelque chose qui cloche, finir par poser ouvertement la question » (E11).

Ce dépistage plutôt progressif était vécu comme important par certains afin de ne pas braquer la patiente en commençant par des questions ouvertes puis en interrogeant plus précisément l’existence de violences, quitte ensuite à interroger l’existence de violences spécifiques (sexuelles, physiques). Il pouvait en outre être réalisé sur plusieurs consultations avec parfois la crainte d’aborder ces sujets lors d’une première rencontre : « Est-ce que j’ai peur que les gens se braquent ? Est-ce que… ouais j’ose pas dans un premier temps, je pense un petit peu. » (E12). D’autres préféraient d’emblée poser la question des violences voire directement des violences conjugales.

Pour l’un des interrogés, ce dépistage était perçu comme inutile car la patiente avait été victime de ces violences mais au sein de son couple précédent.

Ils étaient plusieurs à penser ne pas effectuer un dépistage suffisant : « je pense que je ne creuse pas assez la problématique des violences conjugales » (E12). Un autre d’ajouter que, quand bien même le dépistage serait réalisé plus souvent et de manière plus satisfaisante, les praticiens continueraient à passer à côté de certaines situations de violences conjugales :

« j’en loupe, de toutes façons on en loupe sans doute même à mon avis en dépistant très bien. » (E8).

Etaient ensuite interrogés les freins au dépistage des violences conjugales. Pour l’un des internes interrogés, le fait de voir la patiente accompagnée en consultation était perçu comme une difficulté, accentuée par le manque d’aisance ressenti pour demander à l’accompagnant de laisser la patiente seule avec le médecin : « dès qu’y a une personne autre, je ne peux pas. Enfin je me sens contraint » (E8). A l’inverse, pour un autre, c’est le fait de voir la patiente seule qui était un frein.

D’autres freins évoqués pouvaient être le manque de temps, la difficulté à construire une consultation permettant un dépistage plus systématisé ou la difficulté d’évoquer ce sujet lorsque le motif de consultation initial ne s’y rapportait pas.

La difficulté d’interroger un patient jusque-là inconnu a aussi été rapporté, avec une crainte quant à ce qu’il pourrait se demander : « Pourquoi elle me pose cette question ? » (E4). Ce sujet étant perçu comme particulièrement sensible, le simple de fait de l’aborder pouvait représenter une difficulté : « c'est pas facile, je pense, en tant que médecin aussi quand même enfin… d'absorber un peu les difficultés de violences conjugales. » (E13).

Enfin, les victimes pouvaient ne pas évoquer spontanément les situations subies mais pouvaient de plus tenter de cacher les séquelles de ces violences. Ces tentatives de dissimulations étaient perçues par les internes interrogés comme un symptôme de la honte ressentie : « ceux qui vont arriver à en parler spontanément, je suis pas persuadée que ça soit la majorité » (E7).

Malgré tous ces freins, un interne évoquait ce sentiment d’obligation à réaliser ce dépistage :

« de toutes façons, la question on est obligé de la poser ; que ça soit difficile ou pas, on n’a pas le choix » (E1).

A l’inverse d’autres éléments étaient perçus comme pouvant faciliter ce dépistage, notamment certains types de consultations. Pour certains, il apparaissait plus facile voire logique d’évoquer la possibilité de violences lors des consultations pour motifs gynécologiques, ces consultations étant l’occasion d’évoquer des aspects privés de la vie des patientes :

« quand on parle de contraception, de toutes façons on va l’évoquer facilement » (E5).

Pour ceux réalisant ce dépistage, les réponses étaient plutôt négatives, ce qui les interroge et les amène à remettre leur manière de dépister en question : « J’en ai pas vu beaucoup pour le moment, j’explique pas trop. Soit je dépiste pas assez et du coup j’en vois pas » (E7). A l’inverse, certains étaient surpris de la facilité avec laquelle les victimes semblaient se livrer une fois le sujet abordé. L’une des internes interrogées soulignait que

« c'est une question qu'il faut, à mon sens, poser au bon moment » (E13).

Ce dépistage n’apparait pas comme inné et les internes rapportaient avoir dû se former ou être en cours de formation sur ce sujet.

Cette formation ou sensibilisation a pu être réalisée de façon plus appuyée lors de certains stages comme ceux de gynécologie ou d’infectiologie au sein desquels la question de la sexualité et des violences sexuelles étaient plus facilement abordées.

Plusieurs internes interrogés ont évoqué le souhait de faire évoluer leur dépistage une fois installés. Pour certains le souhait de pratiquer un dépistage systématique était évoqué notamment au moment de la première rencontre : « si je m’installe bientôt, peut-être que les nouveaux patients que je connais pas » (E7).

Certains s’interrogeaient sur la façon dont ils posaient cette question en se reprochant son imprécision et le fait de la poser au milieu de beaucoup d’autres questions, quitte à prendre le risque de la noyer dans l’ensemble : « c’est mélangé avec : Est-ce que vous fumez ? Est-ce que vous buvez de l’alcool ? » (E5). Beaucoup remettent leur façon de dépister en question et évoquent non pas une unique façon de dépister mais plusieurs : « je suis pas sûre qu’il y ait une super recette … » (E7).

Quant aux modalités de réalisation du dépistage systématique, plusieurs pistes ont été évoquées : questionner les évènements traumatisants ou interroger la relation avec le conjoint : « on pourrait tomber sur des violences anciennes mais qui peuvent faire sens aujourd’hui encore » (E7).