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Dégradation des minéraux argileux dans les sols irrigués : la ferrolyse A l’échelle du solum P6, les paramètres pédologiques montrent une grande variabilité en

4 Structures et fonctionnement des sols

4.2 Evolution des sols sous contraintes anthropiques

4.2.4 Dégradation des minéraux argileux dans les sols irrigués : la ferrolyse A l’échelle du solum P6, les paramètres pédologiques montrent une grande variabilité en

fonction de la profondeur et même de forts contrastes géochimiques, en particulier entre les horizons éluviaux et illuviaux, sous l’horizon de labour. Par rapport aux sols témoins non- irrigués, les horizons éluviaux des sols irrigués ont subi des modifications pédologiques importantes affectant non seulement leur (macro-et micro)morphologie, mais aussi et leurs propriétés physico-chimiques, ainsi que la composition minéralogique de la fraction argileuse.

En résumé, on observe dans les horizons E des sols contaminés :

1) une évolution minéralogique d’une smectite gonflante (présente dans le sol témoin) en

smectite intergrade alumineux présentant un comportement de type chlorite (Fig. 40, annexes - 2),

2) la diminution des teneurs en argile (Fig. 36),

3) la baisse de la CEC (Fig. 37),

4) l’augmentation des proportions d’Al et de Fe échangeables (Fig. 38),

5) une diminution en Fe libre, et un enrichissement relatif aluminium (Fig. 38),

6) le blanchissement très significatif des horizons éluviaux (Fig. 36).

Des études micromorphologiques menés sur plusieurs sols irrigués de la plaine de Pierrelaye (van Oort et al., 2008) avaient déjà suggéré la dégradation des revêtements d’argile à la transition entre horizons E et BT (Fig. 41). En microscopie optique, cette dégradation se distingue par (1) leur décoloration des revêtements par appauvrissement en fer (Fig. 41d), (2) le changement de l’aspect limpide et translucide (Fig. 41a,b) des revêtements intacts (flèches) en un aspect granuleux (Fig. 41c,d), sans biréfringence (flèches), et (3) la présence de fins revêtements de fer se superposant aux revêtements d’argile dans les grands pores au sein de l’horizon BT (Fig. 41a,b). L’ensemble de ces observations concernant les

changements pédogéochimiques dans l’horizon E, ainsi que les changements

micromorphologiques dans les horizons E et BT résultent du processus de ferrolyse.

Fig. 41. Images en microscopie optique polarisant d’assemblages d’argile dans l’horizon BT (13a,b) et dans l’horizon de transition E/BT (13c,d).

Le processus de ferrolyse a été proposé et explicité dans les années 1970 par R. Brinkman et

ses collaborateurs (1970, 1973, 1977a, b, 1979) dans des sols acides et humides présentant des contrastes texturaux importants, en particulier les sols de rizières en milieu tropical. Ce processus de ferrolyse consiste en une dissolution complète d’une partie ou de la totalité des minéraux argileux sous l’action de phases successives d’oxydo-réduction du fer, consécutives à des périodes d’engorgement temporaire et récurrentes. La ferrolyse nécessite des conditions d’hydromorphie associées à une importante activité microbienne, rendant les eaux de drainage pauvre en oxygène. Le processus de ferrolyse comprend deux étapes principales :

1) en immersion, des conditions réductrices s’installent, le fer est réduit en fer ferreux

(Fe3+  Fe2+ + e-) ; le Fe2+ se solubilise et s’adsorbe alors en partie à la surface des minéraux argileux sur le complexe d’échange, en remplacement d'autres cations ;

2) après ressuyage des sols, des conditions oxydantes s’installe dans les sols aérés, le fer

repasse à l’état ferrique, en libérant des ions H+

2 Fe2+ + ½ O2 + 5 H2O → 2 Fe (OH)3 + 4 H+ (Espiau & Pedro, 1983).

Lors des alternances des conditions redox, et en milieu drainant, une grande partie du fer est redistribué en profondeur où il s'accumule sous forme de concrétions ou de revêtements d’oxy-hydroxydes de fer. Les protons, produits lors de l’oxydation du fer, s’adsorbent aux

argiles en remplaçant du Fe2+. Or, les argiles protonées sont éminemment instables (Bolt &

Bruggenwert, 1978) et se transforment rapidement (en quelques heures) en argiles aluminisées : les ions H+ attaquent le réseau cristallin et libèrent les ions Al3+ de la couche octaédrique, qui s’adsorbent à leur tour à la surface des argiles (Eeckman & Laudelout, 1961). Ce processus affecte particulièrement les particules d'argiles les plus fines, comme les smectites, qui se transforment en smectites de type intergrade-alumineux avec, à terme un comportement de type chlorite secondaire (Amatekpor, 1989 ; van Breemen & Buurman, 1997 ; Legros, 2007 ; Abe et al., 2009).

Les travaux de Brinkman expliquent comment la ferrolyse conduit à la formation de sols à forts contrastes texturaux, suite à la dégradation des argiles dans les horizons éluviaux, en contexte acide et temporairement hydromorphe. En milieu tropical humide, les cycles saisonniers des précipitations représentent un élément moteur particulièrement actif des alternances de conditions d’oxydoréduction dans ces sols. Dans des travaux complémentaires menés sur sols hydromorphes en Hollande et en Allemagne, les mêmes auteurs (Brinkman et

al., 1973 ; Brinkman, 1979) suggèrent que le processus de ferrolyse serait à l’origine des forts

contrastes texturaux.

L’importance dans les sols de régions tempérées de ce processus est cependant remise en cause par d'autres auteurs (Eaqub & Blume, 1982 ; van Ranst & De Coninck, 2002 ; Montagne et al., 2008) et même dans les sols tropicaux de rizière (Boivin et al., 2004). Tous ces auteurs attribuent notamment les contrastes texturaux observés dans certains sols au lessivage des argiles.

Cependant, dans les sols de la plaine de Pierrelaye-Bessancourt, irrigués depuis plus d’un siècle avec des eaux usées, un certain nombre de conditions apparaissent particulièrement favorables au développement du processus de ferrolyse.

1) L’intensité, le mode et la périodicité de l’irrigation. D’après les travaux de Védry et

al. (2001), les sols ont reçu en moyenne 2000mm d’eau par an et localement jusqu’à

4000mm, en plus des 750mm de pluviométrie annuelle. Le mode d’irrigation utilisé par inondation complète est à l’origine de la saturation totale du sol en eau, en surface et en profondeur, jusqu’à l’horizon BT (Dère, 2006). Les sols des différents îlots d’irrigation étaient inondés un grand nombre de fois par an, entraînant des alternances pluriannuelles des conditions redox dans ces sols sableux.

2) Les matières organiques abondantes dans les horizons de labour, apportées par les

eaux brutes épandues (Bourenanne et al., 2006) et fixées entre les grains de sable dans l’horizon de surface (van Oort et al., 2008), entretiennent une certaine activité microbienne (Chaussod et al., 2003) malgré la présence de fortes quantités de polluants métalliques et organiques. Cette activité, grande consommatrice d’oxygène, explique que les eaux de drainage sont majoritairement anoxiques à leur sortie de l’horizon L. Ces eaux appauvries en oxygène traversent les horizons E de texture sableuse, mais stagnent sur l’horizon argileux riche en fer ferrique (BT), moins perméable, engendrant

des conditions favorables à la réduction Fe3+ Fe2+.

3) Une forte teneur en sables glauconieux dans le substrat calcaire. L’altération de la

glauconie produit majoritairement des smectites ferrifères (Abudelgawad et al., 1975 ; Latrille, 1994), qui constituent des particules argileuses, particulièrement sensibles aux alternances d’oxydoréduction (Espiau & Pédro, 1983) et donc à la ferrolyse.

4) La présence de structures d’invagination de couches argileuses liées à la

cryoturbation. Ces structures sont prioritairement développées dans des poches de sales verts glauconieux, et les couches argileuses sont donc particulièrement riches en smectites ferrifères. De plus, ces structures argileuses forment généralement des dépressions par rapport aux calcaires fracturés environnants et de ce fait favorisent l’accumulation et la stagnation des eaux de drainage.

5) Le caractère drainant des sols. La texture sableuse des horizons superficiels permet

des écoulements rapides (latéraux et verticaux) des eaux après l’arrêt des inondations, et favorise une ré-oxygénation rapide des milieux. Cet aspect "ouvert" de la couverture pédologique constitue également un élément crucial à la mise en place du processus de ferrolyse (Barbiero et al., 2010). Les fines bandes de fer des horizons E, toujours en "arc de cercle" au-dessus les structures argileuses d’invaginations (cf. Fig. 28), sont attribuées à des remontées capillaires d’eau à partir des massifs d’argile humides. Ils constitue un indicateur supplémentaire en faveur du rapide dessèchement des horizons de surface.

Si les modifications pédologiques liées au processus de ferrolyse s’avèrent particulièrement évidentes dans le solum P6, il faut cependant examiner leur généralité à l’échelle de la plaine de Pierrelaye-Bessancourt, en considérant d’autres situations géographiques et des sites avec des quantités épandues variables.

4.2.5 Mise en évidence de la ferrolyse dans les sols à l’échelle de la plaine.