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La démocratie : essai de définition

Chapitre IV À la recherche du vocabulaire de la démocratie

I. La démocratie : essai de définition

Qu’est-ce que la démocratie ? Quelle est l’origine de ce mot ? Quand a-t-elle fait son apparition dans la langue française ? Quels sont les moments saillants ayant marqué l’histoire de ce concept ?

La définition de ce concept est peut-être l’une des plus faciles car le constat qui s’impose, après la consultation des différents dictionnaires, livres de spécialité et encyclopédies, est qu’il y a une convergence de points de vue concernant le sens du mot « démocratie ».

Ainsi, pour le dictionnaire Le Petit Robert, la démocratie est une « doctrine politique

d'après laquelle la souveraineté doit appartenir à l'ensemble des citoyens; organisation politique (souvent, la république) dans laquelle les citoyens exercent cette souveraineté »233.Les auteurs de ce dictionnaire illustrent cette définition par des exemples

mais ils ne donnent pas de synonymes. Seuls les cinq antonymes suivants sont proposés en bas de l’article : « aristocratie, monarchie, oligarchie, fascisme, totalitarisme».

Le Nouveau Littré, pour sa part, propose trois définitions pour l’entrée « démocratie ». C’est un : «1. gouvernement où le peuple exerce la souveraineté.

2. Société libre et égalitaire où l’élément populaire a l’influence prépondérante. 3. Régime politique dans lequel on favorise les intérêts des masses »234.

233 Le Petit Robert 2014, version électronique.

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En revanche, le dictionnaire Hachette rejoint en quelque sorte Le Petit Robert en proposant à peu près la même définition. C’est un « régime politique où la souveraineté est

exercée par le peuple »235.

C’est la même définition que nous retrouvons d’ailleurs dans Le Grand Larousse encyclopédique mais avec plus de précision. Pour ce dictionnaire, la démocratie est un « régime politique dans lequel le peuple exerce sa souveraineté lui-même, sans

l’intermédiaire d’un organe représentatif (démocratie directe) ou par représentants interposés (démocratie représentative) »236.

En d’autres termes et pour résumer les différentes définitions proposées par les dictionnaires de langue, nous pouvons dire que la démocratie est tout simplement l’exercice du pouvoir par le peuple qui participe à la gestion des affaires de l’État soit directement soit par le biais de ses élus.

Par ailleurs, les dictionnaires et certains livres de politique ne s’éloignent pas trop de cette définition mais développent le concept de démocratie de manière approfondie en distinguant notamment plusieurs types de démocraties. Nous allons donc essayer de reprendre quelques exemples de définitions fournies par ceux-là mêmes qui sont au cœur de la démocratie, en l’occurrence, les spécialistes en politique. Commençons par le Dictionnaire de la pensée politique de Dominique Colas qui rejoint d’ailleurs Alexis de Tocqueville et qui pense que : « la démocratie ne définit pas seulement une forme de gouvernement : elle est un

type de société »237. Ce qui veut dire que la démocratie est à la fois le pouvoir, incarné par les différentes institutions qui fonctionnent de manière démocratique, et le peuple qui est derrière ce pouvoir. La deuxième définition, fournie par un autre dictionnaire de spécialité, replace le concept de démocratie dans le cadre de la légitimité et de la finalité. Ainsi, ce concept

« désigne d’une part, au regard de l’observation empirique, un type de régime représentatif doté présentement du monopole de la légitimité politique dans la plus grande partie du monde, et d’autre part une sorte d’idéal, de valeur, de principe ou, encore, de finalité quelque peu téléologique »238. Dans ce cas, la démocratie est appréhendée selon deux critères : celui

de la légitimité du pouvoir qui pratique ce mode de gouvernance : un pouvoir généralement légitime, c’est-à-dire choisi par le peuple et celui de la finalité qui s’exprime à travers ce qui est visé par cette politique, autrement dit : les droits de l’homme, l’égalité et tout ce qui touche aux libertés fondamentales.

235 Dictionnaire Hachette 2012.

236 Le Grand Larousse encyclopédique, 2007.

237 D. Colas, Dictionnaire de la pensée politique : auteurs, œuvres, notions, Paris, Larousse-Bordas, 1997.

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Nous pouvons ajouter aussi la définition donnée par Philippe Raynaud et Stéphanie Rials selon qui, « la démocratie ne désigne plus un régime parmi d’autres, mais semble être

l’horizon de tout ordre politique légitime »239. Autrement dit, un pouvoir choisi par le peuple suppose toujours l’existence de la démocratie et vice versa.

Il y aussi la définition proposée par Patrick Cabanel et Jean-Marc Février qui disent que la démocratie « paraît désormais désigner les vecteurs ou révélateurs de la volonté

démocratique (assemblées, votations, principe majoritaire, médias, juges, sondages, etc.) que cette volonté elle-même. […] Le terme renverrait moins au gouvernement (effectif) du peuple qu’à la manière dont sa volonté se trouve subsumée au travers d’un ensemble de procédés techniques de médiatisation »240. Cela signifie que cette notion se rapporte plus au cadre pratique, qui se manifeste à travers les structures démocratiques mises en œuvre, qu’au cadre théorique englobant les idéaux démocratiques et la souveraineté populaire.

Alain Touraine241, de son côté, souligne la nouveauté de la notion de démocratie dans le mesure où elle s’est affirmée suite à deux facteurs : l’effondrement des régimes totalitaires dans le monde et la victoire des États-Unis dans la guerre froide l’ayant opposée à la Russie. Il pense que la démocratie « s’impose aujourd’hui comme une forme normale d’organisation

politique, comme l’aspect politique d’une modernité dont l’économie de marché est la forme économique et la sécularisation l’expression culturelle »242.Pour cet auteur, il est clair que la démocratie représente la modernité par opposition aux temps écoulés caractérisés par le totalitarisme et qu’elle est basée d’un côté sur un système économique précis et de l’autre sur les valeurs culturelles de la laïcité. Pour lui, « le pouvoir du peuple ne signifie pas, pour les

démocrates, que le peuple s’assoit sur le trône du prince, mais, comme l’a dit Claude Lefort, qu’il n’y a plus de trône. Le pouvoir du peuple signifie la capacité pour le plus grand nombre de vivre librement, c’est-à-dire de construire leur vie individuelle en associant ce que l'on est et ce qu’on veut être, en résistant au pouvoir au nom à la fois de la liberté et de la fidélité à un héritage culturel »243.Le maître-mot de la démocratie est donc la liberté de toute contrainte

venant du pouvoir ou pour dire les choses autrement c’est la suppression pure et simple des contraintes.

Nous pouvons encore prendre la définition suivante qui donne plus d’éclaircissements quant au rôle de chacun dans un régime démocratique : « la démocratie semble être, dans son

239 P. Raynaud, S. Rials (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 1996.

240P. Cabanel et J.-M. Février, Questions de démocratie, Toulouse, Presses universitaire du Mirail, 2000, p.18.

241 A. Touraine, Qu’est-ce que la démocratie ?, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1994, p. 15.

242 Ibid.

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principe, la façon la plus séduisante d’organiser le pouvoir dans une société : le peuple se gouverne lui-même ou par ses représentants et chacun, étant à la fois gouverné et gouvernant, apprend à tenir compte de l’intérêt général aussi bien que de ses intérêts individuels »244.

Nous pouvons également prendre la « Déclaration universelle sur la démocratie »245 et y relever tous les principes sur lesquels est basée la démocratie. Il faut juste noter que cette déclaration est structurée en trois parties : une partie qui porte sur les principes de cette notion, une autre sur les éléments et la manière d’exercer la démocratie et une autre encore concernant le caractère international de la démocratie. Ce qui est intéressant dans cette déclaration est que tous les principes sont présentés sous forme de points, 27 en tout.

 La démocratie, qui se présente comme un « idéal », a un caractère universel regroupant tous les peuples autour de principes communs. C’est un droit inaliénable de toute personne et il doit être appliqué librement, de manière égale et transparente et ce, en respectant toutes les tendances.

 Elle renvoie à une manière de gouverner qui prend en compte, dans son application, l’ensemble du vécu et des différences de chacun. Elle renvoie à une situation s’améliorant continuellement et se présentant comme tributaire du politique, du social, de l’économique et du culturel.

 C’est une politique visant la sauvegarde et la promotion des droits de l’homme. Elle prend en considération la justice, l’économie et la paix.

 Elle est basée sur le concours à la fois égal et complémentaire des hommes et des femmes.

 La démocratie est le garant d’un accès légitime au pouvoir basé sur le pluralisme politique, la liberté et la volonté populaire.

 La démocratie et les droits de l’homme sont inséparables.

 Le principe de la démocratie est basé sur le droit et l’égalité de tous devant la loi.

La « paix et le progrès » économique, socioculturel sont à la fois la cause et l’effet de la démocratie. « Il y a véritablement interdépendance de la paix, du développement,

du respect de l’Etat de droit et des droits de l’homme. »246

244 J.-V. Holeindre, B. Richard, La démocratie : histoire, théories, pratiques, Paris, Sciences Humaines Editions, 2010, p. 5.

245 Adoptée par le Conseil interparlementaire, Le Caire, 1997, http://www.ipu.org/cnl-f/161-dem.htm, (Consulté le 15/11/2015).

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 La démocratie tient son essence de l’Etat de droit basé sur la volonté du peuple connaissant parfaitement ses droits et devoirs.

 La démocratie vise à pondérer les forces politiques en prenant en considération toutes les différences et en assurant au maximum l’unité de la société.

 Elle nécessite l’existence de représentants du peuple chargés de concocter des lois et de contrôler le travail de l’exécutif.

 La démocratie est basée sur des élections où le peuple choisit librement, grâce au « suffrage universel », ses représentants.

« L’une des fonctions essentielles de l’Etat de droit est de garantir à ses

citoyens la jouissance des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. La démocratie va dès lors de pair avec un gouvernement efficace, intègre, transparent, librement choisi et comptable de sa gestion. »

 L’Etat doit rendre des comptes aux citoyens qui ont le droit de regard sur toutes ses actions.

« La vie publique doit être » à la fois éthique et transparente.

 Chacun a le droit de « participer » à la gestion de l’Etat dans un esprit d’équité et d’impartialité.

 Le pouvoir judiciaire doit être souverain, indépendant et écouté par tout le monde.

La démocratie est basée sur « l’égalité, la transparence et l’éducation. » La démocratie est une notion qui doit s’apprendre.

Elle dépend largement d’une bonne économie.

Elle suppose l’existence de la « liberté d’opinion et d’expression. »

 La démocratie a pour rôle de promouvoir le concours du peuple pour préserver « la diversité, le pluralisme et le droit à la différence dans un climat de tolérance. »

 La gestion de l’Etat doit être décentralisée pour permettre la participation de la société.247

 La démocratie a aussi un caractère international en ce sens où elle est « applicable aux organisations internationales et aux Etats dans leurs relations

internationales. »

La démocratie respecte le facteur humain et son intérêt.

La démocratie internationale se plie aux lois et aux règles internationales.

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 La défense de la démocratie dans les relations entre les Etats.248

Cette déclaration nous fournit on ne peut mieux tous les ingrédients qui entrent en quelque sorte dans la composition de la démocratie. En plus des éléments que nous avons abordés plus haut, comme, entre autres, les différents droits de l’homme et la liberté, ce texte, qui s’apparente à un mode d’emploi de la démocratie, nous renseigne sur le fait que ce mode de gouvernance doit prendre en compte la justice, l’économie et la paix. Ces trois éléments sont à la fois les prémices et la finalité de toute démocratie.

Dans la deuxième partie, par contre, nous découvrons comment fonctionne la démocratie dont le noyau central doit être le peuple. Celui-ci est appelé à connaître parfaitement ses droits et ses devoirs. Il doit se montrer également capable de contrôler le pouvoir en place. Cela nous rappelle les propos de Chérif Bassiouni qui dit que « la

démocratie ne peut exister sans la société civile, et la société civile ne peut exister sans une population qui a la volonté et la capacité d’en défendre les valeurs et les institutions. »249

Donc, la première négation de la démocratie, c’est l’apathie politique du peuple.

La troisième partie, quant à elle, définit les mécanismes de la démocratie sur le plan international. Ce mode de gouvernance dépasse donc les frontières des Etats qui sont soumis, dans leurs relations, aux principes démocratiques. Mais, sans vouloir rentrer dans le débat qui a fait rage ces dernières années dans le monde, à propos de la démocratie, il est curieux de constater que le dernier point de la troisième partie prête à équivoque. Le fait de défendre la démocratie, au niveau international, suppose-t-il l’immixtion dans les affaires internes d’un État ? Les événements, ayant secoué le monde en particulier en Libye et en Irak, relèvent-ils de ce principe ? Nous avons vu qu’au nom de la démocratie ces deux Etats ont été envahis. Comment pourrions-nous qualifier cela ? Est-ce cela la démocratie ? De quelle démocratie s’agit-il ? De la démocratie par la force ? Toutes ces questions restent malheureusement sans réponse et les faits parlent d’eux-mêmes.

Le plus intéressant dans cette déclaration, c’est qu’elle propose une définition complète de la démocratie. Elle fournit pratiquement tous les détails sur son application.

Maintenant que nous avons relativement cerné le concept de démocratie, nous devons faire le point sur son parcours historique. À quelle époque remonte la création de ce concept ? À qui doit-on sa création ? Et qu’en est-il de nos jours ?

248 Ibid. Troisième partie : 4 points.

249 C. Bassiouni, « Vers une déclaration universelle sur les principes fondamentaux de la démocratie : des principes à la réalisation », in « La démocratie : principes et réalisation », Genève, Union Interparlementaire, 1998.

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Selon le dictionnaire Larousse250, qui divise l’histoire de la démocratie en trois périodes, la création de cette notion remonte à l’époque antique où les Grecs appliquaient une sorte de démocratie directe basée sur la participation des citoyens à la gestion des affaires de la cité. Il est à noter que les femmes et certaines catégories d’habitants de la Grèce antique, notamment les esclaves, n’avaient pas le droit de prendre part à la gestion en question et que l’élection avait peu d’importance. Pour ce qui est de la période du Moyen-Âge, dans l’ensemble, l’Europe ne suivait pas, dans sa totalité, cette politique. À part quelques villes disséminées çà et là, le reste était soumis à d’autres manières de gouverner. C’est durant la période moderne que la première vraie démocratie représentative apparaît en Angleterre au XVIIe siècle plus exactement. Un siècle après, Jean-Jacques Rousseau réintroduit, dans son livre le contrat social, le principe de démocratie directe basée sur le « suffrage universel » et la « règle de la majorité ». Mais le vrai succès de cette politique va s’affirmer entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle en Amérique où l’insurrection des colons anglais a eu pour conséquence la publication d’une « Déclaration des droits » en 1776. Cette Déclaration a servi de référence pour la « Constitution démocratique des Etats-Unis ». Treize ans après la parution de cette déclaration, une autre, plus générale, voit le jour cette fois-ci en France lors de la Révolution de 1789. Il s’agit de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Cependant, il aura fallu attendre 1848 pour voir se concrétiser le principe du suffrage universel d’abord en France puis un peu partout en Europe au début du XXe siècle. Ce siècle a vu aussi la notion de démocratie se mettre en déroute à cause notamment des politiques fasciste, nazie et stalinienne. Cette dernière a même été à l’origine de l’apparition de la démocratie populaire ou socialiste, appliquée après la Seconde Guerre mondiale en URSS et en Chine. Bien qu’elle ait été qualifiée de démocratie, cette politique socialiste a été jugée plus tard antidémocratique.

De nos jours, la référence en matière de démocratie est la démocratie libérale basée sur « les libertés fondamentales (liberté de penser, garanties contre l’arbitraire, liberté de la

presse, liberté de réunion, etc.), la séparation des pouvoirs (exécutif et législatif, principalement), le suffrage universel, l’organisation d’élections libres et régulières et le multipartisme »251. De nos jours aussi, il s’avère que cette notion a des défenseurs –sont-ils sincères ?- sur la scène mondiale, des défenseurs incarnés par les puissances de ce monde et à leur tête les Etats-Unis d’Amérique qui se sont autoproclamés gardiens de la démocratie ou,

250Le Grand Larousse encyclopédique, 2007.

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pour reprendre l’expression de Nicolas Guilhot252, « faiseurs de démocratie ». Ils mènent même des guerres (en Afghanistan, en Irak, en Libye) pour, affirment leurs représentants officiels, combattre le terrorisme, les pays qui constituent l’axe du mal et y installer la démocratie. Mais c’est l’effet inverse qui s’est produit : au lieu de la démocratie, les habitants de ces contrées ont eu droit au chaos. Abstraction faite des tenants et aboutissants de cette guerre contre « l’axe du mal », il importe de noter que la démocratie est aujourd’hui une condition sine qua non pour se mettre au diapason du parangon politique universel. Parce que refuser d’appliquer une telle politique pourrait être source de danger. Ainsi, nous assistons dans le monde d’aujourd’hui à une démocratie par la force, ce qui est complètement contradictoire avec les idéaux de cette notion.

Après avoir défini cette politique et retracé son histoire, il nous semble nécessaire d’aborder les différents types de démocratie existant dans le monde. Pour ce faire, nous nous sommes appuyé sur le Dictionnaire253 de la science politique et des institutions politiques.

II. La démocratie au pluriel