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Délégué Général, Architecture et Développement

Introduction

L’engouement actuel pour la préservation et le classement de sites culturels et historiques fait du patrimoine une des valeurs incontournables de nos sociétés modernes. Aujourd’hui, le patrimoine se présente comme un vecteur d’identité et de sociabilité dans un monde complexe, en recherche de repères et de liens, voire d’unité.

Le patrimoine est aujourd’hui régi par des théories de conservation et de restauration inspirées des débats du XIXe siècle et obéit à des conventions internationales. Ces théories et pratiques, pertinentes certes, restent cependant enfermées dans un milieu de professionnels, sans contact avec ceux qui pratiquent le patrimoine, c’est à dire, les usagers. (visiteurs, touristes mais aussi et surtout habitants). Se pose ainsi la question de l’adaptabilité aux villes africaines des critères d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. De même, le patrimoine procédant actuellement davantage de décisions administratives étatiques gagnerait à une plus grande implication populaire, collective et citoyenne.

Au-delà de la question de savoir quel patrimoine protéger et comment, tout l’enjeu est de démontrer le lien qui existe entre patrimoine et développement social et urbain. Comment le patrimoine valorisé d’une ville peut-il devenir un outil de compréhension du milieu urbain pour les villes africaines ? C’est pour répondre à ces enjeux qu’il est nécessaire de recentrer la mise en valeur du patrimoine dans la problématique du développement local d’une ville. La notion de patrimoine fait aussi bien référence aux constructions monumentales qu’aux habitations ou quartiers locaux témoignant de l’héritage culturel et historique d’une ville. Il s’agit de réconcilier le patrimoine tangible d’une ville avec ses fonctions principales (fonctions de logement, d’accueil, de services, d’emploi ) et ses habitants. Recadrer le patrimoine dans une problématique générale de développement urbain en fait alors une préoccupation majeure pour les élus et les habitants et participe à un processus de réappropriation du patrimoine par le niveau local.

Les organisations non gouvernementales (ONG) collaborent de plus en plus avec les gouvernements locaux, même si elles se caractérisent par leur non-appartenance à un système gouvernemental central. Cette modalité d’action les rapproche ainsi d’une dynamique plus appropriée à un processus de démocratie participative. Elle leur confère également une marge de manœuvre importante, en leur permettant de naviguer entre interlocuteurs formels et officiels ou moins structurés. Cette position médiane entre acteurs plus ou moins institutionnels et entre réseaux du Nord et du Sud, n’est pas sans conséquence sur leur conception du patrimoine qui se nourrit, de fait, des contacts et échanges avec les différents partenaires.

1. Une définition dynamique du patrimoine adaptée aux réalités des villes africaines

Les enjeux de la définition du patrimoine et de son appropriation

Le patrimoine africain est, pour une grande partie, d’ordre symbolique et étroitement lié à l’organisation sociale de la société africaine comme le met en avant l’UNESCO.

Rappelons ici le sens du patrimoine : le

« patrimonium » latin est l’héritage du père, ce qui nous vient de nos ancêtres et qui constitue une référence fédératrice pour une communauté. A travers la référence à un patrimoine commun, se dessine donc un groupe soudé par les mêmes préoccupations et intérêts pour cet objet concret ou symbolique, ses différents membres s’y reconnaissent et ils cherchent à le protéger pour des raisons identitaires. Le patrimoine prend alors vie dans la relation qui se crée entre les différents membres d’un tel groupe soudé par un attachement commun à un espace ou à une façon particulière de l’occuper. C’est à travers cette dynamique même de patrimonialisation que les habitants se réapproprient symboliquement leur espace et qu’une action sur l’habitat typique ou sur certains quartiers peut trouver une réponse motivée chez la population. Une telle dynamique de patrimonialisation favorise alors un esprit de cohésion entre les habitants et leurs élus locaux, autour d’un espace et de ses bâtis, soit un milieu propice à un développement local durable. Ainsi, une action véritable sur le patrimoine ne peut se concevoir sans la participation des habitants qui, les premiers, définissent ce qu’ils reconnaissent comme patrimoine commun, et des élus locaux : toute approche exogène se trouve dépourvue non seulement de légitimité mais surtout de sens.

Il ressort finalement que chaque processus de patrimonialisation, parce qu’il est lié à l’histoire d’un site et de ses habitants, est original. Dans ce cadre, les modèles de projets,

les pratiques données comme bonnes risquent toujours d’être inadaptées au contexte en question. Mais si les dynamiques à l’œuvre ne peuvent prétendre au statut de modèles à suivre, elles peuvent au contraire, et à juste titre, être présentées pour illustrer l’originalité multiforme des processus en cours. C’est dans cette perspective là que les échanges d’expériences revêtent tout leur intérêt et que A&D propose des projets sur le patrimoine fondés sur la mobilisation des personnes et des savoir-faire.

« Patrimoine et habitat populaire »

L’engouement actuel pour la préservation et le classement de sites culturels et historiques, tout comme le développement d’un certain tourisme culturel, sont trop souvent dépourvus d’une vision globale de la ville, provoquant par là-même une rupture entre les sites et leur environnement. Si les procédures de classement contribuent incontestablement à la renommée du site en question attirant nombre de touristes internationaux, les retombées économiques locales ne se révèlent guère proportionnelles à son prestige mondial. L’offre patrimoniale ainsi ébauchée vient satisfaire une demande extérieure, sans répondre aux attentes exprimées localement, si bien que le site qu’on cherche à protéger se trouve finalement déconnecté, d’une part, de la ville dans laquelle il se trouve, de fait, inscrit, et, d’autre part, des préoccupations de ses habitants.

Or, il ne s’agit pas de faire de la ville un musée, de la figer dans une contemplation historique sans rapport avec son contexte social et économique actuel. Au contraire, la valorisation du patrimoine doit être vécue au présent par ses habitants, dont l’intérêt est suscité dans la mesure où elle produit un impact sur le développement local. Recadrer le patrimoine dans une problématique générale de développement urbain en fait alors une préoccupation majeure pour les élus et les 74

habitants et participe à un processus de réappropriation locale du patrimoine. Le lien entre patrimoine et développement peut donc exister d’autant plus fortement au-delà du simple développement d’une activité touristique.

Dans cette perspective, la réhabilitation du patrimoine, étendu à l’habitat en plus du patrimoine monumental, peut participer au développement urbain d’une ville, en ce sens qu’il peut permettre de relier « préservation du passé » et un « mieux vivre » au présent.

Habiter le patrimoine et considérer l’habitat comme du patrimoine constituent des objectifs essentiels d’action. La valorisation du patrimoine africain peut devenir une clé de compréhension pour agir sur les problèmes actuels liés au développement urbain.

Patrimoine et modernité

On oppose trop souvent patrimoine et modernité. Or, l’objectif n’est pas de construire en reprenant uniquement des techniques traditionnelles pour les faire perdurer, au déni des aspirations populaires à un mieux-être et à plus de confort. Il s’agit d’allier respect de l’architecture typique aux besoins actuels exprimés par la population. La mise en valeur du patrimoine architectural ne s’entend donc pas comme antinomie du progrès : le patrimoine n’est pas figé dans le passé, dans l’ensemble vivant que forme la ville africaine.

Le patrimoine comme outil d’un meilleur diagnostic urbain

Pour que la valorisation du patrimoine contribue directement au développement urbain, il est essentiel de réconcilier le patrimoine tangible d’une ville avec ses fonctions principales et de recadrer le patrimoine dans une problématique générale de développement urbain et de structuration urbaine. La valorisation du patrimoine africain peut être alors un outil de diagnostic et d’analyse des problèmes actuels liés au développement urbain. Au-delà du diagnostic, il

s’agit également de doter les collectivités locales d’outils de planification urbaine (information-formation) et de favoriser la création d’une filière locale de la réhabilitation.

La valorisation du patrimoine devient ainsi un outil de compréhension et donc de maîtrise urbaine (gestion de l’étalement urbain, question des logements), mais aussi de développement touristique et économique. Ce processus passe par une concertation permanente entre les différents acteurs locaux, au sein de la commune ou de la région. Le patrimoine peut à ce titre constituer un thème fédérateur et fournir un outil de décentralisation. Ce type d’approche peut être développée à toutes les échelles, - du monumental au banal. Les projets de protection et valorisation du patrimoine évoluent dans le sens d’une convergence avec les politiques de développement social urbain. On intègre en effet de plus en plus des constructions moins monumentales, comme les habitations typiques, des quartiers plus populaires, qui témoignent tout autant de l’héritage culturel et historique d’une ville.

2. L’exemple de la démarche mise en place à Kayes

Dans le cadre de la coopération entre la Communauté d’Agglomération d’Evry et la Commune de Kayes, entre le Conseil Régional d’Ile de France et l’Assemblée Régionale de Kayes, Architecture & Développement propose la réalisation d’un diagnostic du patrimoine bâti et de l’habitat urbain à Kayes, permettant de mettre en valeur les problèmes fonciers, techniques et architecturaux, les difficultés socio-économiques des résidents ou propriétaires et les dysfonctionnements urbains (concernant notamment les espaces publics).

Pour préparer au mieux ce diagnostic, A&D a organisé du 10 au 12 décembre 2003 un séminaire de sensibilisation des élus locaux à Kayes. Ce séminaire visait à ouvrir un débat autour de la notion de patrimoine en =réunissant

les différents niveaux d’acteurs Le patrimoine est en effet un thème transversal, qui se prête particulièrement au dialogue dans le sens où il touche à différents domaines d’action et de compétences. L’objet du séminaire, à cet égard, était de mieux comprendre la perception des élus et des habitants et d’ analyser de façon collective ce que recouvre pour eux le terme de

« patrimoine », la construction symbolique qu’ils en font. Il s’agit avant tout de démontrer que ce thème ne touche pas qu’une seule partie de la population.

Ce travail de sensibilisation et de mobilisation des acteurs locaux est une étape indispensable pour réaliser un diagnostic partagé. Il s’agit dans un premier temps d’identifier avec les acteurs locaux les enjeux de l’investissement des pouvoirs publics, puis de recenser les filières et compétences locales sur lesquelles le projet peut s’appuyer.

L’objectif d’un séminaire de ce type est également de favoriser l’échange de savoir-faire, d’expériences et de compétences entre acteurs locaux de villes différentes pour faire émerger un projet qui soit le plus en adéquation possible avec le patrimoine de la ville en question (présence d’intervenants extérieurs au séminaire).

Ce séminaire visait à poser les fondements d’un projet de développement fondé sur le patrimoine, dont l’objectif principal serait d’améliorer les conditions d’habitat tout en préservant le caractère architectural de celui-ci.

L’habitat est considéré ici comme un vecteur d’intégration sociale et urbaine permettant de stimuler le développement économique local. La valorisation du patrimoine habité peut participer directement à la lutte contre la pauvreté urbaine par l’amélioration des conditions d’habitat des ménages. Dans cette optique, il est important de prendre en considération la valeur patrimoniale des typologies et de l’identité urbaine de Kayes, pour promouvoir une architecture culturellement marquée et appropriée aux modes et conditions de vie des habitants.

Conclusion

Les exemples des problématiques actuelles posées par les projets en matière de patrimoine dans les pays du Sud reflètent bien la difficulté du passage du « global » au

« local ». Quelle pertinence pour des critères universels ? Comment cette notion peut-elle

« servir » le développement local d’une ville ? La démarche que nous souhaitons impulser au travers d’un séminaire de sensibilisation tel que celui de Kayes est celle d’un processus, comme base fondatrice d’un futur projet. Un projet n’est en effet pas seulement un produit mais une méthode de travail. Notre pratique du projet d’architecture nous amène à penser que nous pouvons agir de la même façon en matière de patrimoine.

La notion de patrimoine ne recouvre pas uniquement l’aspect technique de l’inventaire mais appelle aussi à d’autres réalités (enquêtes populaires, création d’un lieu de formation/ressources/conseil sur le patrimoine, propositions d’opérations pilotes).

Désormais, le lien qui existe entre développement urbain et patrimoine montre qu’il est nécessaire de penser le patrimoine en terme de projet, et de plus en plus en terme de projet de développement. L’enjeu est en effet de recentrer la mise en valeur du patrimoine dans la problématique du développement local d’une ville, de faire du patrimoine un outil de diagnostic urbain afin de mieux comprendre et ainsi de répondre aux problèmes posés par l’urbanisation des grandes villes africaines. Ceci nous amène à conclure sur l’équation suivante : projet d’architecture = projet patrimonial = projet de développement.

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Gorée patrimoine mondial au XXIe siècle : la réhabilitation de la