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E. ORGANISATION DU DOCUMENT

1.3 LES ATTENTES DES COLORISTES ET LES METHODES DE

1.3.2 Les démarches formalisées de conception de la coloration des

1.3.2.3 La démarche de Jacques Fillacier

Dans son ouvrage intitulé “La pratique de la couleur”, Jacques Fillacier ne nous livre pas explicitement une modélisation du processus de la coloration d’un produit ou d’un espace architectural. Cependant, au fil des chapitres, le lecteur peut découvrir des phases de conception qui, regroupées, peuvent constituer les jalons d’un modèle du processus de conception à l’usage des “enseignants et étudiants, [des] plasticiens et ingénieurs”. C’est ce que nous proposons avec la présentation des cinq phases ci-dessous :

1.3.2.3.1 Présentation

Phase 1 : définition des finalités de l’étude ou “les 36 raisons de la coloration d’une

surface” [FILLACIER, 1986, p.4]. Pour quelles raisons veut-on mettre en couleur un produit, un espace? L’auteur explique que la réponse à cette question est toujours possible et propose quelques causes :

“pour faire naturel, pour répondre à une fonction, par économie, par indifférence, parce que l’on dispose d’un pot de cette couleur, par erreur, pour changer, pour camoufler, pour faire comme le voisin, pour ne pas faire comme le voisin, pour vendre, pour casser le gigantisme, par mimétisme, par tradition, par symbolisme, par analogie, par superstition, par mysticisme, par sentiment esthétique, par obligation, par analyse rationnelle, pour plaire à …” [FILLACIER, 1986, p.4, 5,6] Nous proposons au praticien de la couleur de se poser cette question dès le début de l’étude. Ses réponses lui permettront de définir le ou les buts du projet. Il aura alors un cap qu'il essaiera de tenir par-delà les méandres de la conception.

Phase 2 : la constitution d’une équipe pluridisciplinaire

Compte tenu de la complexité du phénomène coloré et du processus de conception de la coloration d’un produit, l’auteur, en s’appuyant sur les travaux de Michel Degrange [1992], conseille de rassembler une liste, la plus exhaustive possible, de spécialistes et d’en extraire pour une opération donnée, les personnes les plus pertinentes. Il constitue ainsi une équipe pluridisciplinaire à structure variable. C’est la formation d’une telle structure qui “offre les meilleures garanties pour mener à bien une étude” [FILLACIER, 1986, p.103, 106].

Phase 3 : le choix d’une ou de plusieurs éthiques de conception

Jacques Fillacier propose de définir l’éthique de conception comme la cohérence consciente ou inconsciente des actions de conception d’un concepteur. Ainsi :

« colorer un objet ou choisir un objet pour sa couleur peut être un acte conscient comme c’est le cas pour toute réalisation professionnelle, ou simplement un réflexe instinctif apparemment non contrôlé, bien que tout deux consciemment ou non peuvent se définir par une éthique.»

- 30 - Problématique

Il mentionne et décrit sommairement les éthiques dominantes en Europe et en Amérique du Nord : le fonctionnalisme, la standardisation, le symbolisme, la psychologie, le purisme, l’esthétique, le laxisme… Ainsi, le coloriste, qu’il le veuille ou non s’appuie sur une ou plusieurs éthiques pour réaliser son étude. Il est important qu’il en prenne conscience pour mieux juger ce qu’il propose.

Phase 4 : la sélection de critères de conception

Une fois une éthique de conception choisie, l’équipe de conception se doit d’exploiter les critères qui seront “la base des réflexions qui susciteront la proposition d’une certaine couleur” [FILLACIER, 1986, p.106]. Les critères permettent, dans un premier temps, d’orienter la conception et dans un second temps, de sélectionner les conceptions les plus adaptées au projet. Si l’éthique de conception fixe le déroulement du projet par rapport aux philosophies du concepteur, le critère, lui, va orienter les choix de conception par rapport aux spécificités du projet et de son contexte.

L’ensemble des critères possibles n’est pas fini et la validité de chacun d'eux est liée à l’environnement socioculturel autant qu’aux attentes de l’entreprise. Citons quelques critères relevés par l’auteur à titre d’exemple : la pollution, la fiabilité dans le temps, le coût, la fonction, l’ergonomie physiologique, l’impact psychologique, l’intégration sociologique…

Phase 5 : la hiérarchisation des critères et le choix des teintes

Tous les critères identifiés n’ont pas la même valeur pour les décideurs du projet de coloration. Il faudra donc les hiérarchiser afin d’en pondérer l’importance.

Phase 6 : composition et psychométrie

La mise en couleur d’un produit ne se résume que rarement au choix d’une seule teinte. Sur un même produit, l’utilisateur devra distinguer des inscriptions, des boutons, des pièces mobiles et d’autres fixes, des informations lumineuses, un graphisme esthétique et/ou fonctionnel, etc. Certains de ces contrastes de couleurs seront dictés par des critères ergonomiques d’autres par des critères esthétiques mais tous (sauf dans certains cas particuliers de téléreconnaissance robotique ou de produits destinés aux animaux) seront ultimement évalués et appréciés par un oeil humain. Pour ce, Jacques Fillacier a consacré plus de douze années de recherche à une science : la psychométrie. La psychométrie relie les mesures physiques du phénomène coloré (la colorimétrie) aux perceptions humaines de la couleur. C’est grâce à la psychométrie que l’on peut identifier des harmonies composées de teintes équidistantes perceptivement. Les échelles de mesure colorimétriques ont été modifiées pour prendre en compte la résolution et les performances de la perception humaine des couleurs.

Les échelles psychométriques des clartés et les cercles psychométriques des tonalités permettent au concepteur de proposer des harmonies et des contrastes de couleurs en accord

avec notre perception afin de susciter des sensations de complétude, de progression équilibrée ou de distinction harmonieuse…

« L’assemblage de plusieurs couleurs sur une surface présente un nombre de combinaisons plus ou moins considérable. Le choix de ces couleurs et de leur disposition engendrent chez le spectateur des réactions psychologiques plus ou moins conscientes allant du ravissement à l’aversion (niveau sensoriel), de la limpidité à l’incohérence (niveau mental). La couleur est à la fois “spectacle” et “discours” rarement seulement l’un ou seulement l’autre » [Jacques

FILLACIER, 1986, p.87]

Phase 7 : similitude et différence, la contretypie de la couleur

« Ce serait un truisme d’énoncer que la pratique du coloriste-conseil repose sur les principes de similitude ou de différence, car il est évident que, soit on copie une couleur, soit on en crée une autre ; mais dans la réalité, chacune de ces deux options pose d’importants problèmes techniques qu’il nous faut dominer. Ces problèmes sont toujours délicats, ils sont parfois insurmontables.» [FILLACIER, 1986, p.115]

Dans l’industrie, la constance de la couleur est exigée afin de reproduire à l’identique le modèle défini lors de la conception. Or comme le souligne l’auteur, “l’identité de deux couleurs fait intervenir un nombre de paramètres atteignant l’irrationalité. Les plus courants sont : les colorants, les liants, l’aspect de surface, le support, les modes d’application, etc. auxquels peuvent s’ajouter les conditions d’exposition, de manipulation, etc."

Aussi, le travail de l’équipe de conception doit-il se poursuivre jusque dans l’établissement de tolérances au niveau de la mesure colorimétrique des teintes afin d’évaluer les écarts perceptivement admissibles.

Phase 8 : communication des propositions de coloration : technique du "rendu"

Dans le jargon professionnel des coloristes et des designers, le mot "rendu" signifie “l’ensemble des documents livrés au client”. Jacques Fillacier propose quelques critères de qualité non exhaustifs auxquels doivent répondre les documents du "rendu" :

- visualiser : “permettre aux intéressés de percevoir clairement les propositions” [FILLACIER, 1986, p.122]. Ceci peut se faire sous forme de maquettes, de vues en perspective, de plan en couleurs ou de rendus réalistes informatiques en deux ou trois dimensions.

- informer : “permettre aux entreprises chargées de la réalisation d’avoir une vision globale de leur intervention” et de disposer des informations nécessaires à la mise en oeuvre "à l’identique" de la recommandation (nuanciers, nomenclature précise des couleurs des pièces, etc.). Informer, c’est aussi transmettre l’intelligence de la recommandation, son parti pris plastique, son objectif, etc. Ceci par exemple, pour permettre, si des ajustements de teintes sont nécessaires, de ne pas remettrent en cause la cohérence de la solution.

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Jacques Fillacier a validé l’opérationnalité et l’adaptabilité de cette démarche au cours de dizaines d’années de pratique, dans les domaines de la décoration, de l'architecture et du design industriel. La psychométrie, comme il le précise à l’issue de son ouvrage, peut trouver des applications en peinture, en architecture, en décoration, en design, en publicité, en illustration, en scénographie, au cinéma, à la télévision, etc. Les industries concernées directement ou indirectement par la couleur sont nombreuses : fabriques de peintures, d’encre, fabriques de textiles, fabriques de papiers, de plastiques, de jouets, de matériaux du second oeuvre, l’éclairagisme, la cosmétique…

La créativité que la démarche suscite est intéressante pour le concepteur. Loin de l’enfermer dans une méthode séquentielle et purement déductive, cette démarche lui propose d’expliciter ses choix de conception à l’aide d’une éthique et de critères. De plus, le concepteur se voit proposer une théorie des couleurs, la psychométrie, qui l’aide à créer des groupements de couleurs harmonieux. Cependant, les lois de la psychométrie ne sont pas les seules lois d'harmonie et de composition et ce serait adopter une attitude peu créative de s'y restreindre systématiquement.

1.3.2.3.3 Conclusion

Comme nous l’avons précisé en introduction, cette démarche n’est pas explicitement formalisée et préconisée dans l’ouvrage “La pratique de la couleur”. Cependant l’auteur expose des méthodes, des outils et des recommandations de conception qui nous sont apparus constituer les étapes d'un processus de coloration des produits. Il milite pour une reconnaissance du professionnalisme des coloristes. Ils ont une pratique sociale de la couleur à travers les colorations d’architectures ou de produits industriels – par opposition à l’artiste qui a une pratique personnelle de la couleur à travers la mise en couleur de ses oeuvres. Le coloriste conseil “ne se borne pas à fournir une solution à un problème posé”, il analyse la manière dont ce problème est posé et il contrôle les motivations qui l’ont suscité [FILLACIER, 1986, p. 97].