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Chapitre 1 La maladie chronique : lectures croisées

2.1 Le proche

2.1.1 Définitions et législation

Il n’existe à l’heure actuelle pas de définition institutionnelle ou législative de ce qu’est le

proche. Pour autant, l’aidant familial ou aidant naturel est davantage défini dans la littérature.

Selon la Charte Européenne de l’aidant familial (47), il est « la personne non professionnelle

qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de

son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière peut être

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prodiguée de façon permanente ou non, et peut prendre plusieurs formes, notamment :

nursing, soins, accompagnement à l’éducation et à la vie sociale, démarches administratives,

coordination, vigilance permanente, soutien psychologique, communication, activités

domestiques… »

Cependant, cette Charte renvoie principalement à l’aidant de la personne en situation de

handicap et/ou de dépendance. Cette définition met en avant un lien de dépendance qui unit le

patient au proche aidant. Par ailleurs, l’utilisation du terme d’aide (si aide il y a, c’est que le

besoin ou la demande ont été verbalisé, tout du moins identifié et accepté par la personne

malade) nous renvoie à l’idée que le proche est ici défini au regard de ce qu’il fait et de l’aide

qu’il apporte au patient, comme une sorte de contribution fonctionnelle à une personne

malade. Cependant, le proche peut très bien se trouver « à côté » du patient et ne pas lui

fournir d’aide en termes de tâches ou de réalisations fonctionnelles.

En ce sens, le terme d’accompagnement nous parait plus approprié et nous permet d’avancer

l’idée que le proche peut être aidant familial ou naturel mais qu’il peut aussi bien ne rien être

de cela en s’inscrivant davantage dans une perspective d’accompagnement, autrement dit, en

allant avec l’autre là où il va.

En 2002, la Loi KOUCHNER (48) apporte une précision quant à l’aidant ou au proche : « Par

famille, il faut entendre les ascendants (parents, grands-parents) et les descendants (enfants,

petits-enfants), le conjoint marié ainsi que toutes les personnes unies par un lien de parenté

(frères, sœurs, cousins…) ou d’alliance (beau-frère, belle-mère…). Par proche, il faut

entendre les concubins (personnes de même sexe ou de sexes différents vivant en union libre

mais stable), les partenaires unis par un PACS, mais aussi les ami(e,s) ».

Ainsi, cette précision met en avant deux éléments distincts. D’une part, elle sous-entend que

pour une certaine catégorie, il semble naturel d’être aidant, ainsi la famille est-elle reconnue

comme aidant naturel, et d’autre part, cette précision semble ancrer davantage, à notre sens, la

non reconnaissance du proche auprès du patient s’il n’appartient pas à cette catégorie. Pour

certains donc, il semble légitime, même attendu, qu’ils viennent en aide à leur proche, comme

cela peut être le cas de la famille par exemple, et pour les autres, il nous semble que leur

implication ne pourra leur être pleinement reconnu que lorsque l’on envisagera une autre

classification du proche que celle des liens du sang ou de ses engagements légaux. Ainsi, s’il

devient acceptable et reconnu par tous que le rôle du proche, qu’il soit ami, voisin, enfant,

marié ou non, sœur, parent et bien d’autre, est le même, alors peut être pourrions-nous

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commencer à réellement les reconnaître. En ce sens, reconnaître l’égalité de leur implication

et de leur rôle serait un premier pas pour leur permettre de se reconnaître eux-mêmes.

En effet, au regard de ces deux propositions de définition et des éléments qu’elles apportent,

nous pouvons constater que ce sont finalement deux grands critères qui fondent la légitimité

de l’aidant naturel/familial, proche aidant : le lien familial et « légal » qu’ils entretiennent et la

nécessité d’aide et la vulnérabilité du patient.

Pourtant, tous les patients ne sont pas nécessairement vulnérables, ni nécessairement

dépendant d’une aide quelconque.

Ainsi, les données du Baromètre des Aidants 2018 interpellent (49). Le Baromètre des

Aidants 2018 est la troisième édition d’une enquête annuelle lancée en 2015. Qualifiée de

véritable « responsabilité nationale », la santé des aidants a fait l’objet d’un focus particulier

en 2018. En effet, l’enquête 2018 avait pour objectif « d’anticiper les changements au sein de

cette communauté d’aidants, et de mieux appréhender les attentes qu’ils pourraient avoir

vis-à-vis de leur situation ». L’enquête téléphonique a été réalisée entre mai et juin 2018 sur un

échantillon de 2007 personnes.

Le Baromètre des Aidants 2018 (49) annonce que 63% des aidants ignorent qu’ils sont aidants,

marquant ainsi le décalage entre leur rôle quotidien et la reconnaissance qu’ils ont de leur

statut.

N’est-ce pas là alors l’occasion de questionner ce terme d’aidant ? Et finalement, d’où vient

cette nécessité de questionner le terme d’aidant et sa place auprès du patient ?

Par ailleurs, qu’en est-il de ces 63%, qui accompagnent, sans pour autant se considérer

comme aidant, leur entourage au quotidien ?

Ce sont bien eux qui, à l’instar de l’invisibilité de la pathologie de leur proche,

accompagnement au quotidien.

Qui sont-ils alors ?

Leurs spécificités se trouvent elles dans leur statut ? Dans ce qu’ils font ou ne font pas ?

Dans un chapitre de l’ouvrage « Le cancer : un regard sociologique » Hélène Kane et Al.

abordent le processus d’institutionnalisation du proche (50, page 39). Ce chapitre a fait

l’objet d’une contribution de notre part.

50

Dans ce chapitre, consacré pour partie à la construction institutionnelle du rôle des proches

dans le cadre du cancer, les auteurs mettent en évidence les contributions des politiques

publiques à la reconnaissance des proches des patients atteints de cancer au sein de

l’institution hospitalière entre autres.

Ainsi peu à peu, les différents Plan Cancer (15, 51, 52) ont laissé une place de plus en plus

importante à l’entourage, puis au proche, en lui reconnaissant d’une part une existence dans le

parcours de soin de la personne malade, et d’autre part, et c’est un grand pas, des besoins en

tant qu’individu impacté par la maladie.

Ainsi donc, le proche, ou du moins le proche aidant, se voit reconnaître une existence sociale.

Pour H. Kane et al. (50), la notion d’aidant incarne « le processus d’institutionnalisation du

proche comme acteur de la prise en charge du patient, bien au-delà du cancer pour englober

l’ensemble des maladies chroniques et liées au vieillissement ».

Nous soutenons par ailleurs l’idée qu’il est à « craindre que l’importance donnée au parcours

de soins élude de larges pans du rôle des proches auprès des malades » (50, page 40).

Et c’est bien cela qui nous intéresse ici, le rôle du proche du patient souffrant de maladie

chronique au-delà des attentes et injonctions institutionnelles et sociétales.

C’est en grande partie le processus d’institutionnalisation du proche comme acteur de la prise

en charge du patient qui interroge la définition et les droits du proche. Par ailleurs, la

considération du proche dans la prise en charge du patient nous amène à nous poser la

question de sa reconnaissance par les politiques de santé et le système de soin.

Depuis la Loi du 4 Mars 2002 (53), « toute personne majeure peut désigner une personne de

confiance (parent, proche, médecin traitant, etc.) qui pourra l’accompagner et l’assister dans

ses démarches concernant sa santé ou témoigner auprès de l’équipe médicale dans

l’hypothèse où elle serait hors d’état de s’exprimer ».

La mise en place de cette possibilité pour les patients offre donc au proche les prémices d’une

reconnaissance dans la définition proposée. Pour autant, la personne de confiance n’est pas

clairement identifiée comme faisant partie du processus d’identification du proche par le

patient et dans le choix de sa nomination. Or, c’est bien à elle que reviendra la responsabilité

de prendre des décisions si le patient n’est plus en mesure de le faire.

Dans la continuité de la reconnaissance progressive du proche dans la société, la Loi n°

2019-485 du 22 mai 2019 visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants (54) est parue au

51

Journal Officiel le 23 Mai 2019. Les deux objectifs principaux de cette Loi sont de favoriser

le recours aux congés du proche aidant et de sécuriser les droits sociaux des aidants.

Nous pouvons d’une part constater à la seule lecture du titre de la Loi proposée, l’évolution de

regard sur la personne aidante. Ainsi, ne parle-t-on plus d’aidant naturel, familial ou légitime,

mais bien de proche aidant.

D’autre part, le contenu de cette Loi, stipule que « Le dossier médical partagé comporte aussi

un volet relatif aux personnes qui remplissent auprès du titulaire du dossier la qualité de

proches aidants ou de proches aidés, en ce qu'elles aident le titulaire du dossier ou reçoivent

une aide du titulaire du dossier, au sens de l'article L. 113-1-3 du même code, soit en raison

de l'âge, d'une situation de handicap ou d'une maladie » (54).

Ainsi donc, le proche, ou du moins tel que nommé, le proche aidant n’est-il plus seulement

reconnu de par sa qualité ou son statut, mais il commence aussi à l’être par l’Etat de par ce

qu’il fait vis-à-vis du patient en ce sens que la présente Loi demande à préciser la nature de

l’aide apportée.

Au regard de ces différents éléments, et même si les avancées sont certaines, il nous apparait

qu’il reste toujours nécessaire de clarifier le rôle du proche de personne souffrant de maladies

chroniques, d’autant plus quand ces maladies ne sont pas socialement associées à la notion

d’aide ou de proche.

Pour illustrer brièvement ce propos, nous tenons à prendre pour exemple des

recommandations publiées par la HAS en 2010 qui proposent un suivi médical annuel des

aidants naturels des personnes souffrant de maladie d’Alzheimer et apparentées (55). Nous ne

remettons évidement absolument pas en cause ces recommandations qui nous semblent être

une réelle nécessité pour les proches des personnes souffrant de maladie d’Alzheimer, pour

autant, nous nous interrogeons : qu’en est-il des proches de patients atteints de diabète, de

polyarthrite, de sclérose en plaque ? A quoi mesure-t-on le droit à un proche d’être soutenu ?

A quoi mesure t’on son investissement et ce qu’il lui en coûte d’être là au quotidien ? il est

difficile alors de reconnaitre au proche une existence et des besoins alors même que les

conséquences de ces maladies peuvent longtemps rester socialement invisibles.

Enfin, un autre point nous semble important à évoquer. Parfois, le proche ne souhaite pas être

reconnu comme tel ou éprouve des difficultés à s’étiqueter aidant pour protéger le patient (56).

Ainsi, cette difficulté serait en lien avec celle du patient à admettre et accepter le fait d’avoir

52

besoin d’aide. En cela donc, nous constatons qu’encore une fois qu’il existe ce lien de

dépendance entre le patient et la reconnaissance du proche.

2.1.2 Le proche et la maladie chronique : De la nécessité de clarifier le rôle du proche des