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4.2 L’expérience utilisateur (UX)

4.2.1 Définitions et modèles

Dans une perspective « centrée-utilisateur », le terme d’expérience utilisa- teur (UX) a été employé pour la première fois pour décrire tous les aspects de l’expérience d’interaction de l’utilisateur avec un système (Norman et al., 1995). Depuis, l’UX a été formalisée comme « les perceptions et réponses d’un individu résultantes de l’usage effectif ou à priori d’un produit, d’un système ou d’un service » (ISO9241-210, 2010). En d’autres termes, il s’agit de « l’en- semble des émotions, croyance, préférences, perceptions, réponses physiques et psychologiques d’un individu, ainsi que ses comportements et ses réalisa- tions qui apparaissent avant, pendant ou après l’usage d’un produit » (Lalle- mand et al., 2015a). Tout comme les concepts d’utilisabilité et d’acceptabilité, l’expérience utilisateur souffre d’un manque de généralisation et de consensus et, bien que les grandes lignes du construit convergent généralement entre les théoricien(ne)s, plusieurs définitions et plusieurs modèles sont défendus dans la littérature (Lallemand et al., 2015a).

Ces modèles d’UX ont été initialement développés dans la littérature en IHM pour répondre aux limitations des modèles d’utilisabilité des produits destinés aux consommateurs (en opposition aux systèmes industriels). D’un côté, l’utilisabilité se concentre sur l’évaluation de l’efficacité, de l’efficience, du confort, de la satisfaction et de la facilité d’apprentissage des utilisateurs, dans le but d’identifier et de corriger les problèmes d’utilisabilité et de rendre les produits faciles d’usage ; de l’autre côté, l’UX se concentre sur la compré- hension et le design de l’expérience de l’utilisateur avec un certain produit, en identifiant et en générant des réponses émotionnelles de la part des utilisa- teurs (Bevan, 2009). Dans cette perspective, les modèles d’UX ont également vocation à fournir une plus grande explicabilité des comportements d’usage des utilisateurs et de l’adoption des technologies que ne le permettent les modèles d’acceptabilité tels que le TAM (Hornbæk et Hertzum, 2017).

Au delà des aspects pragmatiques et de la dimension sociale des interactions humain-machine, les modèles de l’expérience utilisateur cherchent à intégrer, dans une démarche centrée sur l’utilisateur, toutes les dimensions qui caracté- risent l’interaction, y compris les réactions émotionnelles des utilisateurs. Dans cette revue sélective de la littérature sur les modèles UX, nous avons choisi de présenter 3 modèles, qui, à différents égards, ont la particularité d’intégrer les émotions : le modèle du design émotionnel (Norman, 2004), le modèle pragmatique/hédonique (Hassenzahl, 2003) et le modèle des composantes de l’expérience utilisateur (CUE) (Mahlke et Lindgaard, 2007).

A) Le modèle du design émotionnel

Norman (2004) propose une approche émotionnelle du design des technolo- gies dans lequel l’expérience des utilisateurs n’est appréhendée qu’à travers les émotions.

Dans ce modèle présenté dans la Figure 4.6, les comportements affectifs humains sont catégorisés selon 3 niveaux de traitement : d’une part, les ré- actions viscérales, qui correspondent à un processus quasiment automatique, spontané et rapide permettant de distinguer ce qui est « bon ou mauvais ». D’autre part, les réactions comportementales, qui correspondent à la mise en action des affects et permet la réalisation des activités quotidiennes. Enfin, le niveau réflexif implique les couches cérébrales les plus superficielles (le cortex) et permet l’évaluation et la régulation des comportements (Norman, 2004).

Ces 3 niveaux de traitement traduisent 3 différentes formes de design (Nor- man, 2004) : « le design viscéral fait référence à l’impact initial du produit, à son apparence ; le design comportemental, c’est plutôt regarder et sentir, c’est l’expérience totale que procure l’utilisation d’un produit ; le niveau réflexif cor- respond aux ressentis de l’individu à posteriori, c’est comment le produit fait se sentir la personne, l’image qu’il renvoie et le message qu’il véhicule aux autres à propos de cette personne ».

L’auteur considère que les réactions émotionnelles des utilisateurs en si- tuation d’interaction avec un système précèdent toute évaluation cognitive de l’interaction ; partant de ce postulat, il propose que les émotions soient au coeur de l’expérience utilisateur.

Figure 4.6 – Cadre théorique du modèle de Design émotionnel de Norman (2004)

Conclusion. La limite majeure de ce modèle est qu’il base l’expérience uti-

lisateur sur les émotions, qui sont pourtant des variations intenses, rapides et éphémères des sentiments de l’utilisateur (Hume, 2012) et donc des évènements difficilement perceptibles et mesurables. Aussi, il est souvent reproché à cette approche d’exclure de l’expérience utilisateur tous les aspects utilitaires du système, regroupés sous le concept de l’utilisabilité.

B) Le modèle pragmatique/hédonique

Dans le but de répondre au manque d’explicabilité des comportements d’usage des utilisateurs, le modèle hédonique/pragmatique (Hassenzahl, 2003, 2007) propose d’appréhender l’interaction humain-machine de manière plus complète par le prisme de l’expérience utilisateur. Ce modèle englobe à la fois des aspects pragmatiques (i.e. répondre aux buts comportementaux des utili- sateurs) et des aspects hédoniques (i.e. stimulation, identification, évocation).

D’après Hassenzahl (2003), pour générer une « bonne » expérience utilisateur, les systèmes devraient être une source de stimulation pour les utilisateurs en leur offrant la possibilité de se dépasser dans leurs accomplissements, de mon- ter en compétence et d’acquérir de nouvelles connaissances. Les systèmes de- vraient également être capables de véhiculer une certaine identité et permettre aux utilisateurs d’exprimer leur soi, d’afficher une image sociale ou encore d’en- gager des interactions interpersonnelles riches. Enfin, les systèmes doivent être symboliques et évoquer des choses aux utilisateurs, comme des souvenirs d’évè- nements passés, des sensations ou des relations (Hassenzahl, 2007).

Présenté dans la Figure 4.7, ce modèle prévoit que sur la base des caracté- ristiques propres au produit, l’utilisateur se construit une représentation sub- jective et individuelle des caractéristiques apparentes du produit. Ces caracté- ristiques apparentes s’organisent autour de la perception des qualités pragma- tiques et des qualités hédoniques du produit et, démontrent des conséquences comportementales, cognitives et émotionnelles chez l’utilisateur. Ce modèle propose ainsi que les conséquences des perceptions de l’utilisateur s’observent d’une part sur le jugement de l’aspect attractif ou non du produit (conséquence cognitive), d’autres part sur le sentiment de plaisir ou de satisfaction des uti- lisateurs (conséquence émotionnelle) et enfin, sur les comportements d’usage des utilisateurs (conséquence comportementale).

Figure 4.7 – Cadre théorique du modèle d’expérience utilisateur selon Has- senzahl (2003)

En complément, plusieurs autres aspects ont été rapportés pour complé- ter la représentation de l’expérience utilisateur dans ce modèle. D’une part, l’expérience utilisateur et ses conséquences seraient médiées par la situation : l’expérience utilisateur s’inscrit dans une situation d’interaction avec le sys- tème et dépend de l’usage réel (Forlizzi et Battarbee (2004) d’après Hassenzahl (2007)). Ainsi, les perceptions des utilisateurs sont sensibles à la situation et notamment à sa dimension temporelle : la perception des qualités pragma- tiques et hédoniques d’un système au cours d’une tâche peuvent présenter des patterns différents selon le moment auquel elles sont évaluées (e.g. première impression vs. après un moment). D’autre part, 3 autres aspects ont été rap- portés dans ce modèle et viennent s’agréger au concept de l’expérience utilisa- teur : l’évaluation globale, la pertinence de la situation et le mode. Les auteurs proposent ainsi de considérer l’expérience utilisateur à travers une évaluation globale et non seulement à travers la perception des qualités pragmatiques ou hédoniques d’un système. Cette évaluation globale dépend notamment de la pertinence de la situation. Les attentes des utilisateurs en termes de qualité du système varient en fonction des situations d’interaction, ainsi la perception des qualités hédoniques d’un produit pourra apparaître comme pertinente dans un contexte sociale alors qu’elle paraîtrait impertinente dans une autre situation. Enfin, l’expérience utilisateur dépend du mode-but ou du mode-action dans lequel se trouve l’individu. Dans le premier cas, atteindre un but est la finalité de l’usage et l’interaction ne représente qu’un moyen d’y parvenir ; dans le se- cond cas, c’est l’interaction qui est recherchée et elle représente un but en soi pour l’utilisateur.

Conclusion. Comme le rappellent Hornbæk et Hertzum (2017), ce modèle

d’UX vise à expliquer les aspects expérientiels et hédoniques de l’usage d’une technologie et s’attache finalement moins aux aspects instrumentaux du sys- tème. Ce modèle est reconnu par l’auteur lui-même comme un modèle réduc-

tionniste de l’UX qui s’appuie sur un nombre restreint de construits, i.e. per- ceptions hédoniques/pragmatiques, évaluation globale, facteur temporel, per- tinence de la situation et modes (Hassenzahl, 2007).

Ce modèle présente également une limite au regard de sa considération des émotions. Dans ce modèle, les émotions ne sont appréhendées qu’à travers la notion de satisfaction et de plaisir, considérées non pas comme l’expérience vécue mais comme la conséquence de celle-ci. Les émotions sont alors recon- nues comme des médiateurs de l’expérience utilisateur plus que comme une dimension à part entière de l’expérience.

C) Modèle des Composantes de l’expérience utilisateur (CUE)

A l’intersection entre le modèle de Norman (2004) qui appréhende l’expérience utilisateur qu’au travers des émotions et le modèle pragma- tique/hédonique (Hassenzahl, 2003) qui n’appréhende les émotions des uti- lisateurs qu’à travers le plaisir et la satisfaction et délaisse les aspects prag- matique, le modèle CUE (Mahlke et Thüring, 2007; Mahlke, 2008) propose de décrire l’expérience utilisateur comme l’ensemble des perceptions instrumen- tales et non-instrumentales du système ainsi que les émotions résultantes des utilisateurs. Dans ce modèle, les qualités instrumentales se rapportent à l’uti- lité et l’utilisabilité du système alors que les qualités non-instrumentales font plutôt référence à l’aspect esthétique, symbolique et motivationnel du produit (Mahlke et Thüring, 2007).

A la différence du modèle pragmatique/hédonique (Hassenzahl, 2003) dans lequel les émotions des utilisateurs sont plutôt rapportées comme une consé- quence de l’expérience, le modèle CUE (Figure 4.8), intègre les réactions émo- tionnelles des utilisateurs comme l’une des 3 sous dimensions de l’expérience, au côté de la perception des qualités instrumentales d’une part et non instrumen- tales du système d’autre part. Inspirées du modèle des processus composants de l’émotion (Scherer, 2005, 2001), les réactions émotionnelles des utilisateurs

y sont décrites selon 5 composantes i.e. le ressenti subjectif, la réponse phy- siologique, la tendance à l’action, la réaction comportementale et l’évaluation cognitive.

Figure 4.8 – Cadre théorique du modèle des Composantes de l’Expérience Utilisateur (CUE) d’après Mahlke (2007)

Mahlke et Thüring (2007) définissent dans leur modèle que l’expérience utilisateur – qui s’attache aux perceptions et ressentis des utilisateurs – est influencée par les caractéristiques de l’interaction, i.e. les propriétés du sys- tème, les caractéristiques individuelles de l’utilisateur et le contexte d’usage. Cette conception de l’expérience utilisateur rappelle en partie le modèle prag- matique/hédonique dans lequel les caractéristiques du produit influencent les caractéristiques apparentes du produit, autrement dit, la représentation que l’utilisateur se fait du produit (Hassenzahl, 2003). Ainsi, il n’y a pas de rela- tion linéaire entre la manière dont un paramètre est opérationnalisé dans un système et la manière dont celui-ci est perçu et participe à l’expérience de

l’utilisateur (Hassenzahl, 2007).

Dans le modèle CUE, les conséquences de l’expérience d’interaction s’ob- servent d’une part sur l’évaluation globale et le jugement des utilisateurs et d’autre part sur les comportements d’usage, notamment la volonté d’utiliser à nouveau le produit ou au contraire d’opter pour une alternative.

Conclusion. Le modèle CUE est celui qui, à nos yeux, répond le plus à

une approche centrée-utilisateur de l’interaction humain-machine et qui, par conséquent, nous parait être le plus approprié pour explorer les conséquences de l’interaction avec un agent virtuel social. Aussi, ce modèle à la particularité d’offrir une place centrale aux émotions, sans pour autant négliger les percep- tions des qualités instrumentales et non-instrumentales du système. Toutefois, les émotions sont considérées comme la résultante des perceptions du système. Une limitation de ce modèle, soulignée par les auteurs eux-mêmes, concerne la dimension temporelle de l’interaction humain-machine. En effet, le modèle CUE se limite à la représentation d’une interaction unique et n’apporte aucun re- gard sur la fonction temporelle de l’interaction et son influence sur l’expérience utilisateur (Mahlke, 2008). Nous nous interrogeons donc sur l’adaptabilité de ce modèle théorique à l’expérience d’interaction avec un ACA, dans une pers- pective d’adoption de la technologie et de construction d’une relation-client à plus long terme.